La misogynie à l’école : remarques d’une formatrice itinérante

Voyage dans une école publique d’une ville du Nord de l’Italie, où j’ai trouvé un climat de haine, de souffrance, d’impuissance et de colère...

Quand je reviens des sessions de formation que j’effectue en immersion totale depuis une vingtaine d’années dans les établissements de l’enseignement secondaire en Italie, et grâce auxquelles j’ai rassemblé la matière du livre Crescere uomini [Élever des hommes, non traduit en français], je me dis que le moment où le sexisme et la misogynie ne seront qu’un vague souvenir me semble très lointain, voire impossible à envisager.

Ces dernières années, j’ai mis par écrit les impressions éprouvées au retour de ces moments de formation, en cherchant à réfléchir sur la façon, à dire vrai préoccupante, dont le monde des adultes se révèle souvent inadapté pour aborder la question de la violence masculine et des relations entre les sexes avec les jeunes – des sujets tenus à l’écart des salles de classe alors qu’on les retrouve hélas tous les jours dans les rubriques de faits divers où se succèdent les viols et les féminicides qui ont lieu en Italie.

Que les choses soient claires : les classes ne présentent pas toutes de graves problèmes ; la majorité des enseignants sont extraordinairement disponibles et mettent volontiers à disposition des heures sur leur programme pour offrir à leurs classes des moments d’échange et de confrontation sur la question du corps, des émotions, des droits, des choix sexuels.

Mais je ne peux pas nier non plus avoir rencontré beaucoup (trop) d’enseignant.e.s convaincu.e.s qu’il était trop tôt, à quatorze ans, pour réfléchir aux relations, à la violence, à la pornographie, alors qu’il est désormais parfaitement établi que les premiers contacts avec le monde de la pornographie en ligne ont lieu à la fin de l’école primaire, via les téléphones portables offerts aux enfants par leurs familles, sans parler de ce qui passe par les réseaux sociaux, presque systématiquement ignorés ou sous-estimés par les adultes.

Je n’oublirerai jamais l’assurance naïve d’un proviseur qui m’a affirmé en 2018 que dans « son » lycée (classique) [en Italie, le lycée classique est considéré comme la formation la plus sélective et la plus prestigieuse, n.d.t.] les jeunes ne fréquentaient pas le monde de la pornographie en ligne, il ne manquerait plus que ça, comme s’il s’agissait d’une question de prestige pour l’institution.

Mais je voudrais vous raconter un voyage récent que j’ai fait dans une école publique d’une ville du Nord de l’Italie, où j’ai trouvé un climat de haine, de souffrance, d’impuissance et de colère (je choisis ces mots volontairement pour nommer les émotions que j’ai perçues) qui a pris chair depuis les réseaux sociaux comme jamais auparavant. Ce climat, que l’on retrouve à différentes tranches d’âge, culmine au cours des dernières années du lycée, notamment chez les élèves majeurs, et se manifeste par des expressions et des comportements qui s’inspirent des chats des activistes Incel et Mra (Men’s Rights Activism, Mouvement pour les Droits des Hommes.)

« J’ai vu dans ces salles de classe beaucoup, trop de jeunes hommes incapables d’empathie, laissés seuls transformer leur fragilité, conscience précieuse des limites, en rancœur envers les femmes. Autant d’émotions qui ne tardent pas à devenir toxiques et dangereuses. »

Après que j’ai diffusé le discours d’Emma Watson, porte-parole de la campagne HeforShe dans une classe de Terminale composée exclusivement de jeunes hommes, les réactions ont été la suivantes : « Les plaintes sur la condition des femmes c’est de l’histoire ancienne, c’est plus comme ça aujourd’hui ». « Les discours sur le harcèlement de rue, c’est exagéré : si une fille a un beau cul et que je le commente avec un pote, je vois pas ce qu’il y a de mal ». « De toute manière c’est des comportements qui ont toujours existé et qui existeront toujours, c’est la nature ». « Les filles aussi elles font des remarques ». « Le métier le plus vieux du monde on sait ce que c’est, du coup si une fille se comporte d’une certaine manière c’est évident qu’après il y a des conséquences ». « Le féminicide ça existe pas, tout ça c’est de la propagande ». « Les filles, elles aussi, sont agressives ». « Les hommes tuent peut-être plus que les femmes, mais il y a des hommes qui se suicident pour les femmes et personne n’en parle ».

Dans un paroxysme de confusion entre violence et abandon, un jeune homme s’est exclamé : « Mon ex m’a lâché, elle avait certainement ses raisons, mais si on trompe l’autre, ensuite il faut s’attendre à ce qu’il réagisse ». Un autre s’est levé d’un bond, en renversant presque sa chaise, et a hurlé que son aspect physique (peut-être en léger surpoids, mais rien d’excessif) était la cause de commentaires malveillants de la part des filles, et que donc il ne fallait pas venir le saoûler avec les discriminations et le sexisme.

Nombre de ces affirmations sont fréquentes dans les forums particulièrement actifs des Incels, dans ceux des pères séparés, et plus généralement sur les réseaux sociaux qui ont prospéré chez les jeunes durant le confinement, dans l’enfermement des chambres à coucher où le seul contact qu’ils avaient avec le monde était l’ordinateur et les téléphones. Une année et quelques a suffi pour que la propagande Mra se répande et que les digues sautent.

Un jeune homme particulièrement enflammé sur la nécessité de la prostitution, -auquel je demandais pourquoi un homme jeune et sain devrait acheter une femme pour avoir des rapports sexuels, et s’il ne s’agissait pas là de quelque chose d’humiliant pour lui-, s’est exclamé avec l’approvation totale de la classe : « Parce que les femmes préfèrent les hommes beaux et riches, donc on se sent seuls ; parce que on a le droit de se soulager, et que c’est trop relou d’emmener une fille au resto, c’est même pas sûr qu’elle voudra baiser après. »

S’il est vrai que l’empathie est un sentiment indispensable à la vie en commun, aux relations et à la démocratie – sentiment qui s’apprend surtout par l’exemple, l’éducation et la transmission depuis le monde des adultes vers celui des plus jeunes – alors, il convient de faire attention. Très attention ! Car, du langage aux comportements qui en découlent, j’ai vu dans ces salles de classe beaucoup trop de jeunes hommes incapables d’empathie, laissés seuls transformer leur fragilité, conscience précieuse des limites, en rancœur envers les femmes. Autant d’émotions qui ne tardent pas à devenir toxiques et dangereuses.

*Cet article a été publié une première fois en italien en 2021 dans la revue féministe Noidonne sous le titre : La onda machista incel e mra nella scuola italiana: un racconto.
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