La femme égyptienne dans les séries de ramadhan

Mères porteuses, trahisons conjugales... cette année, les séries égyptiennes ont été riches en thèmes touchant à la vie des femmes et à leurs droits, avec un traitement parfois intelligent, d’autres fois injuste.

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Wafa Khairy

L’humiliation et les stéréotypes de genre ne sont pas absents de certaines productions. Mais on y trouve aussi beaucoup de représentations positives, que ce soit dans les problèmes soulevés ou dans leur traitement. Quels sont donc d’un point de vue féministe les grandes questions concernant la vie des femmes que donnent à voir les séries ramadanesques de cette année ?

Location des utérus et lutte autour de/à propos de/pour la maternité

La série « Silat el-rahim » [lien du sang] présente une idée novatrice/hardie et peu répandue dans nos sociétés, celle de la location des utérus et de l’avortement sécurisé qui représentent une partie du vécu des femmes, sans diabolisation ni exagération. Les rôles principaux sont joués par Yousra El Lozy, Iyad Nassar et Asma Abou El Yazeed, la réalisation est de Tamer Nadi.

La série raconte l’histoire d’un homme dont la femme est obligée de subir une ablation de l’utérus après une opération risquée. Il est de nouveau habité par le rêve de paternité. Sans en informer son épouse, il loue l’utérus d’une autre femme en utilisant des ovules que sa femme a congelés avant son opération. La femme qui a loué son utérus se retrouve dans un conflit intérieur. En effet, elle s’est engagée dans cette histoire pour l’argent mais elle vit un dilemme par rapport à ses sentiments maternels, surtout après avoir accouché et avoir été séparée de l’enfant.
De plus, la série interroge l’idée même de louer un utérus avec les interdictions religieuses et légales qui s’y rapportent, variables selon les pays arabes.

D’autre part, elle pose la question de l’avortement sécurisé. On a longtemps vu sur les écrans égyptiens l’avortement criminalisé, pratiqué dans un lieu effrayant et sombre sur une femme qui se sent coupable et stigmatisée et qui est généralement exploitée financièrement ou sexuellement par le médecin. Mais il n’en est pas de même cette fois-ci. Loin de stigmatiser les femmes, le médecin trouve qu’il est légitime pour elles d’avorter et défend leur droit à la vie. En outre, différents cas d’interruption de grossesse sont évoqués. On peut toutefois reprocher à cette série de montrer que les femmes qui veulent avorter ont eu tort de tomber enceintes en dehors du mariage.

Les jeunes filles de TikTok reviennent sur le devant de la scène

Une autre série à succès est « Aala nisbat mouchahada » qui a remporté la meilleure. L’histoire raconte l’affaire des filles de « TikTok », médiatisée en détail il y a plusieurs années. De jeunes filles, dont les plus célèbres sont « Hanine Houssam » et « Moda El Adham », ont été condamnées à la prison avec l’accusation d’ avoir « atteint aux valeurs de la famille égyptienne ».

La série tourne autour de deux jeunes filles issues d’un milieu pauvre à qui Internet offre une ouverture sur le monde. Chaïma, rôle joué par Selma Abou Dheif, réussit à gagner de l’argent avec TikTok et à devenir très célèbre après avoir été une jeune fille modeste vivant dans un quartier populaire. TikTok est devenu de ce fait une compensation de toute la laideur vécue dans sa famille et dans son milieu et de l’amour qu’elle n’a pas trouvé. Mais sa célébrité grandissante lui vaut d’être exploitée de diverses manières, à commencer par le chantage jusqu’à se trouver compromise dans une affaire de traite d’êtres humains, qui va en fin de compte la conduire en prison.

Cette série représente l’influence de la sphère TikTok sur certaines catégories sociales marginalisées et la façon dont les jeunes filles l’utilisent pour avoir une vie meilleure. Mais la fin déçoit tout espoir puisqu’elle anéantit ce que la série présente, dans un premier temps, comme des victoires à l’avantage de ces jeunes filles. En effet, la série se termine par l’emprisonnement de Chaïma.

