La non-mixité imposée

Dans plusieurs pays musulmans, dont l’Algérie, cette nouvelle est saluée par une partie de la population qui voit en la mixité un danger pour la société

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Si la non-mixité choisie peut être utilisée comme outil par les militantes de par leurs expériences communes afin de développer une analyse politique et des stratégies de lutte, cette pratique reste isolée, voire à l’opposé de la non-mixité imposée.

Le mois dernier, le Koweït a mis fin à la mixité dans les universités. Malgré les protestations des étudiant.e.s, cette année les cours seront non-mixtes. Dans plusieurs pays musulmans, dont l’Algérie, cette nouvelle est saluée par une partie de la population qui voit en la mixité un danger pour la société. Pourtant, une organisation non mixte est déjà instaurée dans de multiples lieux, sans que cela ne favorise un recul des violences contre les femmes.

En Algérie, dès qu’une file se forme dans les boulangeries, la poste, ou devant n’importe quel guichet, cette file se divise en deux : celle des femmes, et celle des hommes. L’un passe après l’autre, une femme, puis un homme, et une femme encore. Lorsque la file masculine est plus longue, deux hommes passent avant de céder la place à une femme.

La non-mixité ou encore la séparation marquée selon le sexe est pratiquée dès l’enfance. À l’école primaire, des tabliers roses pour les filles et bleus pour les garçons sont obligatoires, les tabliers blancs leur sont interdits. En plus de cette séparation par la couleur, dans les cours d’écoles, des rangs bleus et des rangs roses sont organisés.

Asma, maman d’une fillette de 9 ans inscrite dans une école à Alger, a été convoquée quelques jours après la rentrée par la maitresse de langue arabe, car sa fille était assise avec un garçon : « cela ne me pose aucun problème que ma fille s’assoit avec un camarade de classe, qui de plus est un voisin, l’en empêcher supposerait qu’il y a quelque chose de mal à cela. La maitresse considère ça comme étant anormale, j’ai dû me plaindre au directeur pour qu’il intervienne. Ma fille m’a informée que la maitresse l’a quand même changé de place par la suite pour la mettre avec une fille ».  Quant aux parents du garçon, ils n’ont pas été convoqués.

Une séparation des sexes s’opère et se poursuit au collège et au lycée. Même si les classes sont mixtes, certains professeurs ou directeurs peuvent imposer la non-mixité : séparation des tables, interdiction à une fille et un garçon de rester ensemble dans la cour avec convocation des parents, surtout ceux des filles.

Hakima, jeune fille de 18 ans, raconte qu’elle a subi un harcèlement de la part de plusieurs surveillantes de son lycée à Blida car elle discutait avec des garçons dans la cour : « j’avais plusieurs amis, dont un avec lequel je passais du temps. Les surveillantes me parlaient avec mépris, elles cherchaient le moindre prétexte pour me punir, l’une d’elles avait convoqué mes parents en insistant que ce soit mon père qui vienne. Elle lui a dit qu’il fallait me surveiller davantage et qu’elle avait peur pour moi à cause de mon comportement. Heureusement mon père ne l’a pas crue. Elle continuait à me demander de fermer mon tablier même s’il n’y avait qu’un bouton ouvert. Si je mettais du gloss elle me demandait de l’enlever. Et surtout si je parlais à un garçon, elle nous disait de nous éloigner l’un de l’autre, alors qu’on n’était absolument pas rapprochés. »

"La société crée ainsi une véritable ségrégation des sexes, avec interdiction de se parler sauf strict nécessité, interdiction de se fréquenter, de se serrer la main.

Ces dernières années, de nombreux lieux tels que restaurants, piscines, spas, plages, campings, hôtels, comportent des pancartes mentionnant que le lieu est « familial » ou encore « interdit aux couples ». Certaines plages, dont celles de la capitale, ne sont occupées que par des hommes, sans que l’accès ne soit formellement interdit aux femmes ; pour elles, de plus en plus de plages privées voient le jour. Pour être en mixité tranquillement, le recours à des espaces privés est de plus en plus récurrent. Yasmine, trentenaire, préfère les espaces non-mixtes : « quand je vais à la plage privée réservée aux femmes, je sais que je serai tranquille, que je n’aurai pas le regard des hommes sur moi. C’est soit ça, soit je ne vais pas à la plage. »

Lors des fêtes de mariage, la séparation est clairement marquée : il existe une salle pour les femmes, et une salle pour les hommes, ou sinon ils restent à l’extérieur. Les fêtes mixtes, qui étaient plus courantes durant le début des années 2000, se font rares aujourd’hui. Pourtant, malgré la non-mixité, le regard pèse encore. Des vidéos, filmant des femmes en train de danser en non-mixité, sont diffusées sur internet et font des millions de vues. Pour faire face à cela, des agences de contrôle ont vu le jour afin de retirer les téléphones aux invitées, ou encore surveiller une quelconque femme qui filmerait durant la fête.

