« Enfin… je peux écrire sur mon expérience dans les geôles algériennes »

Alors qu’on célèbre la journée internationale de la liberté de la presse pour l’année 2023, le directeur de « Radio M » reste derrière les barreaux. Quant à moi, j’ai perdu mon travail ...

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Alors qu’on célèbre la journée internationale de la liberté de la presse pour l’année 2023, le directeur de « Radio M » est toujours derrière les barreaux. Quant à moi, j’ai perdu mon travail après que les scellés ont été apposés sur la porte de notre radio. Pourtant, je suis toujours plus convaincue que même si l’on peut emprisonner les corps et sceller les portes des rédactions, il est impossible d’arrêter les idées et la parole libre. Les tentatives de musèlement et l‘acharnement contre les journalistes ne peuvent rien y faire.

A vrai dire, depuis la sortie de ma geôle sombre et froide, j’ai tenté plusieurs fois d’écrire en vain, et cela par peur que mes larmes et ma petite voix ne manquent à cette pièce exigüe et que, de nouveau, elle m’attire à elle ? Que son lit bleu soit pris par la nostalgie de mon corps exténué ? Ou alors que mes yeux épris de… liberté manquent à son haut plafond ?

Je n’ai pas écrit, car quelque chose dans mon for intérieur ne voulait pas revivre les jours passés dans cette cellule. A vrai dire, j’ai écrit, filmé et parlé. Mais il m’est très difficile de narrer l’histoire de mon arrestation et de mon emprisonnement. Je ne sais plus par où commencer ni où finir. Mais je ne suis pas arrivée à la fin de cette histoire. Pas du tout...  Car il s’agit d’une lutte infinie pour une presse libre et indépendante.

Je vais passer la nuit dans un centre de sécurité situé en face du premier media dans lequel j’ai travaillé

Au deuxième jour de l’Aïd el Fitr, après quelques jours de la célébration de la journée internationale de liberté de la presse, et plus précisément, le 14 mai 2021, j’ai été arrêtée et mise en garde à vue jusqu’au 18 mai 2021.

Ce jour-là, je me trouvais avec des journalistes et des photographes pour couvrir les marches populaires du Hirak qui était rendu à sa troisième année. J’ai été arrêtée et conduite dans un poste de police du centre d’Alger. Là, on m’a retenue jusqu'à seize heures environ et ensuite transférée vers un autre centre de sécurité où j’ai aperçu d’autres confrères, eux aussi arrêtés.

J’avais cru que je serais libérée après l’interrogatoire, cependant, contrairement à mes collègues, j’ai été retenue. Il se faisait tard, la peur commençait à m’assaillir. Vers 23 heures, et après des questions sur ma personne et sur les raisons de ma présence à la marche du Hirak, on m’a informée que j’allais passer la nuit en garde à vue. J’ai signé un procès-verbal d’audition et on m’a accordé le droit de contacter un membre de ma famille.

J'étais anéantie et ne cessait de pleurer... Je me posais maintes questions, mais je ne trouvais aucune réponse tellement j'étais épuisée. Ensuite, on m’a emmenée chez un médecin légiste passer des examens, pour enfin atterrir dans une cellule au cœur de la capitale, située juste en face du siège du premier média où j'ai travaillé après l’obtention de mon diplôme en 2014. Quelle coïncidence !

Mars 2019 , lors d'un sit in organisé par les journalistes à Alger contre le 5éme mandat du président A.Bouteflika et pour la liberté de la presse.

Tu es journaliste et c’est tout !

Cela peut paraître étrange, mais la première personne qui m’est venue à l’esprit dès que j’ai eu posé le pied en prison, ce n’était ni ma mère, ni mes frères, ni mes collègues ou amis, mais le ministre de la communication : je me suis demandé s’il allait passer une nuit comme les autres ?

Dès que je me suis avachie sur mon lit, une lumière blanche a accentué le bouillonnement de mes idées. Je me suis posé beaucoup de questions mais je me suis contentée d’une seule réponse avant que mon corps fatigué ne sombre dans un sommeil profond : « Tu es journaliste et c’est tout. »

Durant ces jours, la solidarité a été mon réconfort

Dans ma geôle, j’ai reçu la visite de l’avocate Zoubida Assoul, puis celle de ma mère, de mon frère. Ils étaient mon seul lien avec l’extérieur.

J’ai demandé à l’avocate si mon arrestation n’intéressait pas mes confrères comme mes geôliers me l’avait fait croire. Elle m’a répondu, étonnée, qu’au contraire, mes confrères étaient solidaires avec moi.

Ma mère est venue me voir le deuxième jour. Elle m’a prise dans ses bras comme si elle le faisait pour la première fois, puis elle m’a dit que le monde entier évoquait mon cas. « Kenza, le monde parle de ce qu’il t’arrive, toutes les chaines en discutent. Et la maison grouille de personnes que je ne connaissais pas, venues me soutenir dans mon malheur. »

Mon frère m’a rendu visite le jour suivant, il m’a étreinte en essayant de cacher ses larmes. Il m’a regardée, les yeux rougis, et dit : « Ma sœur, ma colère n’a d’égale que la joie de te voir. Je suis fier de toi et de ton parcours. Tu bénéficies d’une large solidarité à l’extérieur.» Effectivement, la solidarité a été mon réconfort durant ces jours, ces heures, et ces secondes passées, à attendre de savoir quel serait mon sort.

