Les femmes et la science : une histoire d'exclusion et de sous-représentation

Dans les pays occidentaux, la présence des femmes dans les facultés de STIM (Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques) est encore très limitée. En effet, le recrutement et la rémunération des chercheuses, des professionnelles et des conférencières sont considérablement inférieurs à ceux de leurs collègues hommes. En outre, pendant des siècles, à l'exception des organes reproducteurs, la médecine n'a pas tenu compte des différences entre les sexes en considérant le corps d'une femme comme une version miniature de celui d'un homme. Les essais précliniques et cliniques dans le domaine de la pharmacologie, l'étude de la symptomatologie, l'établissement des diagnostics et l'efficacité des traitements administrés n'ont jusqu'à présent été basés que sur des prototypes masculins, jusqu’aux cobayes de laboratoire. Par conséquent, les patientes souffrent davantage d'effets colatéraux et indésirables, tandis que le résultat des traitements et des interventions chirurgicales est moins bon.

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En 2005, lorsqu'on a demandé à Larry Summers, Recteur de l’université de Harvard, pourquoi les femmes avaient du mal à faire carrière dans le domaine scientifique, ce dernier a évoqué des "différences innées" avec les hommes en matière de compétences mathématiques, logiques et informatiques.

Depuis l'Antiquité, les femmes ont toujours contribué au développement de la science dans toutes les disciplines. Le livre “Women in Science : 50 Fearless Pioneers Who Changed the World" (2005), écrit et illustré par Rachel Ignotofsky, raconte l'histoire de certaines d'entre elles.

La réaction de la communauté universitaire internationale ne s’est pas fait attendre : M. Summers a d'abord dû s'excuser, puis démissionner, et pour la première fois, une femme rectrice a pris sa place. Toutefois, son attitude montre comment, aujourd'hui encore, des stéréotypes de genre anciens et profondément enracinés ont un impact sur la présence féminine dans les facultés de STIM (Sciences, Technologie, Ingénierie, Mathématiques), tandis que des conditions pénalisantes sont imposées également aux femmes scientifiques et aux chercheuses dans le monde du travail, en particulier dans les pays occidentaux.

Les statistiques élaborées par l'UNESCO sur les diplômé.e.s* de 84 pays entre 2005 et 2008 révèlent, en effet, que les inscriptions féminines dans les filières technologiques sont beaucoup plus faibles aux Pays-Bas, aux États-Unis, en Suisse et en Allemagne qu'en Iran, en Ouzbékistan, en Azerbaïdjan, en Arabie saoudite et à Oman.

En Iran, par exemple, où les femmes représentaient à l'époque 49 % du total des diplômé.e.s, 67 % d'entre elles avaient suivi des cours de STIM. En Malaisie, l'informatique est une matière généralement considérée comme plus adaptée aux filles parce qu'il s'agit d'un savoir théorique qui se met en pratique dans des bureaux, lieux "plus appropriés aux femmes" selon les mentalités. Aux États-Unis, le pourcentage de femmes diplômées dans cette discipline ne dépassait pas 19 % en 2008. Enfin, en Indonésie, les femmes (48 %) et les hommes (52 %) s'intéressent presque à égalité à l'ingénierie, alors qu'en Mongolie, les femmes ingénieurs représentent environ un tiers du total.

Le fait est que, dans les pays où les caractéristiques féminines sont associées à la pensée scientifique, la participation est numériquement beaucoup plus élevée en Occident, ce qui montre clairement qu'il s'agit d'un problème culturel", explique le philosophe féministe Lorenzo Gasparrini. La rareté des modèles féminins alimente la faible participation dans ce domaine parce qu'une femme, se voyant sous-représentée, se convainc que ce domaine n'est pas fait pour elle : il faut briser ce cercle vicieux."

Les aspirations professionnelles n'ont donc rien à voir avec les supposées "différences innées" dont parlait Summers, mais dépendent de préjugés que nous avons sur nous-mêmes*, du jugement des autres, de la pression sociale et du conditionnement culturel. Ainsi, de nombreuses études sociologiques montrent que les stéréotypes de genre façonnent nos croyances en matière de compétences, de désirs et d'attitudes, influençant nos comportements qui tendent à les mettre en oeuvre.

La sous-représentation des filles : une "prophétie qui s'accomplit d'elle-même".

Une heureuse exception à l'exclusion des femmes de l'enseignement scientifique fut l'école de Salerne, fréquentée par des médecins, des chirurgiens et des pharmaciens connus et appréciés du peuple et des souverains. Trotula de Ruggero (XIe siècle), fille de nobles lombards, fut une illustre Magistrate de l'école. Elle rédigea aussi des traités, réalisa des expériences et transmit son savoir à des dizaines d'étudiants. Elle fut la première à s'occuper de la santé des femmes, des maladies gynécologiques à la chirurgie en passant par la cosmétique. Image extraite de : Miscellanea medica, XVIIIe, début du XIVe siècle.

