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Écrit par Mohanad Adam
La controverse sur l’application de l'accord CEDAW, la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination envers les femmes dans les territoires palestiniens, a pris récemment de l’ampleur. Ainsi les islamistes et les clans ont fini par descendre dans la rue pour protester contre sa mise en œuvre, tandis que ses partisans, comme les mouvements féministes et les défenseurs des droits de l'homme, ont organisé des sit-in réclamant au gouvernement son application.
Le débat entre partisans et opposants de l'accord CEDAW s’est également enflammé pendant plusieurs mois sur les réseaux sociaux. Des pages ont été créées reproduisant des pans entiers de la discorde entre les deux parties. Cependant, pour ses défenseurs, les informations diffusées sont en majorité trompeuses et visent à déformer et à diaboliser l'accord.
Environ 6 ans après la célébration par le mouvement des femmes palestiniennes de la signature sans réserve par l'État de Palestine de l'accord "CEDAW", celui-ci reste en suspens et l’espoir de voir son application est loin d'être réalisé, en dépit de l'escalade de la violence et des meurtres perpétrés contre les femmes, surtout en 2020.
Les voix religieuses et tribales qui refusent la mise en œuvre de l’accord ne cessent de s’élever et mettent la pression sur le gouvernement. Les mouvements féministes s’activent face aux craintes de voir abroger l'accord signé par le président Mahmoud Abbas en 2014. La CEDAW désigne la convention qui a été approuvée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1979, ratifiée le 3 septembre 1981, et signée par 189 pays, dont 54 pays membres de l’Organisation de la coopération islamique.
À l'époque, le président Abbas avait demandé au gouvernement de reconsidérer les lois en vigueur pour parvenir à une harmonisation avec la CEDAW. Cependant, à ce jour, les amendements n’ont été appliqués qu’au sujet de l’âge du mariage qui a été fixé à 18 ans et de l’autorisation donnée à la mère d’ouvrir des comptes bancaires pour ses enfants.
Rejet religieux et tribal et controverse juridique
Certains pensent que cette procrastination vient de la conviction que l'essence de l'accord est en contradiction avec les principes de la loi islamique dans certaines de ses dispositions, comme souligne le parti «Hizb At-Tahrir», qui est le leader de l'opposition islamique à cet accord, prétendant qu’il viole la charia en instaurant l'égalité entre les hommes et les femmes au niveau de l'héritage, en abandonnant la tutelle de l’homme sur les femmes, en annulant le délai prévu avant que la femme puisse se remarier après un divorce, en attribuant l’appartenance de l'enfant à sa mère, en condamnant la polygamie et en légalisant le mariage homosexuel.
Le Grand Mufti de Jérusalem et des Territoires palestiniens, Cheikh Muhammad Hussein, a déclaré qu’il n'est en aucun cas possible d'approuver ou d'adopter une loi qui serait incompatible avec les dispositions de la loi islamique en vigueur dans les territoires palestiniens. Et d’ajouter : « La décision du Conseil de la Fatwa confirme que tout ce qui est incompatible avec la loi islamique est inacceptable, que ce soit dans la CEDAW ou dans d'autres accords qui ne respectent pas l'esprit de la charia ... Il existe des lois sur le statut personnel qui émanent des dispositions de la charia islamique, qui sont des lois totalement compatibles avec l'esprit de la loi qui donne à chacun son droit. »

Le cheikh Hussein a précisé que "l'accord CEDAW" était complet et contenait des articles conformes à la plupart des enseignements des religions en ce qui concerne la protection des êtres humains. Cependant, la question la plus importante était celle qui aborde « les points controversés" » comme la question de l'avortement, de l’héritage, de l’homosexualité entre autres.
Le Grand juge palestinien Mahmoud al-Habbash avait auparavant déclaré : «la loi islamique est au-dessus de la loi, et au-dessus de tout engagement politique, de tout engagement envers les lois ou traités internationaux. Nous refusons toute contradiction avec ce que Dieu a légiféré.»
Certains clans également, à Hébron, Jérusalem et Gaza, avaient exprimé leur refus de l'accord en organisant des manifestations appelant le gouvernement à ne pas l'appliquer. En outre, la Cour suprême constitutionnelle palestinienne a décidé en 2018 que «toute contradiction de l'accord avec l'identité nationale rend son application non contraignante». L’ordre des avocats palestinien a également refusé d’appliquer et de publier l'accord CEDAW dans sa forme actuelle, sans aucune réserve.
Les mouvements féministes tiennent à l'accord malgré une opposition farouche ...
et l'État est le fondement
Les mouvements féministes tiennent toujours à l'accord et demandent au gouvernement et au président de l’appliquer. C’est pourquoi, des groupes de femmes ont continué à organiser des actions appelant à approuver cet accord, surtout face à l’aggravation de la violence faite aux femmes dans les territoires palestiniens, au maintien de l’inégalité des chances concernant l’occupation des femmes par rapport à celle des hommes et, plus généralement, de la souffrance en raison de pratiques discriminatoires dans tous les domaines.
Dans ce contexte, un membre du Secrétariat général de l'Union générale des femmes palestiniennes, Rima Nazzal, a mis l’accent sur l'importance de l’application de l'accord qui mettra fin à toutes les formes de discrimination entre hommes et femmes, consacrera la notion d'égalité et soutiendra les politiques et droits sociaux des femmes palestiniennes, tout en incarnant la souveraineté de l'État.
Dans sa réponse aux positions opposées à l'accord, elle a indiqué que la CEDAW «est suspendue en raison de fausses justifications selon lesquelles l’accord contredit la loi islamique et s’oppose aux valeurs de la société, bien que la loi palestinienne stipule l'égalité entre les citoyens, et reconnaît aux femmes leurs droits. Il n’y a donc aucune raison qui justifie le retard de la mise en œuvre de cet accord comme il n’y a aucune contradiction avec l’orientation de l’État de Palestine et sa législation. »
Rima Nazzal a également précisé : « Les raisons du rejet de l’accord découlent de l'influence exercée par certains voisins arabes sur la société palestinienne, voisins chez qui les mouvements extrémistes fondamentalistes et salafistes se sont développés. En effet, nous avons été témoins de l'escalade de la violence extrémiste dans la région. La Palestine a été impactée par cette réalité. »
Enfin, elle a souligné que «malheureusement, l'Autorité palestinienne n'avait pas œuvré pour contraster ces groupes qui brimaient les libertés, stigmatisaient et menaçaient les défenseurs des droits humains ». Notant également que : « la politique du silence sur ces comportements a favorisé le développement de ce courant dans la société. »
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