Ukraine, la guerre au cœur de l’Europe

La guerre en Ukraine est entrée dans sa deuxième semaine avec la cohorte d’horreurs qui a fait irruption dans la vie des Ukrainiens et indirectement dans la nôtre, sur nos écrans et dans nos imaginaires.

Kiev, Ukraine 25 février 2022 : un immeuble d'habitation endommagé par un avion russe. Sources : dreamstime.com

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Immeubles éventrés, écoles et hôpitaux bombardés, sites nucléaires endommagés, flots grossissant de personnes terrorisées fuyant vers l’ouest, prenant d’assaut les gares ou se massant des heures durant sur les routes et aux postes de frontière. Selon le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, 1.500.000 Ukrainien.ne.s auraient déjà quitté leur pays pour la Pologne, qui en accueille le plus grand nombre (environ 500.000), la Hongrie, la Moldavie, la Roumanie, la Slovaquie, et même la Russie.

Kiev, Ukraine 25 février 2022 : un immeuble d'habitation endommagé par un avion russe. Sources : dreamstime.com

« Rien ne sera plus comme avant » est la phrase qui revient le plus souvent dans la bouche des Ukrainien.ne.s interrogé.e.s le long de leur périple pour échapper aux bombardements russes. Ils n’ont pas tort. Si l’on peine à connaître l’issue de ce conflit, les analyses laissent entrevoir une guerre longue, et sans doute une des plus importantes crises humanitaires du XXIème siècle.

Non décidément rien ne sera plus comme avant. Comme le soulignent les féministes russes dans leur appel pour mettre immédiatement fin à l’agression contre l’Ukraine : « La guerre est synonyme de violence, de pauvreté, de déplacements forcés, de vies brisées, d’insécurité et d’absence d’avenir. Elle est inconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe. La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années les acquis en matière de droits humains. La guerre apporte avec elle non seulement la violence des bombes et des balles, mais aussi la violence sexuelle : comme l’histoire le montre, pendant la guerre, le risque d’être violée est multiplié pour toutes les femmes. »

Pourtant, la guerre est entrée dans sa deuxième semaine, et rien ne semble pouvoir arrêter l’exhibition militaire de Vladimir Poutine au service des visées expansionnistes clairement déclarées dans le discours qu’il a prononcé le 24 février dernier, peu après avoir déclenché l’invasion de l’Ukraine : « L’Union soviétique s’est affaiblie à la fin des années 1980 avant de s’effondrer complètement. Toute la suite des événements qui se sont alors déroulés est aujourd’hui une bonne leçon pour nous ; elle a montré de manière convaincante que la paralysie du pouvoir et de la volonté est le premier pas vers une dégradation totale et une disparition complète... » (1)

Ukraine-Russia, or the Threat of “Total War” - Marian Kamensky (Autriche / Austria), Caglecartoons.com

Dans cet hymne à la force et à l’exaltation du pouvoir, Poutine révèle aussi une vision de l’Occident -et indirectement de l’être humain- pour le moins glaçante. Se référant aux USA et à l’Europe, il les accuse de vouloir « détruire nos valeurs traditionnelles et nous imposer leur pseudo-valeurs... » qui « mènent directement à la dégradation et à la dégénérescence, car elles sont contraires à la nature humaine elle-même. » Mais de quelles valeurs et nature humaine s’agit-il ? « Toute personne dotée d’esprit critique comprend bien que ces ‘valeurs traditionnelles’ incluent l’inégalité de genre, l’exploitation des femmes et la répression d’État contre celles et ceux dont le mode de vie, l’identité et les agissements ne sont pas conformes à l’idéologie patriarcale », réplique le mouvement de résistance féministe russe contre la guerre.

Féminisme et pacifisme

Le féminisme se situe précisément aux antipodes de la matrice virile poutinienne qu’il combat, celle de la violence en acte dans toutes les guerres générées par un système patriarcal dont les dignes représentants s’érigent un peu partout dans le monde : Trump, Bolzonaro, Edogan, Salvini, Orbàn... pour ne citer que quelques noms.

