Malika Kadri, poétesse de rue

Rebelle avec gentillesse, fantasque sans mauvais gout, géniale sans affectation et surtout résiliente comme un chant des Aurès. En cette froide soirée de mars dans le 20e arrondissement de Paris nous avons rencontré Malika, une femme dont la vie - ou plutôt les vies - est, pardon pour le cliché, un vrai roman.

Ce soir-là, elle raconte ses aventures de fille d’immigré, elle récite quelques-uns de ses très beaux textes.  « Imagine, imagine une rose et un jasmin s’échanger robe et parfum… Imagine, imagine, imagine un monde sans guerre ; Paix sur terre. Tous frères. »*

Sa complice et amie Anne-Marie Lallemant est là aussi pour présenter le film « M comme Malika » réalisé en 1980. Mais commençons par le commencement.

Des Aurès à la Strada de Fellini

En 1950 le père de Malika décide de quitter Batna la capitale des Aurès dans l’est de l’Algérie pour s’installer en France. Il vient de sortir de la tristement célèbre prison Lambèse où il avait été détenu pour activité subversive. Le feu de la révolution algérienne couve mais l’heure de l’insurrection n’a pas encore sonné. A sa libération il découvre que les autorités coloniales françaises l’ont dépouillé de tous ses biens. Comme pour de nombreux Algériens l’exil est alors la seule option pour survivre.

Toute la famille embarque pour Marseille puis prend le train pour Paris. Le rêve s’effondre gare de Lyon. Le pas de porte, toutes ses économies, que le père a versé est allé dans les poches d’un escroc, aucun logement n’attend la famille qui se retrouve dans les rues de la métropole. Les services sociaux s’emmêlent. La mère et les garçons vont dans un foyer, Malika et sa soeur placées en famille d’accueil du côté d’Angoulême. La petite algérienne est traitée comme une servante, travaillant dans la maison et dans le jardin, nourrissant poules et lapins du matin au soir. Elle fait l’expérience du racisme « pourquoi tu as les oreilles percées, tu es une sauvage. » Lorsque le fils de la maison est appelé dans l’armée coloniale en Algérie sa mère menace Malika « si mon fils meurt je te tue ».

Mais la jeune fille préfère rêver et ne retient de ces années que sa découverte du cinéma avec le film de Féderico Fellini « La strada » ( 1954). Evidemment. Le cauchemar finit et la famille Kadri trouve enfin un logement. L’adolescente ne s’attarde pas à l’école, il faut gagner sa vie. Elle est ouvrière dans un établissement réputé de confection de vêtements pour les magistrats. En ces années soixante Paris retient son souffle avant l’explosion de mai 1968. La jeune fille explore la ville, se promène, se débrouille pour entrer gratuitement au cinéma. Mais déjà des mots lui traversent l’esprit. Quelque chose murit en elle. Elle fréquente les cafés du quartier latin et commence à déclamer sa poésie.

Mai 1968. Malika chante ses poèmes sur les barricades.

Elle prend part à la révolte, elle déambule dans les rues au milieu des étudiants et les policiers en déclamant ses strophes de solidarité et d’amour. Elle veut comprendre le sens de l’Histoire et y participer. Elle assiste aux cours de la célèbre université expérimentale de Vincennes, y croise Bourdieu et les icônes de la gauche. En ces années d’ivresse post mai 1968, c’est un personnage incontournable du quartier latin. En robe berbère, les cheveux au vent, elle fait du stop pour voyager en France, dans les pays scandinaves allant là où la pousse l’aventure. Sa poésie coule comme une eau vive s’inspirant de la joie d’être libre, donnée en cadeau à tous ceux qui croisent son chemin. Et ils sont nombreux à s’arrêter pour elle. Le cinéma lui propose de petits rôles, Château de l’espérance, La journée de la jupe.

Elle touche au théâtre. En 1972 elle est recrutée par Jean-Marie Serreau pour les premiers festivals annuels de Fort-de-France, Martinique, mis en place par Aimé Césaire. Il faut écouter Malika raconter ses péripéties administratives en Martinique car elle n’est pas encore naturalisée française, ses échanges avec Césaire qui dirigeait lui-même la troupe. Des grands noms, Malika peut en citer un certain nombre sans prétention.  

Puis un jour dans un café de la rue Buci à Paris elle rencontre Anne-Marie Lallemant. Les deux jeunes filles sympathisent l’une fascinée par l’exubérance de l’autre. La jeune Anne-Marie revient d’Algérie où elle devait tourner un film sur la Kabylie. Elle rentre bredouille mais elle a un bon stock de pellicules. Elles serviront à réaliser son film « M comme Malika » sorti en 1980.

M comme magnifique

Quarante ans plus tard cette jeune fille un peu philosophe, un peu hors norme et déjà poétesse est encore là. Quelques cheveux blancs, quelques rides, un fils artiste aussi et toujours ce sourire communicatif et cette même lumière dans les yeux. Elle offre ses paroles aux terrasses de café sur le canal de l’Ourcq, dans les restaurants de l’est parisien et réussit chaque fois à « décoincer les bobos et les « bourgeois » qui finissent « par m’applaudir ». Elle ne demande pas d’argent elle ne vend pas sa poésie qui n’est d’ailleurs pas encore publiée… Elle la donne à tous ceux qui ont besoin d’amour, d’espoir et de réconfort.

Lorsque la maladie la frappe, elle transforme la salle d’attente d’un hôpital parisien en scène pour déclamer ses vers et les offrir aux femmes atteintes comme elle d’un cancer. Infatigable, elle poursuit ses déambulations parisiennes. Si vous la croisez n’hésitez pas à accepter le poème qu’elle vous donnera, c’est de bon cœur !

Rien ne semble pouvoir ternir la joie de vivre de Malika, rien ne semble pouvoir ébranler sa foi en l’humanité. Malika n’est pas naïve, elle est loin d’être ignorante mais elle refuse de céder à notre environnement anxiogène et à la quête de la vie parfaite. Elle a tout simplement décidé de vivre libre et d’aimer les autres.

 

Imagine, imagine.. à écouter.

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