Entretien avec Fathia Saïdi, docteure en sociologie, professeure à l’Université de Tunis et activiste féministe

Dans cet entretien exclusif, Fathia Saïdi, parle des contextes sociologiques et genrés des femmes dans les guerres, en mettant en lumière leur participation à la résistance et à la défense du droit à l’autodétermination. Elle traite également la question du prix exorbitant qu’elles payent à travers leur exposition au viol, à l’agression et au meurtre, une arme d’une sauvagerie accrue dans les guerres actuelles.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)

Comment se manifeste le rôle des femmes dans les guerres à travers le passage du rôle de victimes de leurs conséquences à celui de participantes actives ?

Les femmes et les enfants sont comptés parmi les catégories fragiles et vulnérables surtout dans les périodes de guerre. Les femmes sont la plupart du temps victimes des conflits armés et souffrent non seulement de la violence armée mais aussi d’une violence dirigée contre elles en tant que femmes parce qu’elles sont exposées au viol, à l’agression et au harcèlement sexuels. Ce sont des actes visant à provoquer leurs proches et à leur arracher des aveux.

Ainsi, la représentation du rapt des femmes dans les sociétés anciennes durant les guerres et celle des femmes comme butin de guerre demeurent ancrées dans l’imaginaire collectif des peuples modernes. C’est ce qu’on observe aujourd’hui à Gaza dans la guerre contre l’entité sioniste, où des informations ont fait état de viols et d’autres actes de violence spécifique contre les femmes. Malgré cela, les femmes contribuent grandement à l’instauration de la paix et à la lutte contre la guerre, ce qui se manifeste dans plusieurs pratiques, actions et rôles qui peuvent être catégorisés de différentes manières. D’une part, au niveau de leur implication sociale : elles apportent des soins aux victimes de guerre et aux enfants, elles se mobilisent pour secourir les blessés, et fournir de l’aide matérielle aux familles en mettant à leur disposition des abris, de la nourriture et de l’eau.

Au niveau politique et militant, leur rôle le plus évident réside dans leur participation aux manifestations pour la paix et pour l’arrêt des guerres. De même, les femmes peuvent participer aux négociations pour le soutien aux combattants et aux défenseurs du droit à l’autodétermination, en plus de l’adhésion aux organismes de la société civile, de l’organisation de campagnes contre la guerre, pour la défense des droits humains et pour l’application des accords internationaux ou celle des Quatre Conventions de Genève.

En général, les femmes peuvent jouer plusieurs rôles dans une période de guerre et leurs voix peuvent avoir un écho important d’autant plus que de nombreux accords internationaux leur garantissent des droits spécifiques et interdisent la discrimination basée sur le sexe.  En tant que population civile, elles doivent être également protégées dans tous les conflits armés. En effet, les Conventions de Genève criminalisent l’agression des civils quelles que soient leurs caractéristiques.

Comment voyez-vous le rôle historique des femmes dans l’Organisation de la Croix-Rouge au cours des époques, qui s’est accompagné d’immenses sacrifices de la part des femmes dans le secours et l’aide humanitaire après la Première et la Deuxième Guerre mondiales ?

Tout d’abord, la Croix-Rouge a été fondée en 1859 à Solferino, ville située dans le nord de l’Italie, grâce aux efforts d’un citoyen suisse, Jean-Henry Dunant, qui a appelé à établir en temps de paix des comités de secours constitués d’infirmières et d’infirmiers pour soigner les blessés en temps de guerre. Il a invité à les reconnaître en qualité de bénévoles dans le domaine du travail médical, en vertu d’une convention internationale.

A la suite de la constitution du premier noyau en 1863, lors d’un Congrès international auquel ont participé 12 Etats et 4 associations féminines, le rôle de la Croix-Rouge a commencé à se manifester sur le terrain et a été couronné par l’adoption de la première Convention de Droit humanitaire international : « La Convention de Genève pour l’amélioration de la condition des blessés des armées combattantes », promulguée en 1864. Les efforts ont été poursuivis pour que le champ d’application du Droit humanitaire international s’étende à d’autres catégories de victimes, comme les prisonniers de guerre et les civils.