Le problème n’est pas seulement l’emprisonnement de la jeune fille, mais aussi la prison qui est présentée comme le salut et la solution. Ainsi la jeune fille est montrée dans sa cellule où elle ressent paix et sérénité après les épreuves endurées à cause de TikTok.

Mais ce qui s’est avéré encore plus décevant, c’est la réaction de Leyla Ahmed Zaher, une des héroïnes de la série qui a déclaré que cette production n’avait pas pour but de sortir les jeunes filles de prison car toute personne qui a commis un délit doit être punie, même si elle est victime de son milieu.

Clichés et diabolisation

La série « Kamel el adad +1 » [Nombre total +1] traite de questions à la fois anciennes et nouvelles relatives aux problèmes familiaux. Les rôles principaux sont joués par Dina El Charbini, Cherif Salama et Issaaf Younes. Leyla découvre que son mari plaît à une autre femme. Sa belle-mère lui dit que c’est une situation normale et lui conseille de fournir des efforts supplémentaires pour attirer son mari afin qu’il ne s’intéresse à aucune autre femme.

Cette série reproduit l’image de l’homme oriental type sans la renouveler, mettant de côté que le mari de Leyla est seul responsable de ses actes, que c’est lui qui permet -ou pas- à une autre femme de l’approcher et qu’il n’incombe pas à Leyla uniquement de trouver des solutions pour préserver la relation conjugale.

D’autre part, la série propose une vision de l’influence du monde des réseaux sociaux sur les adolescents. La fille de Leyla est une adolescente qui apprécie TikTok et enregistre des vidéos. Sa mère le découvre et le lui reproche sévèrement. Mais quand l’adolescente fait l’objet d’un chantage, sa mère la soutient. La série présente ainsi un exemple positif du soutien d’une mère à sa fille victime de chantage.

Changeons de série : « Lahdhat ghadhab » [Un moment de colère] raconte l’histoire d’un mari narcissique qui humilie sa femme et la brutalise dès qu’il en a l’occasion. Les rôles principaux sont tenus par Saba Moubarak et Mohamed Farag. Dans l’un des épisodes, la femme tue son mari et va voir une militante des droits des femmes pour lui demander de l’aide. L’activiste l’informe que ce qui lui arrive est courant : elle-même a tué son mari quelques années auparavant.

Il s’agit là d’une incarnation négative, d’une diabolisation des féministes : la militante des droits des femmes apparaît dans le rôle de celle qui préconise l’immoralité et même le meurtre. Ainsi assiste-t-on à une nette tentative de déformer la figure des féministes et des activistes des droits humains.

Répétition et renouvellement

La série « Nema lafoucatou », malgré les rôles principaux uniquement féminins, comporte des idées machistes. Nema, la fille du peuple serviable, est présentée comme un personnage machiste qui reprend à son compte et reproduit les préjugés sociaux bien qu’elle les critique en apparence. C’est « une femme qui vaut 100 hommes » comme si les critères de la valeur étaient toujours liés à la masculinité. De même, elle entretient son mari en estimant que c’est une honte de faire cela. Elle essaie donc de ne pas blesser l’orgueil viril de son époux et lui donne de l’argent d’une manière détournée pour qu’il ne se sente pas diminué dans sa virilité. D’un autre côté, elle invective son mari avec les expressions « le mari de Sara » ou « le fils de Nawal », le nom de sa mère, considérant que c’est la suprême humiliation pour un homme.

Les séries, cette année, ont donné lieu à des représentations de femmes réalistes et véridiques. Ainsi le personnage d’Intissar, dans « Aala nisbat mouchahada », ressemble beaucoup aux mères des milieux populaires, il est très vraisemblable, ce qui n’est pas toujours le cas dans les productions dramatiques égyptiennes. Il en est de même dans la série « Al atawla » [Les durs] du personnage de Zina, une jeune fille qui porte le hijab d’une manière totalement réaliste. Ses vêtements sont ornementés et son hijab noué correctement. Pas d’exagération dans ce personnage comme on en voit d’habitude. C’est également le cas de Nema dans « Nema lafoucatou » malgré les imperfections de cette série.

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