Être féministe et d’extrême-droite : un non-sens

La France toute entière vacille en ce début d’été 2024, mais ce ne sont pas les manifestations culturelles très nombreuses en France qui la font vibrer... L’annonce des élections anticipées à deux tours, les 30 juin et 7 juillet, fait souffler des vents mauvais à l’oreille des citoyen.nes. Les mouvements féministes lancent et relaient l’alerte pour éviter le pire qui puisse arriver à la France : l’arrivée au pouvoir d’un parti d’extrême-droite qui n’a cessé de monter dans les urnes depuis des années.

Crédit photo de l'image de couverture : © European Union 2016 - European Parliament. Creative Commons licenses

Vent de panique chez certain.es, vent de révolte et d’insoumission devant la menace d’un parti qui fait son miel de la chasse aux immigré.es et du repli identitaire. Dans la foulée du résultat des élections européennes début juin qui consacrent une montée sans précédent de l’extrême-droite en France (environ 40%, voire davantage dans certaines communes), on s’agite, on cogite, on milite, de la droite républicaine à l’extrême-gauche...

Un nouveau Front Populaire (1) vient de renaître. Le Nouveau Front Populaire, tel est son nom, s’inspire de l’ancien Front Populaire qui en 1936 avait vu l’avènement d’un gouvernement d’une union très large de la gauche, des communistes aux républicains du centre. Gouvernement éphémère qui a mis en place un droit majeur : celui des congés payés. Puis le Front Populaire a rapidement été balayé par la montée du fascisme, assorti d’un antisémitisme virulent. Les femmes ont dû attendre pour faire avancer leurs propres droits. Ce n’est qu’à la fin de de la deuxième guerre mondiale que les Françaises ont obtenu le droit de vote.

Il faut aujourd’hui encore réécouter Simone de Beauvoir : « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. »

La plupart des grandes figures de Françaises qui apparaissent sur le devant de la scène politique au 20è siècle sont issues des partis de gauche : l’écrivaine Simone de Beauvoir a toujours revendiqué cette appartenance ainsi que beaucoup d’autres intellectuelles, hormis Simone Veil, députée gaulliste, qui a permis de légiférer sur l’avortement contre vents et marées. Pendant la deuxième guerre mondiale, cette républicaine déterminée avait été résistante contre l’occupant nazi.

Connaissez-vous une féministe d’extrême-droite ?

Mais qui dans la mouvance de l’extrême-droite, oserait se prétendre féministe ? Marine Le Pen, présidente du Rassemblement national, tandis que son programme prouve le contraire ? Son parti, le Rassemblement National, s’est abstenu en 2018 de voter la grande loi qui a renforcé la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. Il prévoit, si jamais il arrivait au pouvoir, de supprimer les financements du Planning familial, lieu d’écoute et d’orientation sur le choix de la sexualité, la contraception, etc. Comme les autres partis d’extrême-droite européens, il s’abstient chaque fois qu’il faut voter des lois favorables au droit des femmes.

Être une femme ne donne pas un brevet de féminisme !

Exemple en Italie où Georgia Meloni s’est attaquée, dès son arrivée au pouvoir, au revenu de citoyenneté (reddito di cittadinanza), le RSA italien pour les plus démuni.es, au droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse), au droit à la procréation assistée... tandis qu’en Espagne, le principal parti d’extrême-droite va jusqu’à nier l’existence même des violences à l’encontre des femmes.

Et derrière ces têtes d’affiche, il y a des hommes, une majorité d’hommes, comme Jordane Bardella, jeune loup aux dents blanches. Sa cible préférée : le communautarisme qui sévit effectivement depuis des années dans toutes le villes et régions. Depuis plusieurs décennies, aucun gouvernement, de gauche ou de droite, n’a empoigné sérieusement la question et tenté de la traiter en profondeur, dans toute sa complexité. Un angle mort des politiques, et du pain bénit pour les extrêmes !

Cependant pour la majorité des féministes universalistes, l’entregent de groupes sectaires issu du dévoiement des grandes religions fragilise l’édifice social, et met à mal les institutions laïques, à commencer par l’école. Ils aggravent l’entreprise de démolition engagée par les politiques néolibérales, fracturent la société et fragilisent les plus démuni.es : les femmes, les pauvres, les immigré.es, bref les populations les plus modestes, qu’on appelle pudiquement la « France périphérique », qui manifeste régulièrement contre le coût exorbitant de l’essence ou, comme dans le passé, pour que « les étrangers ne mangent pas le pain des Français ». Très loin des cercles de pouvoir, des femmes aussi, comme les aides-soignantes, une profession représentée largement dans ce panel, se disent prêtes à voter pour « le seul parti qu’on n’a pas encore essayé ».

« Le 23 juin prochain nous sonnerons les alertes féministes. »

Devant cette menace « brune », et la possibilité d’un gouvernement d’extrême-droite en France, les alertes se multiplient : d’un bout à l’autre de l’arc républicain, les féministes s’emparent de la question pour faire barrage à l’extrême-droite. Pétitions et manifestations se relaient dans tout le pays pour contrer les obsessions du RN, sa haine et sa peur de l’autre (2). La France sous la coupe de l’extrême-droite est un cauchemar qui pourrait devenir réalité demain, même plusieurs de ses promesses butent sur les règles européennes ou sur la Constitution, sans compter d’une efficacité très discutable.

Plusieurs médias indépendants français ont élaboré, au début de cette semaine, l'appel "Pour un front commun des médias contre l’extrême droite", qui commence par ces lignes : « Jamais depuis la Libération, l'extrême droite, en France, ne s’est trouvée si près de la victoire. Elle porte un projet de démolition sociale, de repli chauvin, de discrimination raciste, sexiste, homophobe, de guerre aux minorités, de basculement liberticide et de régression écologique. » (3)

Si jamais ce cauchemar prenait forme, les féministes n’auront pas pour autant dit leur dernier mot. Ni, d’ailleurs les journalistes.

Notes :
1. Le Nouveau Front Populaire est la coalition de quatre forces politiques : LFI (La France Insoumise), le PCF (Parti Communiste Français), le PS (Parti Socialiste) et EELV (Europe Ecologie Les Verts).
2. @ALERTESFEMINISTES LE 23 JUIN regroupe une centaine d’associations françaises, prêtes à manifester dans toute la France. En outre, de nombreuses féministes issues du Front Féministe international (80 membres de sept pays : Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, États-Unis, France et Italie), toutes co-signataires du Manifeste, se joindront à ces manifestations.
3. MedFeminiswiya.net est signataire de cet appel.
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