L’angoisse des réfugiées syriennes au Liban

La vague de déportation, qui s’est récemment abattue au Liban sur les camps de réfugiés, épuise les Syriennes qui y vivent, même lorsqu’elles ne sont pas directement touchées par ces expulsions.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)

Écrit par Hayat al-Zein - journaliste libanaise

Peu après que l'armée a expulsé le mari de Laila vers la Syrie, un individu, qui avait découvert cette situation, a commencé à frapper à la porte de sa tente tous les soirs, prétendant vouloir l'aider. Lorsqu'il s'est rendu compte que cela ne fonctionnait pas, il a eu recours aux menaces : « Si tu n'ouvres pas la porte aujourd'hui, je sais que tu le feras demain. »

La vague d'expulsions forcées de réfugiés syriens qui a débuté il y a plusieurs mois au Liban a touché la plupart des familles syriennes, qui sont désormais confrontées à une lutte quotidienne contre les incursions soudaines des forces armées et à la peur de l'inconnu. À cela s'ajoutent des conditions de vie très difficiles dues à la crise économique et financière que traverse le Liban.

Lors de la récente et violente vague de déportation, qui s'est intensifiée au cours des mois d'avril et de mai 2023, les femmes réfugiées (que nous les appelons réfugiées même si elles ne sont pas reconnues comme telles au Liban) ont éprouvé collectivement une peur croissante qui gangrène la communauté syrienne : elles ne savent plus pour qui elles ont peur, ni de quoi elles ont peur. Doivent-elles s'inquiéter de l'expulsion de leur mari et des conséquences traumatisantes que cela entraîne ? Ou de la douleur de leurs enfants, au cas où leurs pères seraient expulsés, les laissant sans soutien de famille et sans l'attention et la protection paternelles ?

Les déportations ont augmenté en raison des mesures drastiques et des incursions surprises de l'armée libanaise. Ces mesures visent à faire pression sur les réfugiés pour les pousser à rentrer dans leur pays sans aucune garantie qu'ils ne seront pas victimes de préjudices, de disparitions forcées, d'arrestations ou de tortures. Quant à celles et ceux qui ont perdu leurs maisons, leurs terres et leurs biens à cause de la guerre menée par le régime syrien contre son propre peuple, aucune garantie matérielle, aucun droit au logement ne leur sont reconnus.

Aujourd'hui, il y a beaucoup d'hommes, réfugiés syriens au Liban, dont certains sont entrés clandestinement. Mêmes ceux qui ont un permis de séjour, ont peur des abus de la part des autorités et se sentent menacés d’expulsion. Cela signifie qu'ils ne peuvent pas travailler au Liban comme ils le faisaient auparavant - ou qu'ils ne peuvent pas travailler du tout - ce qui alourdit encore le fardeau qui pèse sur les femmes. En effet, celles-ci doivent désormais chercher du travail ou augmenter leurs heures de travail pour survivre et maintenir leur famille.

Les femmes sont au cœur de la crise

Salma (pseudonyme), une femme d'une trentaine d'années arrivée au Liban en 2014, vit actuellement dans un camp de réfugiés dans la vallée de la Beqaa. Elle fait partie des réfugiés qui ont ressenti le poids croissant de la crise récente. Ses responsabilités ont doublé depuis que son mari a été remis aux autorités syriennes.

« Lors de la dernière descente de l’armée, mon mari a été arrêté, et maintenant il est toujours emprisonné », explique Salma à Medfeminiswiya. J'ai cinq enfants, ajoute-t-elle, et ma plus jeune fille a deux mois. Il n'y a pas de travail, nous n'avons pas de soutien de famille. Ma fille n'a rien à manger depuis trois jours ». Salma n'est pas en mesure d'acheter du lait pour sa fille, c’est devenu trop cher. Tout ce qu'elle peut faire, c'est cuire de l'amidon dans de l'eau et le lui donner à la place du lait. Elle ne sait pas combien de temps encore le corps de son bébé supportera d’être dénutri.

