De la Syrie sinistrée : même notre mort doit supporter l’attente…

Même dans le cas de catastrophe naturelle, il y a de la discrimination, du racisme, des intérêts et des calculs... Cela fait 12 ans que les équipes de secours n’ont pas mis les pieds dans de nombreuses zones sinistrées de la Syrie.

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C’est la première fois que nous sommes face à une catastrophe comme celle-ci. Et c’est la première fois que nous nous trouvons les mains liées, loin des affrontements entre hommes armés, d’une invasion ennemie ou de la guerre à laquelle nous nous étions habitués depuis douze ans. Mais tout ce que nous avons traversé précédemment représente moins d’une goutte comparée à cette colère de la nature.

Ce sont les bouillonnements de la terre, accablée par les tyrans humains. Peut-être a-t-elle eu des spasmes en raison du grand nombre de cadavres qu'elle a engloutis ? Ou peut-être encore ne supportait-elle plus la tyrannie de ses habitants ? Elle a donc décidé de se révolter contre eux. La terre est parfois nauséeuse, elle vomit alors tout le sang que les humains y ont versé.

Mais, contrairement à ce qu’il était attendu, le séisme du 6 février 2023 n’a pas déplacé l’attention des pays du monde vers l'énorme souffrance, y compris celle infligée dans les zones occupées par la Turquie et les factions armées qu’elle soutient. Dès le tremblement de terre qui a fait tomber les masques des hideux visages qui se cachent derrière leur influence et leur tyrannie, la souffrance du peuple kurde du nord-ouest de la Syrie et du sud de la Turquie s'est intensifiée à cause de la politique d'extermination froide et lente dont il est victime. Derrière la catastrophe naturelle dévastatrice qui a enseveli des personnes vivantes sous les décombres de leurs maisons, attendant que quelqu'un vienne les sauver, il n’a échappé à personne à quel point la priorité était donnée aux régions non-Kurdes. En revanche, les habitants des zones kurdes ont été abandonnés à la mort du fait de politiques discriminatoires.Alors que je naviguais sur Internet pour me tenir au courant de la situation, j'ai vu une femme kurde âgée, sur l'une des chaînes d’information, pleurer et crier de douleur en appelant le monde à l’aide. Elle a littéralement dit : « Ils envoient des équipes de secours et de l'aide dans les villages et les villes turcs, et les empêchent de venir dans nos villages kurdes. Ne sommes-nous pas comme eux ! ? Les Kurdes ne sont-ils pas des êtres humains comme eux !? Seigneur... Qu'avons-nous fait, nous, les Kurdes, pour être exterminés comme ça ? »

Des jours se sont écoulés depuis le séisme mais l'aide nécessaire n'a pas été autorisée à entrer dans les zones kurdes. Les pays du monde entier se sont précipités pour apporter leur soutien et envoyer des équipes de secours dans les zones sinistrées, à l'exception des zones syriennes. Même dans le cas des catastrophes naturelles, il y a de la discrimination, du racisme, des intérêts internationaux et des calculs. Les équipes de secours « humanitaires » ne sont pas entrées dans de nombreuses zones sinistrées de la Syrie depuis douze ans. Certaines personnes justifient cette absence par le refus de la Turquie ou des factions armées de les laisser entrer dans la région, D’autres se contentent d’exprimer leur inquiétude, sans plus. Quel terrible sort subissent donc les Syriennes et les Syriens depuis des années ? Manquait-il un tremblement de terre pour exacerber leur douleur déjà insupportable ? Et pourquoi le destin des Kurdes est-il de plus en plus cruel ? N'ont-ils pas le droit de vivre en paix comme les autres ?

La terre souffre parfois de nausée, elle vomit alors tout le sang que les humains y ont versé.

