La bataille du voile

En Algérie les cérémonies de port du voile se multiplient dans les universités. Dans ces campagnes, l’enfer est promis aux femmes « dévergondées qui excitent les hommes ».

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En mai 2023, une cérémonie de port du voile dans une université algérienne a été diffusée par les chaînes Ennahar, El Bilad et d’autres médias suivis par des millions de personnes. Cette cérémonie a eu lieu à l’université de Blida, dans la vidéo, les jeunes femmes portent des voiles similaires, et dressent un éventail qui leur cache le visage où est marqué « Hidjabi soutrati » (mon voile, ma pudeur). Elles pleurent, regrettent leur vie passée où elles ne portaient pas le voile large. Elles portent des couronnes et sont désignées comme des princesses, des reines, des gardiennes de la pureté.

Le 15 et 20 mars, ainsi que le 11 avril derniers, des campagnes similaires ont été effectuées respectivement à la cité universitaire d’El Alia dans la capitale algérienne, à l’université de Khenchla et l’université de Msila. Elles ont également été largement diffusées par les médias conservateurs, qui sont les médias les plus suivis.

Ces cérémonies et campagnes se font de plus en plus dans les universités algériennes. Elles sont portées par des étudiantes qui sont mises en avant, ainsi que des étudiants et des « prêcheurs » à la tête d’associations religieuses et estudiantines, impliqués dans l’organisation de ces évènements dans les universités. Tout est facilité pour ces cérémonies, de la disponibilité des salles aux dons qui affluent.

Le procédé est le même, les jeunes femmes déjà voilées commencent par faire des conférences, par investir les cités universitaires, les rues et les parcs afin de distribuer des histoires pour enfants, des corans, des bonbons, des flyers, et inciter entre deux prêches les femmes à se voiler, ou celles déjà voilées à porter le voile islamique large et sans motifs, allant parfois jusqu’à faire l’apologie du niqab; Elles incitent aussi les hommes à voiler leurs femmes, insistent que le voile n’est pas un choix mais un devoir imposé par dieu, que les femmes sont encore plus jolies avec le voile.

Ces campagnes aux différentes appellations « Hamilat Taj El Wiqar » en 2021, « Daî men yaraqi yed’ou li man rabaqi », « Hidjabi Sotrati »[1] en 2023, entre autres, sont aujourd’hui dans plusieurs wilayas : Alger, Blida, Bouira, Oran, Biskra, Ouergla, Laghouat, Ghelizane, Annaba, Constantine, Tebessa, Mostaganem, Djelfa, Mila, El Bayadh, Gherdaïa, etc. Chaque wilaya est une section, chaque section a une « dirigeante », une « superviseure » qui recrute et regroupe les intéressées. Il suffit de les contacter via les réseaux sociaux et montrer sa motivation pour voiler le peu de femmes et filles qui restent cheveux au vent.

Les mineures sont elles aussi ciblées, on célèbre leur voilement en attendant que Dieu mène le reste des femmes dans le droit chemin. Les cérémonies sont les mêmes : les nouvelles recrues portent souvent le même uniforme, un hijab large de la même couleur offert par celles qui recrutent, avec une couronne de fleurs qui leur est posée sur la tête, divers cadeaux leurs sont offerts, elles pleurent de joie et de peur de Dieu, se repentissent et appellent les autres filles à se voiler. Tous ces « rituels » sont répétitifs et révèlent des signes sectaires.

La volonté est d’appliquer la parole de Dieu. Leurs paroles et Sa parole se confondent. Dieu ordonne, disent-ils, quand c’est eux-mêmes qui ordonnent.

Cet évènement largement couvert par les médias, promet de ne pas être le dernier. Derrière elles, il y a tous ces hommes silencieux qui assistent à ces “cérémonies”, silencieux mais bien actifs. Les islamistes promettent d’investir toutes les universités. La volonté est d’appliquer la parole de Dieu. Leurs paroles et Sa parole se confondent. Dieu ordonne, disent-ils, quand c’est eux-mêmes qui ordonnent. S’opposer à leurs injonctions est désigné comme une opposition à Dieu. Devant cet anthropomorphisme divin, nous sommes toutes perdantes.

Dans ces campagnes, l’enfer est promis aux femmes « dévergondées », aux femmes marchant presque nues et qui excitent les hommes. L’enfer est promis aux pères, aux frères « dayouths » qui ne couvrent pas les femmes de leurs familles. Et le voile est désigné comme protecteur, protégeant les femmes des esprits “malades”.
Le problème est bien là, d’une part le voile ne protège pas, d’autre part, les agresseurs ne sont pas malades mais appliquent la norme sociale qui fait des femmes les proies des hommes. Aucun voile ne protège contre la misogynie, contre le viol et le féminicide. Nous tenons à rappeler que le voile n’a pas protégé du viol les enseignantes de Bordj Badji Mokhtar[2]. Le voile n’a pas protégé les nombreuses femmes assassinées par leur entourage et par des inconnus. Tout simplement car le problème n’est pas dans le corps des femmes, mais bien dans celui qui décide d’agresser, de harceler, le problème est bien dans cette culture qui culpabilise la victime et conforte le coupable, qui empiète sur le vécu des femmes et adule les envies des hommes, dans cette culture qui veut diviser les femmes en deux  en les opposant : les femmes pures, chastes, promises au paradis dont le signe le plus apparent est le voile, et les femmes impures, dévergondées, promises à l’enfer et qui vont emmener plein de gens innocents en enfer avec elles. Le réel enfer est cette hypersexualisation de nos corps qui sont à exposer ou à cacher, mais jamais juste exister.