Salma explique qu'en raison de l'absence de son mari, ses enfants pleurent tout le temps et demandent de ses nouvelles. Mais elle ne parvient pas à les calmer ni à les rassurer de quelque manière que ce soit. Elle ne peut pas les aider à surmonter cette épreuve.

« L'aide de l'ONU a été interrompue depuis deux mois » raconte Salma qui ne sait que faire face aux difficultés financières que traverse la famille qui ne dispose d’aucun revenu. De plus, Salma n'a pas pu trouver de travail. La plupart des femmes de son entourage travaillent dans l'agriculture, dans la plaine, mais elle ne peut pas le faire parce que sa fille qui vient de naître a besoin de soins et d'attention constants. « Comment puis-je fournir à mes enfants de la nourriture et de l'eau, sans parler de tout ce dont ils ont besoin pour survivre ? »

« Les femmes paient le prix le plus élevé parce qu'elles portent également le fardeau des soins à la famille et de l'entretien du foyer. Tout cela devient plus difficile en période de crise »

Mona (pseudonyme) se trouve dans une situation similaire. Elle aussi est une réfugiée et vit au Liban depuis environ sept ans avec son mari et ses sept enfants, plus précisément dans le camp de Gaza dans la Beqaa. Depuis la crise, sa vie n'est plus la même : « Ce que nous vivons en ce moment, cette peur dans les yeux de nos hommes, jeunes et vieux, n'est pas normal, explique-t-elle. Les hommes n’osent pratiquement plus sortir de chez eux. Nous n'avons rien mangé depuis dix jours. Tout le monde est nerveux, en proie à la peur. Cette angoisse se lit plus clairement sur le visage des personnes âgées que sur celui des jeunes. Or, si les vieilles personnes ont peur, comment peuvent-elles soutenir les jeunes ? »

Mona raconte qu’elle est envahie par l’appréhension : elle est anxieuse pour tout, pour son mari et ses enfants. Si l'un d'entre eux a, ne serait-ce que cinq minutes de retard, quand il rentre à la maison - ou plutôt regagne sa tente - elle le contacte immédiatement et appelle jusqu'à ce qu'il ne réponde et qu'elle soit enfin rassurée. « Ce sont les femmes qui paient le plus lourd tribut, car c'est à elles qu'incombe la charge de prendre soin de la famille et d'entretenir le foyer. Tout cela devient plus difficile en période de crise. » Le mari travaille de Mona a un étal de chaussettes, ce qui lui permet tout juste d'assurer un revenu minimal pour sa famille. Son fils aîné travaille également, il vend des pommes de terre pour aider son père. Mais la situation actuelle a entraîné une baisse de leurs revenus, car ils doivent rester à la maison la plupart du temps pour contourner les restrictions croissantes et éviter le risque d'une expulsion injuste. Elle s’est donc mise à travailler pour pouvoir assurer leur minimum vital.

Hayat Mirshad, directrice exécutive du collectif FE-MALE, souligne que les défis économiques font partie des principales préoccupations des femmes, en particulier dans les pays qui connaissent des crises, des guerres et des conditions de sécurité difficiles. « Les femmes paient le prix le plus élevé parce qu'elles portent également le fardeau des soins à la famille et de l'entretien du foyer. Tout cela devient plus difficile en période de crise », souligne-t-elle.

Selon des données récentes publiées par Access Center for Human Rights (ACHR), le 19 mai 2023, les autorités libanaises ont arrêté pas moins de 808 réfugiés et en ont déporté 336. Ce nombre comprenait également des femmes et des mineurs dont les expulsions ont eu lieu dans différentes régions du pays telles que Burj Hammoud, Wadi Khaled, et Hermel, ainsi que le district du Chouf, Keserwan, et d'autres zones.