Dans le nord de la Syrie, l'État turc se dérobe à ses devoirs de puissance occupante. Jusqu'à présent, il n'admet pas qu'il occupe les villes à majorité kurde du nord-Ouest de la Syrie. Il s’arc-boute plutôt sur les dispositions de l'accord d'Adana, qui, dans son ensemble, est simplement hostile au peuple kurde. La Turquie insiste sur la nécessité d’établir une zone de sécurité et de protéger sa sécurité nationale comme elle le prétend. En couverture, elle met les factions de l'armée « d'opposition » en avant afin de se soustraire aux obligations du pays occupant telles que stipulées dans les lois internationales et la Convention de Genève. Selon ces textes, « la puissance occupante a le devoir d'assurer la fourniture de rations adéquates de nourriture et de fournitures médicales, ainsi que de vêtements, de literie, d'abris et d'autres nécessités pour la survie de la population civile dans la zone occupée. » Mais, y a-t-il encore une once de considération pour le droit international ?

Pour rappel, le droit international humanitaire stipule en matière de ravitaillement et de secours que « la Puissance occupante permettra à l’Etat protecteur, ou au Comité international de la Croix-Rouge et aux autres organisations humanitaires impartiales de vérifier l'état des ravitaillements dans les zones occupées, et de visiter les personnes protégées afin de surveiller leur situation. Elle est également tenue de permettre au Comité international de la Croix-Rouge ou à toute autre organisation humanitaire neutre de mener leurs propres opérations de secours en faveur de cette population. Tous les États doivent permettre et faciliter le libre passage de toutes les fournitures de secours et ne doivent en aucun cas les détourner ». Le droit international insiste également sur le fait que « le matériel de secours fourni par les organisations humanitaires ne dispense, en aucun cas, la puissance occupante de ses responsabilités de veiller à ce que la population soit approvisionnée de manière adéquate ».

Mais de quelles responsabilités parle-t-on ? Des chefs de factions armées ont signalé que c’est la Turquie qui empêche l'aide d'entrer dans les zones kurdes occupées, en particulier dans les zones de l'administration autonome du nord-est de la Syrie.

En outre, la haine du gouvernement turc contre les Kurdes syriens va jusqu’à l’empêcher d'accepter des secours venant d’autres régions kurdes. Il faut dire que quelques jours après le tremblement de terre, certaines équipes de secours et d'aide venant de la région du Kurdistan irakien ont été autorisées à pénétrer dans les zones occupées, où des dizaines de femmes, d'enfants, d'hommes et de personnes âgées se trouvaient encore sous les décombres. Il n'y avait personne pour les aider à l'exception de quelques survivants et bénévoles qui étaient démunis face à ce désastre. Mais l'étendue des destructions et de la catastrophe dépassent l'imagination et nécessitent des efforts et des volontés sérieuses de la part des gouvernements et des organisations internationales afin que soit achalandé le matériel de secours et l’approvisionnement indispensables à la population. Il faut également permettre aux équipes spécialisées d’opérer dans ces zones, pendant des mois, voire des années. 

En résumé, la vérité aujourd'hui est que les aides et les équipes que certains pays ont envoyées, bénéficient toujours aux régions turques sinistrées. Peu d’aide arrive aux régions touchées du nord-ouest de la Syrie, et ne couvre qu’à peine 5% de la région. À Jendires, ville qui a été complètement détruite, les voix de certains survivants peuvent encore être entendues sous les décombres. De nombreux cadavres attendent que quelqu'un les déterre et les enterre, des survivants sont assis depuis des jours sous la pluie et dans le froid glacial. Quant aux enfants et aux femmes encore vivants sous les décombres, ils meurent de froid, de faim ou de leurs blessures.

Il est donc clair que les initiatives et l’aide humanitaire destinées à sauver ceux qui ont survécu au séisme dans les régions sinistrées de la Syrie ne sont pas adaptées à l'ampleur de l'oppression et des souffrances de ce peuple. Depuis douze ans, la communauté internationale agit avec une lenteur de tortue face à nos souffrances. A la suite de cette catastrophe naturelle, et non naturelle, elle continue de bouger avec une extrême lenteur, ce qui nous donne l’impression que même notre mort doit supporter l’attente…

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