Périples littéraires à travers la nouvelle mythologie féminine. Tableau II : Médée

Les femmes décrites dans les grands classiques latins et grecs sont des personnages secondaires qui évoluent silencieusement à l'arrière plan des actes héroïques de valeureux guerriers ou de dieux puissants et capricieux. Marginales et soumises, leur beauté peut cependant déclencher des guerres sanglantes et elles sont constamment victimes d'enlèvements et de violences masculines.

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La guérisseuse de Colchide

En 1996, Christa Wolf publia Médée(1) , un roman consacré à l'une des figures les plus controversées de la littérature grecque. La célèbre tragédie d'Euripide, qui porte son nom, raconte en effet l'histoire d'une femme violente et irrationnelle.

Trahie et répudiée par son mari Jason, qui souhaite épouser la jeune Glaucé pour s’assurer le trône, Médée empoisonne cette dernière et tue ses propres enfants, étanchant ainsi sa soif de vengeance.

Wolf bouleverse complètement cette version du mythe, que le dramaturge aurait manipulée afin de discréditer le sombre univers magique des barbares et de blanchir les habitants de Corinthe qui, selon les sources historiographiques anciennes, sont les véritables coupables de l'infanticide. Ce faisant, l'autrice récupère des fragments antérieurs au texte d'Euripide, notamment ceux d'Apollonius Rhodius, absolvant l'héroïne tragique de cette infâme accusation.

La figure féminine qui émerge de son roman est une mère affectueuse, une guérisseuse puissante, une femme libre et généreuse, dépositaire d'une "connaissance du corps et de la terre" qui lui fait affronter la vie avec intensité et observer le monde avec une profonde empathie.

Au cours des millénaires, la figure de Médée a été inversée du tout au tout par un besoin patriarcal de dénigrer la spécificité féminine, déclara Christa Wolf dans une interview accordée au Buchjournal en 1996. Mais quelque chose ne collait pas : Médée ne pouvait pas être une infanticide car une femme issue d'une culture matriarcale n'aurait jamais tué ses propres enfants. J'ai ensuite retrouvé - avec la collaboration d'autres chercheurs - des sources antérieures à Euripide qui ont confirmé mon hypothèse. Ce fut un moment extraordinaire".

La figure féminine qui émerge de son roman, en effet, n'est ni une sorcière cruelle ni une infanticide, mais une mère affectueuse, une guérisseuse puissante, une femme libre et généreuse, dépositaire d'une "connaissance du corps et de la terre" qui lui fait affronter la vie avec intensité et observer le monde avec une profonde empathie.

Fière et transgressive, elle est dotée d'une sensibilité intuitive qui la conduira à dénoncer l'horrible secret caché dans le palais royal de Corinthe, où le roi Créon a tué sa fille aînée Iphinoé de peur qu'elle ne le spolie.

Les habitants de la ville, qui dès le début lui ont témoigné méfiance et intolérance, réagissent en la diffamant d'abord, puis en la marginalisant, et enfin en la transformant en bouc émissaire responsable de tous les maux, y compris du fléau de la peste.

Pourtant, elle refuse le rôle passif de la femme abandonnée et réagit avec courage en continuant à cultiver une dimension émotionnelle grâce à sa rencontre avec le jeune sculpteur crétois Oistros, la seule invention littéraire du roman.

 
(1) Christa Wolf, Médée, Stock, Paris, 2001
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