Laura et Brenda : deux réfugiées accueillies en Espagne après avoir fui des violences sexistes dans leur pays

En Espagne, la loi portant sur le droit d’asile inclut les « persécutions de genre et d’orientation sexuelle ». L’association Rescate apporte son soutien aux demandeur.euse.s d’asile qui ont fui leur pays pour des raisons liées au genre, et prend en charge des centaines de personnes ayant subi des violences sexistes, y compris les victimes de trafic sexuel.

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«C’était mon ombre, un monstre qui m’a attendu un jour au coin de la rue, prêt à me tuer. Il m’a attrapé par les cheveux et m’a tenue au sol jusqu’à ce qu’il arrive à me mettre dans la voiture. J’ai pu prévenir ma mère, mais c’était trop tard. Il a lancé le moteur à toute allure, aussi vite que mon cœur battait.  Je criais et je le suppliais de me laisser partir. Je pleurais pour mes enfants. Je ne sais toujours pas ce qu’il s’est passé, mais il s’est arrêté d’un coup et m’a laissée sortir de la voiture. Maintenant que je raconte cette histoire, je ne sais pas comment je m’en suis sortie vivante. » C’est ainsi que Laura - sous un nom d’emprunt afin de protéger sa sécurité et celle de sa famille - se rappelle l’un des épisodes les plus terrifiants de sa vie, obscurcie par la violence que son ex-compagnon et père de ses enfants exerçait sur elle.

Pour échapper à son agresseur, Laura a dû traverser tout un océan, partir d’Amérique Centrale et se rendre en Espagne, où elle espérait échapper à ce supplice qui l’empêche encore de dormir. Cependant, peu de temps passe et sa vie bascule de nouveau. Arrivée en Europe avec une fausse promesse de travail comme employé de maison devant lui permettre de se remettre sur pied, Laura se fait prendre dans un réseau de trafic d’exploitation sexuelle de femmes et de filles.

« On se coiffait les unes les autres et parfois, on rigolait en se disant que si on nous mettait en prison, on s’en ficherait... on vivait déjà dans une prison »

« La première fois que j’ai dû me prostituer, je n’arrivais plus à m’arrêter de pleurer. Les larmes qui coulent aujourd’hui quand je m’en rappelle ne sont rien comparées à celles que j’ai versées ce jour-là. Je n’arrêtais pas de supplier Dieu de me pardonner. Je me sentais sale, mais il n’y avait pas assez d’eau au monde pour laver ma douleur, ma culpabilité et ma honte », confesse Laura en essuyant ses larmes.

Laura, survivante, 25 ans - image fournie par l'association Rescate

Après avoir été obligée de le faire, encore et encore, elle a rencontré d’autres femmes, qui, comme elle, étaient des mères séparées de leurs enfants par des milliers de kilomètres et à qui on avait fait miroiter la promesse d’un emploi décent qui leur permettrait d’offrir un futur meilleur à leur progéniture.

Cette femme de 25 ans décrit comment elle vivait avec toutes les filles qu’elle a rencontrées dans une pièce aux lits superposés, où on les enfermait toute la journée. Elle vivait avec des étrangères, qui sont rapidement devenues une source de soutien et de consolation immense pour elle. « On se coiffait les unes les autres et parfois, on rigolait en se disant que si on nous mettait en prison, on s’en ficherait... on vivait déjà dans une prison »

Heureusement, la jeune femme parle au passé puisqu’aujourd’hui, elle a réussi à échapper à ce réseau de trafic grâce au soutien de l’équipe de « Médecins du Monde » qui lui a conseillé de demander une protection internationale et d’accéder au système d’accueil de l’Etat, via l’ONG Rescate. Cette association spécialisée dans les problèmes de genre offre un soutien légal et psychologique aux femmes victimes d’abus et gère sept structures d’accueil pour les demandeuses d’asile qui ont fui leur pays pour des motifs liés au genre. En d’autres termes, Rescate prend en charge et recueille des femmes qui sont victimes de pratiques traditionnelles, culturelles ou religieuses dangereuses, telles que les mutilations génitales et les mariages forcés ou précoces.

L’ONG apporte aussi son aide aux femmes dont les droits sexuels et reproductifs sont bafoués : avortements refusés ou imposés, stérilisations ou grossesses forcées, violences conjugales (voire d’ex-conjoints), tests de virginités, violences sexuelles, viols et violences sexuelles dans les conflits armés. Rescate se bat aussi contre les féminicides, le trafic d’êtres humains, ou encore les lois discriminatoires à l’encontre des femmes et des individus de la communauté LGBTQ. Des victimes ayant vécu des agressions de tous types aux survivantes des crimes les plus atroces contre l’humanité l’association essaie d’apporter son aide à toutes sans exception.