Des campagnes similaires ont vu le jour ces dernières années, notamment avec une campagne à Blida qui sommait de voiler les filles entre 10 et 15 ans, ou encore la campagne lancée initialement au Maroc puis en Algérie sur les réseaux sociaux “Sois un homme et ne laisse pas tes femmes et tes filles sortir dans des vêtements serrés”, créant un concours de virilité où l’homme le plus viril ait celui capable de de voiler toutes ses femmes. Ces campagnes sont nombreuses dans les pays musulmans, où plus les femmes se voilent, et plus les hommes dévoilent leurs désirs sexuels à outrance.
Porter le voile, c’est l’avoir comme une seconde peau, l’enlever est une affaire publique où chacun se mêle sans se soucier du bien-être de la femme concernée. Si le voile était un choix, pourquoi ce choix ne s’offre qu’aux femmes et non aux hommes ? Dans son terrain, l’islamisme abandonne la notion de choix, pour lui, il n’existe pas de voile imposé, mais des femmes s’opposant à la volonté divine, il n’admet pas qu’il existe des femmes battues et forcées de porter le voile. Pourtant, des centaines de femmes ont témoigné contre le voile forcé soulignant la dureté de s’en émanciper lors de la campagne « Les prisonnières du voile en Algérie » #سجينات_الحجاب_في_الجزائر. Ces paroles rares sont marginalisées mais pourtant existantes. De nombreuses femmes ont été menacées d’exclusion de l’école si elles ne portaient pas le voile. Certaines, n’ont trouvé d’autre choix que de le porter dans leur quartier et l’établissement scolaire, et l’enlever ailleurs. Il n’est pas rare de voir des filles prépubères la tête voilée afin de les habituer à la pudeur, renforçant ainsi une culture pédocriminelle qui voit en de petites filles des objets de désir. Ce qui est féminin doit être dans cette logique caché, occulté, jusqu’à sa disparition.

Aucun voile ne protège contre la misogynie, contre le viol et le féminicide. Nous tenons à rappeler que le voile n’a pas protégé du viol les enseignantes de Bordj Badji Mokhtar . Le voile n’a pas protégé les nombreuses femmes assassinées par leur entourage et par des inconnus.

Le voile est aussi politique, la suppression des visages de femmes dans les listes électorales, les remplaçant par une icône de femme portant un voile en est la preuve, le voile imposé par la loi en Afghanistan, en Iran et en Arabie Saoudite en est l’illustration. Les femmes sont ainsi gardiennes de la religion et des traditions, quand l’homme islamiste peut arborer le costume-cravate pour marquer sa modernité et son universalité.

Le totalitarisme religieux a porté ses fruits, ce n’est plus seulement aux imams des mosquées ou des télés de prêcher le voile, c’est aujourd’hui à chaque personne d’insuffler aux femmes de se couvrir et de punir les pécheresses qui refusent ce tissu. Ce sont également des « influenceuses » avec des milliers ou des millions d’abonnés qui peignent une vie accomplie en respectant les traditions et la religion, tout en faisant la promotion des marques de voiles et de burkinis, certaines étant même des marques de luxe. Le hidjab est devenu ainsi un style, une tendance, offrant un commerce très florissant pour nos sociétés consommatrices.

Plaire à Dieu, ou plaire à l’homme ? L’engouement autour du voile crée un effet inverse : les harceleurs de rue ne se gênent guère pour étaler leurs fantasmes lorsqu’ils voient des femmes portant le niqab, car ils ne voient dans le sexe féminin qu’une chose : un corps à conquérir, à posséder. Si le voile et la virginité des femmes démontrent dans la société “la pureté” des femmes, qu’en est-il de la pureté des hommes ? Cette notion n’est pas mise en avant, tout simplement car c’est aux femmes qu’on impose les preuves de la pureté, et l’homme s’en trouve exempt, ce double standard a des conséquences terribles car il façonne les normes sociales et définit des mœurs paradoxales. Il est primordial de lever le voile sur toutes ces violences qu’aucun tissu au monde ne saura protéger.

[1] « Les porteuses de la couronne de la pureté », « Permets à celui qui te vois de prier pour celui qui t’a élevée », « Mon voile, ma pudeur »
[2] Des enseiignantes ont subi un viol collectif dans la nuit du lundi au mardi 18 mai 2021 dans leur logement de fonction, à Bordj Badji Mokhtar. Il a fallu plusieurs jours avant que ce crime ne soit désigné tel quel et non juste comme une agression.
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