Quand pourrons-nous arrêter d’avoir quelque chose à prouver ?

C’est ce qui me dérange avec ce jour mondialement réservé aux femmes. Que nous ayons besoin de prouver, ou, tout du moins, de bombarder les autres de posts jusqu’à ce qu’ils soient convaincus que les femmes ne valent pas moins que les hommes. Tout comme nous devons prouver aux agresseurs que nous ne valons pas moins qu’eux. Le parallèle est indéniable.

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En m’asseyant pour écrire cet article, je n’avais rien à dire. Je n’ai jamais vraiment été convaincue par ces Jours Que l’On Doit Célébrer, et je ne peux pas m’empêcher de lever les yeux au ciel devant la plupart des articles et des posts qui pullulent tous les ans à cette période. Parce que c’est bien là tout ce que nous avons. Un post, un hashtag, et puis nous, peuple de l’internet, sommes conduits collectivement vers la Nouvelle Tendance. Cette désillusion vis-à-vis des réseaux sociaux n’est pas le reflet d’une désillusion vis-à-vis de mes propres convictions. Mais je suis de plus en plus pessimiste quand il s’agit du collectif, ou de quoi que ce soit qui échoue à dépasser l’égocentrisme du marketing de soi et de l’accouchement-de-soi individuel.

Il est alarmant d’être le témoin en temps réel de cette traduction de la performativité des réseaux sociaux dans le monde matériel. Traduction en modes de comportements, en publications, puis, inévitablement, en influence de l’opinion des autres. Car nous n’existons pas isolé.e.s les un.e.s des autres, et nous sommes bien influencé.e.s par ce que nous lisons et ce à quoi nous sommes exposé.e.s, ce qui signifie que le monde en ligne nourrit le monde du dehors de telle manière que la performativité s’immisce dans nos comportements de la « vraie » vie. Les gens sont comme des acteurs : tout ce qu’ils font ne veut que prolonger l’image qu’ils ont créée d’eux sur internet.

Alors que de telles tendances individualistes deviennent de plus en plus répandues, on me pardonnera de penser que cette performativité si imposante contribue à l’échec de nous organiser collectivement et de nous unir.

Les gens sont comme des acteurs : tout ce qu’ils font ne veut que prolonger l’image qu’ils ont créée d’eux sur internet.

On le voit tous les jours dans ce monde de plus en plus polarisé, où l’algorithme est roi et valide jusqu’aux plus dangereuses de nos pensées. On le voit à travers cette colère presque mécanique qui monte en nous lorsqu’on nous décrit comme des sauvages, ce qui nous conduit alors à nous ruer pour prouver le contraire au parti qui a lancé les hostilités. C’est ce qui me dérange avec ce jour mondialement réservé aux femmes. Que nous ayons besoin de prouver, ou, tout du moins, de bombarder les autres de posts jusqu’à ce qu’ils soient convaincus que les femmes ne valent pas moins que les hommes. Tout comme nous devons prouver aux agresseurs que nous ne valons pas moins qu’eux. Le parallèle est indéniable.

Mais la première question que je me pose reste : pourquoi ? Pourquoi voudrait-on, ou aurait-on besoin, de chercher la validation du parti adverse, ou de n’importe qui ? N’est-ce pas absurde de volontairement (même si cela se fait peut-être aussi inconsciemment) donner le pouvoir à quelqu’un de déterminer sa propre humanité ?

Ce qu’il y a de drôle dans tout ça, c’est qu’on ne peut jamais gagner. Je l’ai constaté toute ma vie : que ce soit aujourd’hui ou étant plus jeune, j’ai toujours été accusée d’être trop féministe, comme si c’était une mauvaise chose en soi. Et on m’a constamment mis dans le rôle de la rabat-joie, d’abord et surtout ceux qui se revendiquaient comme des alliés irréductibles. Tout cela ne veut pas dire que nous ne devrions pas essayer de faire prendre conscience aux gens des inégalités endémiques dans le monde, mais où poser la limite ? Quand est-ce qu’il n’est plus de notre ressort de dépenser de l’énergie pour nous faire entendre et qu’il revient aux autres de prendre la responsabilité d’apprendre par eux-mêmes ? Pourquoi est-ce si rare que les gens dépassent la première couche, aussi éclatante soit-elle, de ce qu’ils voient ou lisent, et se mettent à penser de manière critique aux quoi, comment et pourquoi de la situation ?

Bref, je crois que c’est Angela Davis qui a écrit quelque chose à propos des douleurs de l’enfantement de la conscience politique. Même si le contexte historique dans lequel elle y faisait allusion était différent de notre contexte actuel, il semble bien que plus en plus de gens, jusque-là perchés sur le piédestal de leurs privilèges, expérimentent ces douleurs de l’enfantement et tentent de venir à bout, non sans douleur, des effets secondaires et, même, des moteurs de ces privilèges.

Mais comment être sûr que la pensée individuelle se traduise en action collective ? La question se fait vieille, et même les arguments sont usés. Je ne suis pas sûre d’avoir la réponse. La seule chose que j’ai, ce sont plus de questions. Trouvons les réponses ensemble.

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