Lidia est vivante

Lidia Menapace incarnait, dans ce petit corps-esprit curieux et doux que seul le Covid19 est parvenu à éteindre, l'exemple vivant d'un féminisme inclusif, se moquant du virilisme de la droite et de la gauche, d'une laïcité qui se fonde sur la liberté des corps de jouir du plaisir, de tous les plaisirs, dans le respect mutuel.

Cette publication est également disponible en : VO

Le risque c’est d'être rhétorique, car la mort assourdit les pensées par le silence du détachement. Je vais pourtant essayer de raconter l'histoire de Lidia Menapace telle qu'il m’a été donné de la rencontrer dans ma vie privée et dans mon action politique. Toute son existence a incarné l’imbrication, qui résume peut-être mieux que toute autre la pratique et la pensée du féminisme, celle qui lie la sphère intime à la sphère publique.

Lidia était le contraire de l’académisme, de la politique officielle et marécageuse, un exemple rare et inflexible de laïcité, autant de caractéristiques qui, même à gauche, ne l'ont pas rendue populaire au sommet des états-majors (les demandes de candidature au Parlement, lorsque le PCI existait, furent ignorées pendant des années tout comme celles, par la suite de sa nomination comme sénateur à vie) mais qui l'ont livrée à l'histoire contemporaine comme une figure inoubliable pour les millions de personnes de tous âges qu'elle a approchées dans ses inlassables pérégrinations.

Lidia Menapace. Photo Radio delle donne

"Et oui, je suis vraiment une péripatétique", disait-elle en souriant pour se moquer d'elle-même et détendre l'atmosphère dans les situations officielles, décontenançant les "autorités" présentes.

Jusqu'à l'âge de 91 ans, avec un minuscule sac à dos, à l'intérieur duquel il y avait toujours un livre jaune pour atténuer l'ennui du voyage, de préférence écrit par une autrice, elle montait et descendait des trains un peu partout en Italie, dans les grandes villes comme dans les petites localités, où groupes de femmes, syndicats, associations et institutions l'appelaient.

Sa disponibilité, en 2015 à l'occasion du 20e anniversaire du magazine Marea, est restée dans les mémoires. Elle était venue partager ses réflexions et ses pensées sur le vingtième siècle ; en direct et sans connaître leurs questions à l’avance, elle avait échangé avec les étudiant.e.s et les lycéen.ne.s : une preuve étonnante de créativité et de connaissance encyclopédique.

Aujourd'hui, nous dirions d’elle que c’était une icône pop, pour sa façon d'être "accessible", à tout moment, de voyager en deuxième classe et de demander à dormir chez ceux qui l'invitaient, pour permettre à ses hôtes d’économiser l'argent de l’hôtel, mais aussi parce qu'être féministe dans la pratique signifiait pour elle partager l'espace physique : cum panis, être camarade dans la proximité physique était pour Lidia Menapace la norme, et non l'exception.

Elle adorait manger ! A part les tripes, je ne l'ai jamais vue refuser quoi que ce soit dans son assiette, curieuse comme elle l’était. Et surtout elle n’aurait jamais fini un repas sans la cérémonie du "resentin". Dans la tasse de café encore chaude, elle se versait un soupçon de grappa, à savourer immédiatement, car la voie alcoolisée conduisant au féminisme, (autrefois au communisme), toute mesure gardée, ironisait-elle, est bien plus drôle et plus légère.

De culture catholique et antifasciste, auteur en 1974 d'un des premiers et des plus complets textes sur la démocratie chrétienne, Lidia Menapace n'a cessé de mettre en garde contre le danger de tomber dans le piège de la célébration inconsciente de l'imagerie de guerre, fût-elle animée des meilleures intentions.

«Prenez n’importe quel début de discours énoncé par une figure politique, même de gauche - expliquait-elle - dans les dix premières lignes, vous trouverez inévitablement des mots comme "stratégie", "tactique", "déploiement", "guerre", "bataille". Comment pouvons-nous construire la paix et la non-violence si sortent, de notre propre bouche, des concepts imprégnés de mort ? La première étape pour changer la culture toxique de la violence est de changer notre langage, en le déminant de ses images mortifères.»

Ainsi, en affirmant haut et fort que même dans le "patriarcat de gauche", la rhétorique de la guerre est largement utilisée, Lidia Menapace a également brisé le tabou romantique de la lutte partisane armée.

Elle raconte une autre histoire, totalement anti héroïque et peu connue, de la présence des femmes dans la Résistance.

Dans le documentaire que j'ai réalisé en 2006 avec le réalisateur Pietro Orsatti, intitulé « Ci dichiariamo nipoti politici » (Nous nous déclarons petits-enfants politiques), elle raconte une autre histoire, totalement anti héroïque et peu connue, de la présence des femmes dans la Résistance. « Etre partisan était un choix naturel, mais pas nécessairement un choix armé, a-t-elle déclaré. Je n'aurais jamais pu tuer quelqu'un, j'avais tellement peur des armes que j'étais terrifié à l'idée de me tirer une balle dans le pied. Les femmes ont fait de la Résistance aussi et surtout en cachant des partisans dans des maisons et des granges, risquant leur vie pour cet acte d'insubordination».

Enseignante, éprise de maïeutique, sage-femme, non pas maternelle mais solidaire, Lidia Menapace incarnait, dans ce petit corps-esprit curieux et doux que seul le Covid19 est parvenu à éteindre, l'exemple vivant d'un féminisme inclusif, se moquant du virilisme de la droite et de la gauche, d'une laïcité qui se fonde sur la liberté des corps de jouir du plaisir, de tous les plaisirs, dans le respect mutuel.

Vidéos et audios de réunions, formations et débats, ainsi que l'entrée qui lui est consacrée dans l’Enciclopedia delle donne dans le lien suivant : Radiodelledonne
Quitter la version mobile