Des études récentes sur les tests de mathématiques confirment qu'il n'y a pas aucune différence au niveau des compétences logico-computationnelles entre filles et garçons jusqu'à l'âge de 12/13 ans. "Après cet âge, les garçons commencent à obtenir des résultats légèrement supérieurs en mathématiques et les filles en compréhension de texte", a déclaré Camilla Gaiaschi, chercheuse au centre de recherche GENDERS de l'université de Milan, lors d'une conférence TED.

Cet écart, qui s’est considérablement réduit au cours des dernières années, change en fonction du contexte et s'inverse souvent à l'université où les femmes, pour lutter contre la sélection sexiste qu’elles subissent (elles seraient moins compétentes quel es hommes), se motivent davantage jusqu’à obtenir de meilleurs résultats que leurs camarades hommes. "Les filles commencent à perdre confiance en elles parce qu'elles vivent dans des contextes où elles reçoivent, souvent inconsciemment, de la part de leurs parents et de leurs enseignants, des commentaires d'approbation ou de rejet concernant leurs compétences", a poursui M. Gaiaschi, expliquant que ce sont les attentes liées au genre qui façonnent nos préférences en fonction du conditionnement que nous avons intériorisé et qui détermine nos comportements et nos désirs.

Ces préjugés cognitifs, profondément ancrés, influencent également les processus de sélection et de recrutement allant jusqu’à produire des différences de rémunération en fonction du genre. Selon une étude de Yale, réalisée en 2012, les recruteurs en biologie des prestigieuses universités américaines ont tendance, à compétences égales, à moins bien noter les candidates que les candidats, et à accorder à celles-ci un salaire de départ moins élevé.

Marginalisées et invisibilisées

Au fil des siècles, de nombreuses chercheuses ont mené des études fondamentales pour le progrès scientifique, mais la plupart d'entre elles ont été éclipsées par leurs collègues qui ont obtenu tous les honneurs. Julia Lermontova a mis au point des techniques cruciales pour classer les éléments du Tableau périodique, mais la seule trace de son travail se trouve dans les archives de Mendeleïev. Lise Meitner a découvert l'élément 91 avec Otto Hahn, mais elle conduisit toutes ses recherches dans un sous-sol, sans aucune rémunération. Ida Noddack a identifié le rhénium avec son mari Walter Noddack, bien qu'elle ait toujours été considérée comme une simple hôte dans son laboratoire. Enfin, la physicienne Mileva Marić a assisté son mari Albert Einstein dans toutes ses publications, mais n'a jamais été mentionnée.

Au fil des siècles, de nombreuses chercheuses ont mené des études fondamentales pour le progrès scientifique, mais la plupart d'entre elles ont été éclipsées par leurs collègues qui ont obtenu tous les honneurs.

De nombreuses femmes ont personnellement pâti d'une grave discrimination fondée sur le sexe dans un contexte qui a toujours été misogyne et machiste. Dans le livre "Scienziate nel tempo. Più di 100 biografie” - Les femmes scientifiques à travers le temps. Plus de 100 biographies (Ledizioni, 2018), Sara Sesti et Liliana Moro rappellent la déplorable plaisanterie du mathématicien et physicien allemand Hermann Weyl (1885-1955) qui associait la beauté et l'intelligence en se référant à deux collègues féminines en ces termes :  "Il n'y a eu que deux mathématiciennes dans l'histoire : Sofia Kovalevskaya et Emmy Noether. La première n'était pas mathématicienne, la seconde n'était pas une femme", déclara-t-il, en insinuant que la première était trop belle pour être également intelligente et la seconde trop brillante et rationnelle pour appartenir au genre féminin.

Au Moyen-Âge, les femmes étaient exclues des universités et choisissaient souvent la vie monastique pour pouvoir se consacrer aux matières scientifiques et naturalistes. Seuelement en 1732, la première femme diplômée en Italie, Laura Bassi, s'est vu confier une chaire de sciences à l'université de Bologne. Depuis, la situation a considérablement évolué : selon une enquête réalisée en 2021 par la Federazione Nazionale degli Ordini dei Medici Chirurghi e degli Odontoiatri (Fédération nationale de l'Ordre des chirurgiens et des dentistes), les femmes médecins représentent aujourd'hui 54 % des effectifs du pays. Image tirée du livre "Women in Science : 50 Fearless Pioneers Who Changed the World" (2005), écrit et illustré par Rachel Ignotofsky. Source : Pinterest.

