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Il est loin le temps ou les Algériennes voilées étaient comparées à des "Peugeot 404 bâchées" ou à des "sacs poubelle".
Le voile n'est plus synonyme d'habits austères effaçant les formes féminines dans des tissus noirs. Seules quelques irréductibles continuent d'afficher burqa et gants noirs. Le voile intégral, interdit en 2018 sur les lieux de travail, n’a jamais été apprécié par les Algériennes qui lui préfèrent un hidjab plus « light ». Dans l'espace public, la tenue islamique a pris de grandes libertés se limitant parfois à un foulard sur les cheveux pour des jeunes femmes en tenue "occidentale ». Slim et baskets, maquillage, faux cils, vernis à ongles toute la panoplie de la séduction que l'on voit dans presque toutes les villes du monde. Les Algériennes ne veulent plus ressembler à "des fantômes" et affichent leur féminité sans complexe. Ce pied de nez au voile islamique rigoriste ne plaît pas à tout le monde mais les voix hostiles ne sont pas assez fortes pour couvrir celles des influenceuses et des stars des télévisions du Moyen Orient. Les hijabistas, néologisme pour les fashionistas qui portent le hijab, dictent désormais les tendances de la mode. En Algérie les nombreuses blogueuses voilées sont suivies par des milliers d’abonné.e.s.
Tutoriels de beauté, conseils pour séduire, elles donnent au hidjab tous les styles, du plus classique au plus sexy. De grandes marques et quelques noms de la haute couture internationale ont permis au voile de partager les podiums de la mode. Les insultes et les menaces rappellent tous les jours à ces jeunes blogueuses que sortir du moule de la femme voilée silencieuse et effacée ne va pas sans risques. Comme toutes les autres femmes, elles savent que porter le voile -même le plus sobre- ne protège pas non plus des violences et des agressions sexistes. Alors autant libérer sa féminité et soigner son image.
Les femmes, elles-mêmes, plaisantent de ce détournement du voile en tenues sexy avec l’expression “habillée Rotana en haut, Iqraa en bas". Rotana est une télévision arabe de divertissement dont les animatrices sexy et copieusement maquillées inspirent nombre de jeunes femmes arabes alors que Iqraa une télévision dédiée au Coran et à des contenus islamiques.
Les accessoires de beauté importés se retrouvent sur tous les marchés et de plus en plus de boutiques. Des sites de vente en ligne turcs ou locaux se sont spécialisés dans la lingerie fine. Dans les années 1980 le marché informel tenu par les trabendistes (vendeurs de produits importés illégalement) a commencé l'importation des sous-vêtements féminins s'approvisionnant en France, Italie, Espagne rapidement supplantés par des fournisseurs turcs, égyptiens, syriens et même indonésien et thaïlandais.
Le difficile accès aux visas, la situation sécuritaire dans le Moyen-Orient les a conduits à Dubaï puis Istanbul. Les bazars appelés marchés Dubaï ont prospéré partout dans le pays. Les produits turcs plus abordables ont peu à peu supplanté les autres offres. L'arrivée des Chinois a changé la donne par les bas prix et les quantités déversées sur les marchés. La lingerie européenne généralement française est réservée aux femmes à fort pouvoir d'achat dans les boutiques des beaux quartiers. Le secteur des dessous du voile semble donc très bien se porter. Paradoxalement cette profusion de strings, de soutiens gorges en dentelle et strass s'affiche partout dans un pays conservateur et pointilleux sur la pudeur des femmes.
Néanmoins la coquetterie et les tenues sexy sont tolérées, voire recommandées, dans le seul huis-clos du foyer conjugal parce que les musulmanes peuvent et doivent plaire à leur mari légitime et à lui seul, et jouer de tous leurs charmes pour l'empêcher de solliciter une autre femme. C'est l'explication hypocrite que donne en général ceux qui tirent profit d'une manière ou d'une autre du commerce de la lingerie féminine. A ses débuts le marché du sexy était aux mains des « Frères » autrement dit des hommes qui surfaient sur la vague islamiste et vous vendaient des dessous affriolants tout en vous abreuvant de citations religieuses. Le contexte économique actuel difficile a promu la lingerie turque en haut de gamme "ma sœur c'est turc pas chinois" vous dira le marchand de culottes.
Toutes les tentatives patriarcales d'effacer leur envie de plaire et de séduire sont réduites à néant lorsqu’elles se révèlent sous leur voile. Cette constante guerre contre le corps féminin s'est exprimée lors des campagnes électorales de ces dernières années. Pour les élections législatives de 2021 comme celles de 2017 des partis dont ceux se réclamant du camp démocrate (Front des Forces Socialiste et l'ANR alliance nationale républicaine) , ont présenté sur leurs affiches des candidates aux visages floutés.
Un tour dans les rues d'Alger démontrera que les femmes voilées ou non n'ont aucune intention d'être transformées en fantômes. Elles entendent bien à imposer leur si dérangeante féminité aux yeux de tous. Le diable attendra.