Oppression, pauvreté et exploitation

Nous avons également parlé à Laila, une troisième réfugiée pour laquelle nous utilisons également un pseudonyme afin de la protéger. Elle vit avec son mari et ses trois enfants dans une petite tente dans un camp de la région de Qaraoun. Fin avril, une patrouille de l'armée est venue chercher son mari, qui, selon elle, a ensuite été expulsé vers la Syrie. Alors qu’il était parti depuis peu, un homme qu'elle ne connaissait pas, profitant de l’absence de son mari pour l’approcher, a commencé à frapper à la porte de sa tente tous les soirs, prétendant vouloir l'aider. Lorsqu'il s'est rendu compte que cela ne fonctionnait pas, il s'est mis à la menacer : « Si tu n'ouvres pas la porte aujourd'hui, je sais que tu le feras demain. »

Laïla est parfaitement consciente que cet homme n'a pas l'intention de l'aider. Si quelqu'un veut offrir son aide, il ne le fait pas après minuit, il vient en plein jour proposer ses services.

Lorsque la situation s'est répétée, Laila a décidé de vendre sa tente à Qaraoun et de chercher une petite chambre à louer pour assurer sa sécurité et celle de ses trois enfants. Mais cela n'a pas été possible en raison du coût élevé des loyers, ce qui l'a poussée à s'installer temporairement chez un parent.

Les tourments de Laila ne s'arrêtent pas là : l'un de ses enfants souffre de vitiligo, il est donc sujet à un cancer de la peau, ce qui signifie qu'il a besoin d'un traitement et de soins constants. Or, Laila n'a pas les moyens de payer les médicaments et les visites médicales, surtout depuis l'expulsion de son mari. Elle n'est également plus en mesure de payer l'éducation de ses autres enfants, en raison du coût élevé que cela signifie et de l'absence de moyens de transport. « Nous vivons à la merci de l’autre », déplore-t-elle.

Un rapport du Fonds des Nations unies pour la population montre qu’en période de conflit, tout le monde est touché par la violence, mais que les femmes et les filles sont plus vulnérables. En particulier la violence fondée sur le genre, en raison de l'absence de protection sociale et du manque d'accès aux biens et services essentiels. Le même rapport souligne qu'il existe une corrélation entre conflits et difficultés économiques qui exposent les femmes au risque de violence sexuelle, les plongeant dans un sentiment de menace et d’insécurité permanent renforcé par l'absence de leur partenaire. À tout cela s'ajoutent le manque d'électricité, de salles de bains privées, de serrures aux portes et autres besoins fondamentaux.

« Nous vivons à la merci de l’autre »

Nous avons discuté de cette question avec une militante féministe qui a préféré garder l'anonymat pour des raisons de sécurité. Même si les femmes sont moins susceptibles d'être expulsées, explique-t-elle, ce sont elles qui en subissent le plus les conséquences. En effet, la plupart d'entre elles sont obligées de quitter la maison plus fréquemment et de travailler davantage parce que leurs partenaires masculins craignent les incursions surprises des forces armées. En outre, les femmes réfugiées deviennent plus vulnérables lorsque leurs maris sont expulsés et qu'elles restent seules. De fait, la plupart des réfugiées n'ont pas de permis de séjour valables, ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas avoir recours à la justice si elles sont victimes d'exploitation et de violence : la crainte des répercussions qu’entraînerait leur plainte auprès de la police prenant le dessus.

Il est évident que la crise des déportations a affecté la vie des femmes et de la cellule familiale. Les membres d'une même famille étant séparés les uns les autres, les femmes sont obligées de travailler de très longues heures qui s’ajoutent à leur travail domestique. Cela les expose à une exploitation accrue en dehors de leur foyer et à la violence au sein de leur famille, d'autant plus que de nombreux hommes, qui ressentent le poids de la discrimination et de l’injustice sociale et juridique, laissent éclater leur colère sur le corps et sur l'âme épuisés de leur partenaire.

Quitter la version mobile