Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)
« Les centres d’hébergement ne nous ont pas accueillies, personne ne nous a accueillies », résume une travailleuse migrante au Liban, décrivant son expérience et celle de ses collègues dans le contexte de la guerre qui ravage le pays, particulièrement depuis l’intensification des bombardements et des hostilités le 23 septembre dernier. Forcées de fuir, elles errent en quête de lieux sûrs.
Des aides ménagères dormant dans les parcs
Le nombre total de déplacé.e.s a dépassé un million et demi de personnes, soit environ un quart de la population libanaise, ayant dû quitter leurs maisons principalement dans le Sud, la Bekaa et la banlieue sud de Beyrouth. Jusqu’à présent, selon les chiffres officiels disponibles, seul.e.s 190 000 déplacés ont été hébergé.e.s dans les 1 076 centres agréés à travers le pays, dont 885 ont déjà atteint leur capacité maximale.
Face à l’insuffisance des centres d’hébergement et à l’incapacité des institutions libanaises à gérer cet exode massif, de nombreuses personnes, y compris des aides ménagères migrantes originaires d’Afrique, ont été abandonnées à leur sort, livrées à elles-mêmes dans la rue. La plupart des centres d’hébergement n'accueillent que les Libanais.e.s, laissant les autres sans abri ni assistance.
Une domestique, qui a dormi plus d’une semaine dans un parc à Beyrouth, raconte que la famille chez qui elle travaillait a décidé de quitter subitement le Liban, la laissant seule avec pour seules possessions ses vêtements et son passeport, désormais inutile. La plupart des vols à destination et en provenance du Liban sont annulés, et le coût d’un billet pour l'Éthiopie est prohibitif, nécessitant en outre la signature de l’employeur ou l’aide de l’ambassade. « J’ai 100 dollars, comment puis-je m’en sortir avec ça ? », se demande-t-elle.
Sous les ponts, dans les rues et dans les rares parcs de Beyrouth et d’autres régions, des centaines de déplacé.e.s ; parmi elles et eux des travailleuses migrantes qui n’ont pas d’autre choix que de survivre dans la rue.
Les domestiques sont abandonnées par leurs employeurs
Les récits des travailleuses reflètent la dure réalité libanaise : les bombardements les ont contraintes à quitter leurs foyers, tout comme certaines familles ont dû les abandonner ou fuir ailleurs. Ces femmes se déplacent d’un centre d’hébergement à l’autre, où elles entendent à chaque fois la même rengaine : la priorité est donnée aux Libanais. De plus, ces centres, pour la plupart des écoles, sont dépourvus de structures sanitaires et du confort le plus basic comme douches, matelas ou espaces privés. Les déplacé.e.s y vivent dans des conditions de surpeuplement, confronté.e.s aux maladies cutanées et aux infestations de poux, vu l’absence de conditions d’hygiène et d’intimité les plus élémentaires.
Dans un rapport, les Nations Unies révèlent que certaines travailleuses domestiques migrantes sont retenues dans les foyers de leurs employeurs, qui ont fui les frappes aériennes israéliennes. Ainsi, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), affiliée aux Nations Unies, fait état d’une augmentation des cas d’abandon de travailleuses domestiques étrangères par leurs employeurs libanais, les laissant affronter seules les dangers du conflit.
L’OIM souligne également que sur les 170 000 travailleurs migrant.e.s au Liban, une majorité de femmes venant de pays comme l’Éthiopie, le Kenya, le Sri Lanka, le Soudan, le Bangladesh et les Philippines souffrent de conditions très difficiles à cause de la guerre, des bombardements et du déplacement.
Mathieu Luciano, chef du bureau de l’OIM au Liban, témoigne : « Nous recevons de plus en plus de rapports sur des travailleuses domestiques migrantes abandonnées par leurs employeurs libanais en fuite, laissées dehors ou à l’intérieur des maisons. »
Pas de solution en vue pour aider les travailleuses
La situation empire, car les travailleuses et travailleurs migrants subissent déjà les conséquences du système de parrainage (Kafala)[2] en vigueur au Liban, qui restreint drastiquement leur liberté, leur statut légal étant souvent lié à leur employeur. Ce système, critiqué par les défenseur.euse.s des droits humains, est jugé injuste et proche de l’esclavage moderne. Il permet des abus, tels que la rétention des salaires et la confiscation des documents officiels, empêchant les travailleur.se.s de quitter le pays.
À ce jour, aucune solution ne semble envisageable pour ces travailleuses. Selon certaines sources de "Medfeminiswiya", plusieurs ambassades africaines ont commencé à organiser progressivement le retour des travailleuses, bien que l’évacuation des ressortissant.e.s soit compliquée en raison des contraintes logistiques, comme le maintien des vols à l’aéroport de Beyrouth. De plus, il y a des travailleuses qui n’ont ni téléphone ni papiers pour être contactées ou localisées. Les opérations de leur rapatriement sont donc particulièrement difficiles, sachant que beaucoup d’entre elles sont actuellement sans abri, exposées à la violence, à la peur et à l’humiliation.