"Femmes Palestiniennes", au temps où elles ont pris les armes

Le documentaire de la réalisatrice libanaise, Jocelyne Saab, projeté au festival 27/20 de Tunis, a secoué le public. Que racontent ces images et ces voix de résistantes captées en 1973 ?

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On ne s’étonnera pas que le film de la réalisatrice libanaise Jocelyne Sabb sur les femmes et les combattante Palestiniennes, réalisé il y a une quarantaine d’années, se soit octroyé une place de choix dans la programmation du beau festival 27/20 « borderland en mouvement, dignité en action ».

La manifestation qui se tenait du 24 au 28 janvier à l’Art Rue, au cœur de la Medina de Tunis, est la digne créature de l’école féministe Lina Ben Mhenni fondée il y a quatre ans. Journaliste et blogueuse engagée, féministe passionnée, la jeune femme qui a joué un rôle clef dans la révolution tunisienne de 2011 nous a quittés le 27 janvier 2020, date à laquelle le festival emprunte son nom.

Chants, poésies, théâtre, installations, expo photo, débats ... à travers un parcours artistique et militant interdisciplinaire, cette initiative donnait à voir, entendre, penser et défendre les communautés invisibilisées sur les frontières. « Aujourd’hui, lit-on dans l’opuscule du festival, Gaza incarne une plaie béante qui demeurera à jamais ouverte. Nous sommes solidaires de la cause palestinienne et nous reconnaissons la centralité de cette lutte pour toutes les causes justes, particulièrement celle de la mobilité, de la préservation de la terre et de son histoire, ainsi que de la quête inaliénable de la liberté. »

Invisibilisées, les Palestiniennes le furent aussi et pourtant elles ont empoigné les armes avec courage et détermination pour récupérer leur terre après les deux grands exodes de leur peuple. 1948 : année de la Naqba, du partage de la Palestine et de la création de l’Etat d’Israël. 1967 : guerre des six jours et annexion par les Israéliens de la Cisjordanie.

Image extraite du film

Jocelyne Saab s’est efforcée au fil de son oeuvre de lutter contre l’amnésie de la guerre.  Dans son film, elle donne la parole aux femmes palestiniennes qui essaient coûte que coûte de garder en vie leur patrie en éduquant, militant, résistant. Nous les voyons sur le terrain, en treillis, nous sommes en 1973 : « Depuis peu de temps, les femmes ont rejoint les fedayins dans leurs actions militaires. Volontaires dès l’âge de 15 ans, elles suivent annuellement un entraînement intensif de deux à trois mois. », apprend-on d’emblée.

Les jeunes filles filmées par la réalisatrice sont pour la plupart réfugiées et ont connu la dévastation de l’exil. Pourtant chaque histoire est singulière, à l’instar jeune de 24 ans diplômée en sciences économiques qui va prendre une part active à la vie politique et syndicale palestinienne. Elle avait 16 ans lorsqu’elle a fui par le pont d’Allemby. Réfugiée dans un camps de la banlieue Est de Beyrouth, elle en déplore les conditions, se remémore un passé scolaire chaotique, le manque d’eau, de lumière et d’hygiène, et pourtant elle a choisi de continuer à vivre dans le camp : « je considère ses habitants comme ma famille, explique-t-elle. J’ai fait des études et je peux aider de beaucoup de manières, en apprenant à lire et à écrire aux autres femmes... »

Image extraite du film

Au début des années 1970, les Palestiniennes apparaissent divisées sur le rôle de la lutte armée. Alors que beaucoup d’entre elles voudraient croire à une solution politique, d’autres, fortes de leur conviction, s’engagent sans demi-mesure : « Nous menons des opérations-suicides tandis qu’eux viennent nous attaquer avec des avions américains et français (...) Une solution politique il n’y en aura pas, il n’y aura que la Palestine », s’exclame une fedayine, fusil à la main.

Le dernier témoignage est particulièrement éprouvant : « Les femmes palestiniennes sont opprimées sur le plan national, elles ont été déracinées. De plus elles sont opprimées socialement de par leur condition de femme. C’est uniquement par la lutte armée et la révolution qu’elle peuvent se libérer socialement et sur le plan économique », analyse une jeune femme au regard placide malgré les épreuves qu’elle a dû endurer : « J’ai mené plusieurs opérations en territoires occupés, j’ai distribué des missives secrètes aux révolutionnaires. J’ai assuré leur base. Je les ai cachés dans ma maison que les Israéliens ont fait sauter. J’ai distribué des tracts politiques aux prisonniers. J’ai également photographié des positions stratégiques. J’ai subi les pires sévices dans leurs prisons où j’ai été enfermée quatre fois... C’est là que j’ai été accusée d’appartenir au Front Populaire pour la Palestine. Les Israéliens ont lancé leurs chiens sur moi, ils m’ont frappée violemment, m’ont suspendue au bout d’une corde, ils m’ont fait subir des chocs électriques et ont même exigé que je lèche les latrines. »

La réalisatrice (1948-2019)

Jocelyne Saab a refusé de filmer la violence crue de la guerre, elle a voulu en revanche « sortir des sentiers battus de l’écriture cinématographique » pour restituer au conflit israélo-palestinien toute sa complexité. Elle l’a fait en recueillant le récit de ces femmes sur leurs propres trajectoires : « Il fallait absolument donner une image nouvelle, une autre image de la guerre. Il ne s’agissait pas simplement de jeter l’image comme on fait aujourd’hui au spectateur, jeter cette image de violence qui fait qu’il ne comprend plus rien, qu’il ne sait plus où se situer. Par contre, quand on propose une image même très personnelle..., si elle est réfléchie, si elle parle à l’affectif, à la douleur des autres, elle permet de se situer, de savoir où se poser. »

Le film, commandé à l’origine par la télévision française (Antenne 2), fut censuré durant le montage et n’a jamais été diffusé sur les chaînes françaises. A Tunis, où il l’était 40 ans plus tard, des cris de jeunes femmes pour la Palestine ont fusé du coeur de la Medina.

Pour aller plus loin :
  • Visionner le documentaire « Femmes Palestiniennes »
  • Voir l’émission de TV5 Monde consacrée à Jocelyne Saab
  • Lire l’entretien avec Mariam Abu Daqqa, ancienne combattante palestinienne, publié dans Medfeminiswiya.
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