Le parcours des femmes syriennes de « la dévastation de la maladie » au « câlin rose »

Selon le rapport 2018 du Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé, la Syrie se classe au cinquième rang des pays d'Asie occidentale pour le nombre de cas de cancer dans sa population...

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Elle ferme les yeux en attendant le résultat de la biopsie. Des photos de ses fils et de ses filles défilent dans sa tête et une question : « Qui va s'occuper d'eux si le résultat est positif ? Comment faire pour ne pas m’effondrer devant eux avec cette innommable maladie ? » À l'époque Salam est incapable de nommer la maladie, y compris à elle-même. Enfin, elle s’extirpe de sa somnolence au son de la voix du médecin : « Ça va, vous avez une tumeur au sein et nous pouvons commencer le traitement immédiatement. »

Âgée d'une trentaine d'années, mère de quatre enfants et employée dans une société de textiles, Salam nous raconte comment les paroles calmes du médecin l'ont aidée à amortir le choc de l'annonce de la maladie, comme s'il s'agissait d'une maladie normale : « Je suis sortie du cabinet pour prendre un nouveau rendez-vous avec la secrétaire. Dans le couloir, j’ai vu des femmes qui me regardaient. Elles avaient connu cette expérience, je les entendais parler de leur maladie d'une manière normale, même si elles avaient subi une mastectomie et avaient vécu les étapes de la perte de cheveux et de gonflement à la suite du traitement. Mais elles riaient et échangeaient leurs expériences d'une manière qui m'a aidée avec le temps à supporter les séances de chimio et les rendez-vous médicaux et m'a encouragée à cesser d’utiliser les expressions telles que la maladie innommable ou l’éloignée pour appeler la maladie de son vrai nom : cancer. De la même manière, j'en suis venue à citer les campagnes liées à la maladie et à utiliser l'expression « câlin rose. »

Les traces laissées par les morsures de mon bébé... ma seule douleur

De son côté, Sahar, 54 ans, décrit sa maladie comme une expérience riche, car elle lui a permis de mieux connaitre les gens et d’avancer dans la vie en l'aidant à changer de nombreux concepts et à accepter ce qui se présente de manière plus réaliste. « Je travaillais à l'écriture d'histoires, j’'enseignais et éduquais mes enfants, dit-elle. Quand j'ai commencé à ressentir de la fatigue, je suis allée à la clinique consulter un spécialiste. Le diagnostic est tombé : les calcifications que j’avais dans le sein pouvaient évoluer en cancer. Il fallait envisager l’ablation. Alors, je n'ai pensé qu'aux morsures de mon bébé qui s'étaient imprimées sur mon sein droit lorsque je l'allaitais... Cette marque chère à mon cœur quittera mon corps, et alors seulement j'ai beaucoup pleuré. Après cela, j'ai rassemblé mes forces et commencé le chemin du traitement.  Malgré la découverte de la maladie qui s’était propagée à d’autres endroits, je suis restée lucide, comptant sur l'amour, la foi et le suivi scientifique. La maladie est plus simple que ce que l’on entend, mais il faut essayer de guérir en toute  connaissance de cause et en gardant une bonne dose d’optimisme. »

La sensibilisation, c'est le pouvoir... mais, il s’agit de sécuriser l'accès aux médicaments

Les campagnes de sensibilisation au cancer du sein en Syrie n'ont pas cessé. Sous le slogan « Votre sensibilisation est votre force », des campagnes sont lancées pendant le « mois rose », c'est-à-dire en octobre, dans un certain nombre de gouvernorats syriens afin de soutenir les femmes, de partager les informations et de conduire des dépistages massifs selon l'âge, au sein de 960 centres de santé qui comprennent également des services psychologiques et de suivi des patientes après la chirurgie.

Selon le rapport 2018 du Centre international de recherche sur le cancer de l'Organisation mondiale de la santé : « la Syrie se classe au cinquième rang des pays d'Asie occidentale pour le nombre de cas de cancer dans sa population. Il y a en moyenne 196 personnes atteintes de cancer sur 100 000 Syriens, et 105 décès sur 100 000 ». En 2020, l'Organisation mondiale de la santé a documenté que le cancer du sein représentait 2,37% des décès dans le pays. Cependant alors que des campagnes de sensibilisation sont activement menées et que les dépistages sont encouragés, l'accès aux traitements reste un réel problème pour les patientes et les médecins.

Je n'ai pensé qu'aux morsures de mon bébé qui s'étaient imprimées sur mon sein droit lorsque je l'allaitais... Cette marque chère à mon cœur quittera mon corps, et alors seulement j'ai beaucoup pleuré.

Lamis, quarante ans, atteinte d'un cancer du sein nous raconte comment à chaque rendez-vous pour son injection elle doit faire un long voyage de six heures, du gouvernorat de Qamishli à la capitale, Damas : « Le médecin m'assure qu’à l'hôpital Al-Bairuni -le plus grand centre de traitement du cancer-, les services et les traitements sont fournis gratuitement, mais les médicaments sont souvent délivrés en retard à cause des procédures bureaucratiques », déplore-t-elle.

Parfois, les traitements ne sont tout simplement pas disponibles ou leurs prix sont si exorbitants que personne ne peut les acheter. Même les médicaments fournis par les organisations d’aide peuvent parvenir alors que leur date de péremption est proche en raison des retards dus aux procédures de routine. Ainsi, les veuves, les mères célibataires, les femmes seules ou résidant à l'extérieur de la capitale paient un coût pour elles exorbitant, voire inaccessible. « J'ai vendu ma maison pour payer le prix de certaines doses de traitement, qui s'élève à dix millions compte tenu de la dépréciation massive de la monnaie syrienne, car les prix sont calculés en fonction du dollar... Cela s'ajoute aux problèmes de la garde de mes enfants quand je pars pour recevoir des soins », raconte Lamis.

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