En Espagne, la loi 12/2009 portant sur le droit d’asile et la protection subsidiaire prend en compte et mentionne explicitement dans sa définition du statut de réfugié les persécutions pour des motifs de genre ou d’orientation sexuelle, et propose ainsi une définition plus large que celle spécifiée dans la Convention sur le Statut des Réfugiés des Nations Unies de 1951. Même si les statistiques officielles n’informent pas sur les motifs de l’obtention du statut, Laura est l’une des nombreuses femmes qui ont trouvé l’asile en Espagne après avoir fui des violences sexistes. « Malgré ce que j’ai enduré, j’essaie de me souvenir tous les jours que personne ne peut me couper les ailes et que je peux voler aussi haut que je le souhaite. Je suis en vie. Aussi dur que cela puisse être, je veux raconter mon histoire pour éviter à d’autres femmes de devoir vivre les mêmes épreuves que moi. Je veux la raconter pour que mes enfants continuent d’avoir une mère et puissent grandir dans le respect de l’autre. Ils sont la force qui me fait aller de l’avant », s’exclame Laura en découvrent la fleur de lotus qu’elle s’est fait tatouer sur le corps. Tout un symbole : « c’est la seule fleur capable d’éclore au milieu des broussailles » précise-t-elle.

La solitude ou l’absence de soutien : les murs auxquels font face les femmes migrantes victimes de violence

En 2018, Brenda a quitté son Argentine natale pour l’Espagne, à la recherche d’opportunités d’emploi. Elle est arrivée avec un visa touristique, et, lorsqu’il a expiré, elle s’est retrouvée avec un statut d’immigrée clandestine. Elle n’a pas eu d’autre choix que d’apprendre à vivre avec la peur et l’incertitude constante d’être renvoyée dans son pays. C’est à ce moment-là, alors que la solitude et le manque de soutien étaient au plus fort, qu’elle a rencontré celui qui deviendrait son compagnon, mais aussi son bourreau. L’homme qui a rogné jour après jour, psychologiquement et émotionnellement, à coup de dénigrements, sa confiance en elle.

La précarité et l’absence de solidarité sont des obstacles importants auxquels sont confrontées les femmes qui essaient de sortir de la spirale des violences qui leur ont été infligées

Peu après leur rencontre, le compagnon de Brenda lui propose d’obtenir le statut juridique de partenaire. Il s’agit d’un statut qui s’applique à l’union de deux personnes qui souhaitent vivre de manière permanente une relation conjugale qu’elles décident d’enregistrer de manière officielle. Ce certificat aiderait Brenda à obtenir un permis de séjour en Espagne, lui évitant les problèmes avec la police et la débarrassant, une bonne fois pour toutes, de la peur omniprésente d’être renvoyée en Argentine. Toutefois, l’offre de son compagnon finit par devenir un moyen de chantage, de contrôle et de manipulation. « Pour lui, cela voulait dire que j’étais à lui », déplore-t-elle.

Brenda a pourtant bien essayé de fuir à plusieurs reprises les humiliations et les attaques constantes qu’elle subissait, mais elle remarque qu’elle « n’avait jamais nulle part où aller, ni personne à appeler. »  Son réseau relationnel en Espagne était quasi inexistant et elle ne voulait pas que sa famille en Argentine sache ce qu’elle endurait. Jusqu’au jour où, pendant le confinement le plus strict contre la propagation du coronavirus, entre mars et mai 2020, Brenda a décidé d’appeler le 016, le numéro mis à disposition par le gouvernement contre les violences sexistes. Le numéro fournit des informations, des conseils juridiques et une assistance psychologique immédiate, donnée par un personnel spécialisé dans toutes les formes de violences faites aux femmes. Durant la période du confinement, les appels d’urgence à ce numéro ont augmenté de 60%.

« Ils m’ont dit de prendre mes affaires et d’aller au commissariat le plus proche pour porter plainte, mais j’avais peur de le faire toute seule. Ils m’ont demandé si j’avais subi des violences physiques, j’ai répondu que non, mais je leur ai raconté ses attaques psychologiques, économiques et émotionnelles, et je leur ai dit que je ne pouvais plus supporter tout cela. Ils n’ont pas pu m’aider », déplore la jeune femme.

Un jour, Brenda a fini par partir avec sa valise et s’est réfugiée chez des amis et collègues qui avaient créé un groupe de soutien collectif :  le Réseau Féministe Latino-Américain.

La précarité et l’absence de solidarité sont des obstacles importants auxquels sont confrontées les femmes qui essaient de sortir de la spirale des violences qui leur ont été infligées. Mais avec le soutien de Rescate, à travers le projet Sabina à Malaga et Madrid, certaines blessures peuvent guérir. « C’est un programme destiné à soutenir les femmes migrantes qui souffrent, ou ont souffert, de différentes formes de violences sexistes. Nous proposons des mesures de prévention et un accompagnement pour les femmes qui n’ont pas de réseau sur lequel compter, qui vivent isolées et font face aux discriminations, aux attaques, à la précarité et au travail forcé », explique Bárbara, une psychologue du programme qui met en lumière l’importance « de ces outils vitaux, que ces femmes possèdent pour aller de l’avant, malgré toute la souffrance qu’elles ont pu vivre. »

Aujourd’hui, Brenda, qui se dit féministe, veut briser le silence parce qu’elle sait que ce qu’elle a vécu « peut arriver à n’importe qui. » Elle s’exprime ouvertement sur ses souvenirs douloureux, convaincue que le partage de ses expériences peut avoir un pouvoir « thérapeutique », et que c’est une bonne manière d’aider et d’inspirer d’autres femmes migrantes en situations similaires.

*Loi 12/2009
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