"Pourtant, la charmante Sofia Kovalevskaya avait remporté le prix Bordin pour ses résultats sur la rotation d'un corps rigide autour d'un point fixe et avait été la première en Europe à obtenir un poste de professeur d'université en mathématiques. Emmy Noheter, en revanche, chef de file de l'algèbre moderne, était tout aussi indifférente à l'apparence physique qu'Albert Einstein, dont elle fut une collaboratrice importante", soulignent les autrices.

Rita Levi Montalcini est un autre exemple frappant. Contre l'avis de sa famille, qui souhaitait pour elle un tranquille avenir d'épouse et de mère, elle s'inscrit en médecine dans les années 1930, reste célibataire, n'a pas d'enfant et mène une carrière couronnée d’immenses succès, dont le prix Nobel en 1986. Dans une interview accordée peu avant sa mort, elle évoque cet épisode : "Êtes-vous ici avec votre mari ? - Ils étaient convaincus que j'étais l'épouse de l'un des conférenciers. Je suis mon mari ! Ai-je répondu.”

Vers une médecine fondée sur le genre ?

L'approche androcentrique caractérise aussi les expérimentations pharmacologiques et la recherche médicale, reléguant l'intérêt pour la santé féminine aux seuls aspects reproductifs. Ainsi, longtemps, les essais cliniques ont porté exclusivement sur des sujets masculins, les études précliniques in vitro (sur des cellules isolées ou des lignées cellulaires) ne donnaient aucune information spécifique sur l'organisme d'origine, et même les expériences in vivo n'utilisaient que des cobayes mâles. L'exclusion prolongée et systématique des femmes a rendu les thérapies moins efficaces et moins sûres pour elles : de fait, bien qu'elles vivent plus longtemps, elles sont plus malades, consomment plus de médicaments et sont statistiquement plus sujettes aux effets secondaires et aux réactions indésirables que les hommes.

Développer une perspective d'inclusion du genre n'est pas seulement une question d'équité, de justice, de rigueur scientifique et de santé pour les femmes, cela aiderait aussi les hommes, qui développent souvent des maladies considérées comme féminines, telles que le cancer du sein et l'ostéoporose

Comme on a cru pendant des siècles que, hormis les organes génitaux, le corps féminin était une version miniature du corps masculin, personne n'a jugé important d'étudier celui-ci de plus près. "Il y a un autre problème : le modèle masculin est plus simple pour ce que nous voulons étudier et démontrer, tandis que le corps de la femme est plus compliqué, il présente de nombreux facteurs complexes, le premier étant la fluctuation hormonale mensuelle", a expliqué la journaliste Letizia Gabaglio lors d'une conférence TED. Et de poursuivre : “Il y a également un problème éthique parce que les femmes peuvent tomber enceintes, et comme nous testons en premier lieu la sécurité des médicaments avant même leur efficacité, personne ne peut dire que la molécule testée ne sera pas nocive pour l'enfant à naître.”

Aujourd'hui, aucun laboratoire pharmaceutique n'expérimenterait sur un échantillon homogène en termes de sexe ou d'ethnie, c’est pourquoi les médicaments en circulation sont prescrits et administrés sans tenir compte des différences substantielles qui existent en matière de pharmacocinétique (absorption, distribution, métabolisation et élimination du médicament) et de pharmacodynamie (réponse de l'organisme à une concentration donnée du médicament dans le sang).

L'aspirine a été commercialisée après 20 ans d'essais cliniques et précliniques portant sur 20 000 personnes, toutes des hommes. L'image est une publicité de 1925. Source : internet.

La partialité de cette manière de voir a également des conséquences très graves sur le diagnostic. “Nous connaissons les symptômes de l'infarctus qui, dans notre imaginaire, sont liés à une oppression thoracique et à une douleur dans le bras gauche, continue Gabaglio, mais chez les femmes [...] cela se présente différemment : avec une sensation de brûlure dans l'estomac, une douleur qui peut irradier dans le dos, et des sueurs. Ainsi ces symptôme sont souvent confondus avec un problème gastrique.”

De plus lorsque les patientes doivent subir une intervention de chirurgie cardiaque, les dispositifs qui sont insérés pour rouvrir leurs artères occluses provoquent souvent des saignements parce qu'ils sont conçus pour des artères d’hommes, plus grosses, ce qui compromet le résultat des opérations.

Développer une perspective d'inclusion du genre n'est pas seulement une question d'équité, de justice, de rigueur scientifique et de santé pour les femmes, cela aiderait aussi les hommes, qui développent souvent des maladies considérées comme féminines, telles que le cancer du sein et l'ostéoporose, ainsi que les personnes transgenres, sur lesquelles il n'existe pas encore d'études d'envergure.

Le 11 février est dédié à la "Journée internationale des femmes et des filles dans la science" : un anniversaire qui risque de n'être qu'une simple formalité sans une remise en question radicale des pratiques et des convictions excluantes et ségrégatives, et qui plus est dangereuses et erronées.

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