« La violence, qu'il s'agisse de guerres entre États, de guerres civiles dues au fanatisme ou aux problèmes sociaux, de la persécution de minorités, a été exercée par le sexe masculin, quand bien même avec l'aide et la complicité des femmes, écrit Lea Melandri, intellectuelle et féministe italienne. Comment est-il possible qu'aujourd'hui encore, après avoir tant parlé de patriarcat et de machisme, nous soyons incapables de faire tomber le masque de neutralité qui nous empêche de reconnaître que les responsables de tant d'horreurs appartiennent à un seul sexe ? Qu'est-ce qui empêche les hommes sincèrement convaincus qu'ils doivent œuvrer pour la paix dans le monde de s'interroger sur la matrice " virile " de la violence ? » (2)

Parce qu’il est profondément pacifiste le féminisme se doit de dénoncer toutes les guerres, tous les impérialismes découlant de cette matrice virile. Par conséquent, ce que l’on reproche à Poutine -son invasion de l’Ukraine – ne saurait nous faire oublier la croisade yankee en Irak lancée sur de prétendues preuves d’armement chimique, ou encore le désastre libyen orchestré par la France... Une geste belliqueuse qui ne fait qu’apporter de l’eau au moulin propagandiste du Kremlin.

Deux poids, deux mesures

De même, comment ne pas noter le double standard -le deux poids, deux mesures- de l’indignation européenne face aux actuels bombardements russes en Ukraine et à ceux d’hier en Syrie. Oui ! Comment ne pas se remémorer la mollesse des réactions de nos gouvernements et de nos opinions publiques lorsque la Russie bombardait sans répit hôpitaux, écoles, camps de réfugiés, convois humanitaires en territoire syrien, réservant le bouquet final de tant de dévastations à la population alépine rattrapée dans ses moindres refuges par les bombes à fragmentation, les mêmes utilisées dans cette nouvelle guerre. Selon Chase Winter du média allemand  dw.com, les bombardements russes en Syrie auraient fait plus de 18.000 morts.

Est-il besoin de rappeler aussi le sort tragique de bon nombre de réfugié.e.s provenant de la Syrie, de l’Irak, de l’Afghanistan, ou de l’Afrique sub-sahariennes, refoulé.e.s par l’Europe et détenu.e.s dans des camps externalisés en dehors de ses frontières, quand ils ne trouvent pas  tout bonnement la mort dans le grand cimetière marin qu’est devenue la Méditerranée.

L’accueil des Ukrainien.ne.s par les Etats polonais et hongrois est certes louables, mais il est très sélectif puisque leurs frontières sont fermées aux autres réfugié.e.s qui ne leur ressemblent pas  par leurs couleur, religion, origines. Afin de mieux contrôler ces flux migratoires, des murs ont été dressés en Hongrie, et sont en cours de construction en Pologne.

En France, la gratuité des titres de transports qui vient d’être décidée pour les Ukrainiens fraîchement débarqués dans l’hexagone relève là encore du « deux poids deux mesures » puisque cette gratuité ne vaut pas pour les autres réfugiés. Un malaise que dénoncent les syndicats des contrôleurs évoquant le risque de contrôles au faciès et de discriminations racistes contraires à la tradition universelle des droits humains.

Le féministe est pacifiste mais ce pacifisme s’inscrit dans le temps long des changements profonds et radicaux qui régissent les rapports de genres et passent nécessairement par la transmission et l’éducation (autonomisation et émancipation de la femme, droits sexuels et reproductifs, parité homme/femme, justice sociale et économique, remise en cause du système patriarcal par les deux sexes, etc.), c’est pourquoi il ne peut s’accommoder de réductions simplistes et d’incantations vaines. Ma compréhension et ma solidarité vont donc

aussi bien à Pivavorov qu’à Lila (3) : Pivavorov a décidé de déserter pour rester aux côtés de sa famille alors que les hommes ukrainiens, entre 18 et 60 ans, sont enrôlés d’office sous peine d’emprisonnement. Lila a quitté l’usine textile où elle travaillait en Pologne pour rentrer en Ukraine et prendre les armes « pour défendre sa patrie ».

  1. Intervention du Président Poutine
  2. Gli orrori hanno un sesso 
  3. « La guerre arrive en Europe », Annalisa Camilli, Internazionale.
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