Le khol est le corollaire de la répudiation

Des femmes de conditions diverses préfèrent payer une compensation financière pour retrouver leur liberté prenant ainsi les islamo-conservateurs à leur propre piège… Entretien avec Nadia Ait-Zaï, avocate, directrice du centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme (CIDDEF).

Nadia Ait-Zaï. Photo Ghania Khelifi

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Les Algériennes par leur recours au khol utilisent le Code de la famille, ce texte même qui ne leur reconnaît pas l'égalité des droits, pour se libérer d'un mari violent ou avec lequel elles ne peuvent plus cohabiter. Le temps où le mari refusait d'accorder le divorce pour les maintenir sous sa tutelle semble révolu. Des femmes de conditions diverses préfèrent payer une compensation financière pour retrouver leur liberté prenant ainsi les islamo-conservateurs à leur propre piège.

Nadia Ait-Zaï, avocate, directrice du centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme (CIDDEF) qu'elle a fondé à Alger explique l'origine juridique de ce droit.

Nadia Ait-Zaï. Photo Ghania Khelifi
Pourquoi le législateur algérien n’a-t-il pas accordé aux femmes l’initiative ou le droit de demander le divorce comme en bénéficient les hommes au lieu de cette pratique ?

Le législateur aurait pu en 1984, lors de l’adoption du Code de la famille retenir cette forme de rupture du lien conjugal mais il n’en fut rien. Ce dernier a voulu se conformer à la tradition musulmane rigoureuse, au droit musulman classique en reprenant la répudiation qualifiée de divorce par volonté unilatérale et son corollaire le Khol, tous deux issus d’un verset de coran. Nous avions en 1996 lors de l’élaboration d’un projet de révision du Code de la famille proposé de supprimer cette terminologie et cette double forme de demande de divorce en permettant à l’un et à l’autre des époux de se séparer sans motifs car ces deux formes de divorce prévues par l’article 48 et 54 sont construites sur le principe de ne pas dévoiler le motif de la séparation.

Les femmes peuvent donc demander ce divorce sans avoir à se justifier? 

L’épouse peut se séparer de son mari, sans l’accord de ce dernier moyennant le versement d’une somme à titre de « Khol’ ». Il est intéressant de noter que le corollaire de la répudiation est le khol’, c'est à dire que l’épouse a aussi le droit de divorcer (de répudier) son mari, possibilité accordée par le droit musulman reprise d’un verset du coran (sourate 2-229) qui permet à l’épouse d’offrir «une compensation matérielle en échange de sa liberté » (in Coran traduit et commenté par Hamidullah). Le Code a repris cette règle affinée par la Cour Suprême. Cette dernière est venue mettre fin à un abus d’interprétation de la règle par les juges qui exigeaient l’accord de l’époux pour accepter le divorce demandé sous cette forme. Les juges de la Cour Suprême ont affirmé, que la demande de Khôl’ n’était plus subordonnée à l’acceptation de l’époux. La Cour Suprême, par cette décision, a reconnu que cette institution était bien un droit de la femme.

Le khôl est un procédé permettant à la femme de demander le divorce en payant une contrepartie financière à l’époux, il a donc été renforcé et explicité en 2005 par le législateur qui a rajouté dans l’article 54 du code de la famille l’expression « sans l’accord du mari ». En cas de désaccord sur la compensation financière, le juge ordonne le versement d’une somme dont le montant ne saurait dépasser la valeur de la dot de parité.
Il n’est pas superflu de répéter qu’en droit musulman la répudiation est un droit qui appartient à l’époux de rompre le lien conjugal sans motifs. Le corollaire de ce droit est le khôl’ qui est le droit de la femme à demander la rupture du lien conjugal sans l’accord de l’époux. C’est pourquoi il aurait été plus judicieux au législateur de modifier les dispositions de l’article 48 relatif au divorce en introduisant la combinaison des deux droits des époux et en affirmant que le divorce peut être demandé par l’une ou l’autre partie sans motifs moyennant réparation à la partie lésée par cette demande.

Le khôl' est-il vraiment un moyen de racheter sa liberté selon vous? 

Certains vous diront oui : l’épouse en voulant se séparer de cette manière va racheter sa liberté, d’autres vous diront non car le khol est le corollaire de la répudiation aux mêmes effets que la répudiation (divorce par volonté unilatérale). Pour bien comprendre ce mécanisme, il faut se replacer dans l’esprit de ces deux formes de divorce nés du verset coranique. La répudiation sans motifs oblige le partenaire à réparer le dommage causé à son épouse (moutaa) car le divorce est considéré abusif, le khol quant à lui également demandé par l’épouse cause un dommage à l’époux, il faut donc qu’elle lui rende ce qui a constitué le montant de la dot. C’est la compensation financière, montant de la dot qui est une forme de réparation. Souvent la dot n’est pas chiffrable, elle varie entre, rien, 2000 DA ou 100.000 tout dépend des pratiques utilisées par les régions d’Algérie. Le Khol est une pratique facile qui permet à la femme de reprendre sa liberté.

Qu’en est-il de l’évolution de la demande de khôl ? En hausse ou en baisse ?

Le khol est en hausse car c’est le moyen le plus facile utilisé par les femmes sans qu’elles aient à invoquer des motifs lors de demande de divorce. Néanmoins par rapport aux taux de la répudiation il en est loin. Le courant conservateur combat le Khol car il estime qu’il met en péril la famille par la liberté que prend la femme pour se séparer de son époux. Nous remarquons que la répudiation est la plus utilisée comme demande de divorce par l’époux. Étant dans la difficulté de demander le divorce dans les 10 cas prévus par l’article 53, assujetties à une preuve, les femmes ont de plus en plus recours à cette forme de rupture du lien conjugal plus facile à obtenir pour une raison simple qui est celle de ne pas produire de preuves des arguments allégués ou de ne pas en donner.

 

Notes:
Divorce par volonté unilatérale : Répudiation
Khol’ : divorce moyennant compensation financière
Source ministère de la justice
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