Berlusconi et les femmes, un lourd héritage

Il est vrai qu'une personne est morte et que, selon la coutume, on ne doit pas dire du mal d'un mort. Mais nous devons nous souvenir de la dévastation culturelle misogyne et sexiste de l’“ère Berlusconi”, dans laquelle nous nous trouvons encore immergé.e.s.

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Dans notre culture, la mort semble effacer tous les aspects désagréables de l'être humain : ceux qui restent se sentent presque toujours, dans l'espace public comme dans l'espace privé, obligés de ne pas “dire du mal du cher défunt”.

Je voudrais, au contraire, prendre un parti impopulaire et désagréable pour rappeler la dévastation culturelle misogyne et sexiste de l’“ère Berlusconi” en Italie, dans laquelle nous sommes fermement ancré.e.s et dont nous ne risquons pas de sortir de sitôt.

Le problème n'est pas le rapport de Silvio Berlusconi avec les femmes, mais comment il a été possible que, à l'exception de quelques rares cas d'opposition et d'alarme, un pays européen de l'Occident industrialisé ait exprimé un consensus aussi incontesté à l'égard de la sous-culture véhiculée par l'appareil ménager le plus populaire dans les foyers italiens.

Avec la télévision, dont le parti communiste italien ne s'est pas rendu compte dans les années 1980 qu'elle serait la clé du pouvoir absolu, l'entrepreneur est entré dans chaque pièce, dans l'intimité et dans le subconscient de notre pays et a dicté, presque sans contestation, les règles mercantiles des relations entre les femmes et les hommes pendant au moins deux générations. Phénomène décrit en une demi-heure dans la vidéo de Lorella Zanardo Il corpo delle donne (Le corps des femmes) disponible avec les sous-titres en anglais.

Le paradigme de la télévision commerciale des seins et des culs, des showgirls et des filles de joie, des programmes tels que Uomini e donne (Hommes et femmes) et Il grande fratello (version italienne de Big Brother) sont l’impudence, la vulgarité, l’éthique et l’esthétique de la vente de soi érigées en système et en valeur. Sauf au moment du sommet du G8 à Gênes en 2001, lorsqu’il fut exigé que les vêtements normalement étendus pour sécher (en particulier les sous-vêtements et les culottes) ne soient pas exposés aux balcons et aux fenêtres, parce qu'ils auraient pu potentiellement importuner les invités internationaux.

Mi-2009, Veronica Lario, alors épouse de Silvio Berlusconi, écrit une lettre dans laquelle elle stigmatise le comportement de son mari (qui aime, entre autres, fréquenter des mineures), entamant ainsi la voie rapide qui mènera à leur divorce.

Les journaux et les chaînes de télévision appartenant à son célèbre mari se distinguent par une attaque directe contre Veronica Lario, la décrivant comme une femme âgée en surpoids.

L'ancien Premier ministre s'était déjà rendu célèbre au niveau planétaire pour (j'en oublie sûrement) avoir traité de nazi un député vert allemand ; avoir fait les cornes derrière la nuque d'un collègue ministre sur une photo officielle ; avoir conseillé à une jeune femme précaire d'épouser un homme riche (peut-être son fils) pour “se caser”.

Les “dîners élégants” - avec la participation de jeunes femmes payées pour leur présence - avaient déjà émergés. La “nièce de Moubarak” était devenue une histoire planétaire : Karima El Mahroug, dite « Ruby Rubacuori », jeune femme d’origine marocaine avait été arrêtée par la police de Milan pour avoir commis un vol la nuit du 27 mai 2010. Qu’à cela ne tienne : Berlusconi, en tant que président du conseil, obtint sa libération immédiate sous prétexte qu’il s’agissait de la nièce du président égyptien. Il y eut aussi la chancelière Merkel traitée de “gros cul imbaisable” par celui qui est désormais considéré comme un homme d'État digne de funérailles nationales, en vertu d'un protocole institutionnel inoxydable.

Au début de l'année dernière, s’est présenté le risque de le retrouver à la présidence de la République. Un groupe de femmes avait alors lancé un appel contre cette possibilité, ce qui démontre à quel point la normalisation est au cœur du vaste problème italien. Ainsi fut acceptée - même parmi les forces politiques de gauche - qu'une figure comme celle de l'ancien Premier ministre, président de Forza Italia, puisse occuper la première fonction de l'État, et ce en dépit de qu’il avait signifié pour la politique italienne, oubliant qu’il avait été définitivement condamné en 2013 pour fraude fiscale.

En décembre 2022, alors que sa jeune « femme », pour ainsi dire*, était assise à un demi-mètre de lui et l'écoutait, Berlusconi encouragea le Monza, son équipe de football, en lui faisant une promesse alléchante : lui offrir un bus rempli de prostituées en guise de récompense pour la victoire. Le mot exact utilisé était “putes”.

Un héritage vraiment lourd à porter...

*Silvio Berlusconi a “épousé” sa dernière partenaire, Marta Fascina, 53 ans plus jeune que lui, le 19 mars 2022 au cours d’une fête de mariage organisée dans sa résidence, célébration sans aucune valeur légale.

La version italienne de cet article à été publiée par MicroMega 

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