Plusieurs appels sur les réseaux sociaux ont émergé afin de créer des transports différents pour les femmes et les hommes, ou encore pour séparer les sièges selon le sexe. La motivation derrière cette séparation serait d’empêcher la « fitna » (la tentation). D’un autre côté, face au harcèlement sexuel largement répandu, l’utilisation des transports en commun est un véritable calvaire pour les femmes. Djamila, femme trentenaire d’Oran, y voit une solution temporaire : « je dépense énormément d’argent dans les taxis, je n’arrive plus à supporter les remarques des hommes et leur insistance. Rien que ce mois-ci, un homme m’a touché les fesses dans le bus. Je fais en sorte de m’asseoir avec des femmes quand je peux, mais ce n’est pas toujours possible et la présence de n’importe quel homme est devenue un potentiel danger. »

Même pour les soins médicaux, de nombreuses femmes préfèrent aller chez des médecins femmes. Il n’est pas rare que des hommes refusent à leurs épouses d’aller consulter chez un homme. Dans les cabinets, il y a des salles d’attente pour femmes et des salles d’attente pour hommes. Dans les mosquées, la grande salle est pour les hommes, tandis que la petite salle, souvent isolée, est pour les femmes. Exception faite pour Masjid el Haram, grande mosquée de la Mecque, où les hommes et femmes prient ensemble, mais pas côte à côte, les hommes sont devant, les femmes derrière. Tout est fait pour séparer les sexes. Lorsque la séparation de l’espace n’est pas possible, les femmes sont cachées au regard par le voile.

Cette non-mixité est largement imposée par le discours religieux, diffusé à outrance par les chaînes télévisées et sur les réseaux sociaux. Rien qu’en septembre, l’imam Chemseddine Bouroubi a publié une vidéo où il annonce clairement que c’est strictement haram (interdit religieusement) aux femmes d’aller consulter chez un gynécologue homme, sauf nécessité vitale. De nombreuses fatwas faites par le Cheikh Ferkous, prêcheur salafiste, interdisent formellement la mixité, allant jusqu’à interdire aux femmes de travailler car ce serait à leurs tuteurs de subvenir à leurs besoins ; en cas d’impossibilité, elles doivent être voilées. Il argue aussi que « lorsqu’une femme a besoin de sortir de chez elle pour régler certaines de ses affaires, comme pour se soigner, faire ses courses ou aller à la mosquée (…) elle ne peut sortir qu’avec l’autorisation et l’accord de son tuteur ou de son mari » (Fatwa n°451 du Cheikh Ferkous).

Plus la non-mixité est imposée, plus un voyeurisme s’instaure et les violences contre les femmes s’accentuent.

Ce genre d’interdits pullulent partout sur internet et la société instaure une organisation qui applique ces indications. Selon ces imams, la mixité représente un danger pour les mœurs et serait la cause d’un des plus grands fléaux : les relations sexuelles. Pourtant, plus la non-mixité est imposée, plus un voyeurisme s’instaure et les violences contre les femmes s’accentuent. Cela crée, comme on peut le voir dans de nombreuses villes, des rues où les femmes sont complètement absentes, ou si on les croise, elles doivent emprunter l’espace publique pour aller d’un endroit fermé à un autre et rester cachées sous le voile. La non-mixité est plus une manière d’exclure les femmes, si l’on peut entendre une voix d’homme appeler à la prière cinq fois par jour, aucune voix féminine dans aucune mosquée des pays musulmans ne fait l’adhan (l’appel à la prière), le tajweed (lecture psalmodiée du Coran) des femmes est également restreint dans les espaces mixtes, tandis que celui de l’homme ne l’est pas. Même lorsqu’une même famille fait la prière ensemble, c’est l’homme qui récite et jamais la femme.

La société crée ainsi une véritable ségrégation des sexes, avec interdiction de se parler sauf strict nécessité, interdiction de se fréquenter, de se serrer la main. Tout rapport entre les deux sexes devient suspicieux, tout dépassement de la part des hommes est justifié par les habits ou comportements des femmes : harcèlement de rue, viols, violences physiques. Car hommes et femmes sont séparés soit par l’espace, soit par le voile islamique. Ce modèle est pourtant basé sur un mensonge : que l’homme ne pourrait se contrôler et que s’il est tenté c’est de la faute de la femme, ainsi ses actes à lui sont justifiés et il est déresponsabilisé. Pourtant, les enfants ne sont pas épargnés par les nombreux pédo-criminels. Que faut-il faire, cacher les petites filles et les petits garçons ?

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