A la suite de la Deuxième Guerre mondiale, en 1949, s’est tenu un Congrès diplomatique réunissant de nombreux Etats, au cours duquel a eu lieu l’adoption des Quatre Conventions de Genève grâce auxquelles a été renforcée la protection des civils en temps de guerre.

Ces Conventions ont été complétées en 1977 par deux Protocoles supplémentaires. Ainsi, ces quatre Conventions de Genève complétées par les deux Protocoles supplémentaires sont considérés comme les bases du Droit international humanitaire, également nommé Droit de la guerre. Les femmes ont pris une part importante dans le rôle joué par le Comité international de la Croix-Rouge. Elles ont été partie prenante de la fondation du premier noyau, en plus de leur participation aux opérations de secours dans toutes les sections qui ont été créées dans tous les Etats, que ce soit sous l’appellation de Croix-Rouge ou de Croissant-Rouge.

A titre d’exemple et non de manière exhaustive, le Croissant-Rouge égyptien a joué un rôle éminent pendant la guerre de 1948, quand les bénévoles ont collecté les donations pour les Palestinien.ne.s, ont géré un camp de réfugié.e.s, fourni des couvertures, des vêtements et des produits de première nécessité, ont enseigné aux enfants à lire et écrire, etc. Si nous produisons cet exemple, c’est pour mieux faire apparaître quelques-uns des rôles des femmes bénévoles de la Croix-Rouge ou du Croissant-Rouge, aujourd’hui encore dans la guerre qui a lieu à Gaza.

Comment les femmes payent-elles la facture de la sauvagerie des guerres en termes de meurtres et de viols ?

Ce qui s’est passé dernièrement au Soudan comme opérations de viols à grande échelle est assurément une facture payée par les femmes. Mais cette facture peut se retourner contre miliciens agresseurs dans la mesure où le viol est puni par le Droit international et le Droit national. En outre, cet acte, en raison de son horreur, peut affaiblir la partie à laquelle appartiennent les criminels. En effet, c’est un des crimes de guerre également puni par la Cour internationale de Justice, ou la Cour pénale internationale dont les décisions sont considérées comme contraignantes, contre les Etats ou contre les individus ayant commis ce genre de crimes. Ceux-ci étant comptés parmi les actes les plus condamnés au niveau international et national.

Tandis que les guerres sont injustes avec les femmes, voyez-vous plus de justice pour les femmes dans les processus de paix ?

De façon générale, je ne vois pas de justice dans les processus de paix, surtout aujourd’hui où le double standard dans les critères internationaux apparaît d’une façon claire et nette quand il s’agit d’appliquer le Droit international relatif aux Droits de l’Homme et le Droit international humanitaire dans la guerre de libération de la Palestine qui dure depuis 75 ans.

L’entité sioniste, qui ne reconnaît aucune des conventions internationales de L’ONU, a sans doute violé le Droit de la Guerre pendant l’actuel conflit armé qui a commencé le 7 octobre 2023 et qui cible civils, femmes, enfants, d’une manière directe, dans le but de commettre un véritable génocide. Comment alors envisager un quelconque processus de paix avec un ennemi aussi monstrueux ? Et dans ce contexte qui peut rendre justice aux femmes ? C’est une interrogation négative, clairement, mais c’est aussi une interrogation qui fait apparaître la faible confiance dans les mécanismes internationaux existants aujourd’hui. Ce sont des mécanismes défectueux qui exigent d’être révisés par les Etats membres des Nations Unies et cette révision ne peut avoir lieu sans la pression que peuvent exercer les peuples et les organismes de la société civile dans tous les pays.

Comment analysez-vous la procréation dans le processus de la guerre palestinienne et est-ce que cela représente un acte de résistance ?

La procréation est une contrepartie de l’occupation et du génocide. Autant l’ennemi sioniste est déterminé à nier son adversaire palestinien, autant celui qui défend sa terre est déterminé à y rester. Pour cela, la procréation compte parmi les actes de résistance, c’est une action pour continuer d’exister et d’assurer la descendance palestinienne. Je pense que le grand nombre de naissances en Palestine est une stratégie de défense qui fait partie d’une politique publique et populaire adoptée dans les territoires palestiniens. Autrement dit, c’est un acte conscient, effectué après une réflexion sur les formes possibles de résistance.

Quitter la version mobile