Serais-je emprisonnée ?

8 mars 2020; lors d'une grande marche féministe à Alger.

Lors de ma détention, j’ai été conduite une seule fois au centre de sécurité menottée. Là, on m’a demandé le code secret de mon téléphone. Bien sûr, j’ai refusé de le donner car la loi me donne le droit de protéger mes sources.

Le 18 mai 2021, on m’a informée très tôt que j’allais être déférée devant le juge. La joie a empli la geôle et je me suis précipitée vers mon casier pour changer de vêtements et dire adieu à ce lieu sans vie.

Ce que le temps fut long malgré la proximité du tribunal de Sidi M’hamed, au centre d’Alger. Arrivée au tribunal, j’ai attendu dans une cellule au sous-sol. C’était le jour le plus pénible de ma vie, vais-je être   emprisonnée ou vais-je retrouver la liberté ?

Je perds connaissance face à la juge

D’abord, j’ai comparu devant le juge d’instruction. Il m’a posé des questions auxquelles j’ai répondu, encouragée par la présence des avocats qui m’accompagnaient. J’ai été reconduite au sous-sol du tribunal avant de remonter, accompagnée d’un policier. Là, les avocats m’ont informée de ma comparution immédiate sur décision du juge d’instruction.

J’ai passé des heures à attendre, les larmes aux yeux. Je souffrais, ma température était basse, j’avais des étourdissements et des nausées ; j’étais assaillie par une foule de questions sur la presse, l’information, et sur mon sort au cas où on m’enverrait à nouveau derrière les barreaux.

Mon tour arrive, je monte des escaliers abrupts pour me retrouver enfin devant la juge. Face à moi, il y a mes collègues, mes amis, ma famille et un bon groupe d’avocats, hommes et femmes. La juge m’appelle mais sa voix est lointaine. Elle s’éloigne de plus en plus. Puis, je perds connaissance, exténuée, en proie à une peur où se mêlent d’autres sentiments que je suis incapable de décrire.

Je reprends conscience, la juge me demande si je veux être jugée aujourd’hui. Ce à quoi je réponds, si c’est aujourd’hui, est-ce que je peux retourner chez moi accompagnée de ma famille ? Elle rétorque que je dois répondre par oui ou non. Puis, elle décide de reporter le procès d’une semaine et de me libérer.

Ihsane El-kadi, le directeur de « Radio M », a refusé ma démission, étant journaliste rien ni personne ne pouvait m’interdire d’exercer ce métier.

J’ai de nouveau senti la liberté mais le cauchemar continue

A ma sortie du tribunal, j’ai de nouveau senti la liberté mais le cauchemar a continué. Car plusieurs chefs d’accusation avaient été retenus contre moi : atteinte à l’unité nationale, incitation à attroupement non armé, attroupement non armé, diffusion de tracts susceptibles de porter atteinte à l’unité nationale et offense à un corps constitué. Ces accusations sont dues au simple fait que j’exerce mon métier, un métier que j’aime profondément. J’aime aussi ma patrie et je n’ai jamais pensé et ne penserai jamais à menacer son unité nationale ou porter atteinte à ses intérêts.

Le tribunal m’a innocentée des accusations d’atteinte à l’unité nationale et d’attroupement. J’ai écopé de 3 mois de prison avec sursis et d’une amende. Mais, en appel, la cour m’a innocentée de toutes les accusations dont j’étais l’objet.

Personne ne m’interdira de faire ce métier

Après ma libération, j’ai mis beaucoup de temps à reprendre le travail. J’ai présenté ma démission à « Radio M », car j’étais très éprouvée. Ihsane El-kadi, le directeur de « Radio M », a refusé ma démission, étant journaliste rien ni personne ne pouvait m’interdire d’exercer ce métier.

J’ai donc repris la travail grâce à la grande solidarité de l’opinion publique et à l’immense soutien de mes collègues et de ma famille qui m’ont accompagnée dans ce dur métier. J’ai commencé à présenter les infos et des émissions radiophoniques. J’ai également repris la couverture d’évènements. J’ai continué de pratiquer ce métier qui est pour moi la réalisation d’un rêve d’enfant. En fin de compte, ma détention et mise en garde à vue m’ont confortée dans ma volonté de poursuivre le devoir d’informer l’opinion publique.

Les idées et la parole libre ne peuvent être emprisonnées

Aujourd’hui, alors qu’on célèbre la journée internationale de la liberté de la presse, en cette année 2023, le directeur de « Radio M » est confiné derrière les barreaux. Quant à moi, j’ai perdu mon travail après que les scellés ont été apposés sur la porte du siège de radio M. Pourtant, je suis toujours plus convaincue qu’on peut emprisonner les corps et sceller les portes des rédactions, mais il est impossible d’arrêter les idées et la parole libre. Les tentatives de musèlement et l‘acharnement contre les journalistes ne peuvent rien y faire.

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