« Hystériques », « chouettes », « possédées », ou comment les troubles psychologiques des femmes sont utilisés comme incitation à la violence contre elles et à leur exclusion.

Tant que les troubles et l'épuisement psychologique des femmes ne seront pas abordés en tenant compte de la nature des sociétés, des coutumes et des lois qui encouragent leur oppression, de nombreuses femmes préféreront pleurer seules, se suicider ou accepter n’importe quel kit de bonheur immédiat à ouvrir comme une boîte de conserve.

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Il ne fait aucun doute qu'au moins une fois cette semaine ou cette année, vous avez été stigmatisée, traitée de « folle » ou en termes similaires. Cette manière de faire montre que revendiquer ses droits pour une femme signifie qu'elle est « irrespectueuse », qu'elle est « complexée » ou qu'elle « n'aime pas les hommes ».

Le féminisme est associé aujourd’hui à ces mots et termes faciles à utiliser pour nous faire taire et rendre ridicule ce à quoi nous sommes confrontés, même lorsqu'il s'agit d'une menace de mort ou de violence physique. Tout trouble ou état psychologique vécu par une femme est immédiatement rangé dans la catégorie « hormones » et « hystérie ». Il se peut qu’on la qualifie de « pute », parce que, par exemple, elle ne sent pas prête pour le mariage, qu’elle souffre de peur ou simplement qu'elle refuse une fausse promesse de bonheur. On la critique car elle n’a pas de foyer et de mari. Ou encore parce qu'elle ne « se soucie pas de sa féminité » selon les normes de la féminité imposées à toutes les femmes, comme lorsqu’elle préfère porter des pantalons confortables au lieu de robes élégantes.

Ce rejet du conformisme peut parfois conduire au meurtre, aux menaces, aux violences et, au mieux, à une marginalisation et à un déni de ce que vivent les femmes. Traiter de ce vécu n'est pas une priorité, cela peut attendre un autre jour, un autre moment selon les tenants de cette vision.

Epouser une autre femme...

Dans un entretien à Medfeminiswiya, Najlaa (28 ans) avoue avoir caché pendant des mois sa souffrance et sa dépression à son mari ainsi qu’à sa famille, tout en essayant de continuer et de résister. Malgré cela, elle a été abandonnée par son mari car elle était dans l’incapacité de répondre à ses exigences conjugales. Elle passait son temps seule plongée dans des crises de larmes. Après un certain temps, elle a appris qu’il avait contracté un mariage secret avec une autre femme. Lorsqu'elle le lui a reproché, il a répliqué que la vie avec elle était insupportable puisqu'elle était incapable d’accomplir ses devoirs. « La chouette est plus douce que toi, m’a-t-il dit », raconte Najlaa.

Sans abri, sans logement, sans travail, Najlaa n’a pu quitter son mari. Tout ce qu'elle a pu faire était de consulter un psychiatre en passant par une association de femmes. C’est ainsi qu’on lui a diagnostiqué une dépression sévère…

« Ma mère me demande ce qu’il me faut pour être heureuse. À son avis, j'ai toutes les raisons de l’être et elle m’accuse d’être responsable du remariage de mon mari. Ma propre mère ne m’a pas comprise et n’a pas remarqué à quel point je souffrais, ni que je ramassais de l'argent ici et là pour pouvoir acheter mes médicaments, explique Najla. Tous les jours, j'entends des paroles odieuses ; mon mari me parle à peine, quand il s'assoit en face de moi, il s'amuse à se moquer de mon comportement et de mon état : il m'appelle oh toi la malade”, toi l’animal, tu es stupideet le diable t'habite. Mes enfants mémorisent parfois ces mots et les répètent. Ils n'ont pas pitié de moi, même si je vis et je me bats pour eux. »

Obligée d'être heureuse...

Dans son livre To Live a Feminist Life (2017), la chercheuse féministe Sarah Ahmed aborde le concept de bonheur d'un point de vue féministe. Elle évoque le bonheur comme une sorte d'effort émotionnel pour atteindre l'objectif principal de rendre les autres heureux en leur paraissant heureux. Montrer son bonheur est un devoir moral imposé par le système patriarcal aux femmes et aux filles, une faculté à incarner les caractéristiques de genre qui leur sont assignées.

Par exemple, lorsqu’elles deviennent mères, les femmes se doivent de répondre aux attentes de la société en extériorisant le bonheur que leur procure une telle expérience. Ainsi, les sentiments de tristesse et d'insatisfaction prennent un caractère pathologique et sont alors diagnostiqués comme dépression post-partum. Sarah Ahmed ajoute que le bonheur est également utilisé comme un outil de pression contre les homosexuelles ou celles qui ont des identités de genre fluides, car la société assimile le bonheur exclusivement à l'hétéronormativité. Le fait de ne pas exprimer le bonheur est considéré comme un comportement « maladif » lié à une sexualité autre.

Dans le cas de maladies physiques et psychologiques, on entend encore « Mariez-vous et la situation s'arrangera ! »

« Hystérie »

Le terme hystérie a commencé à être utilisé avec Hippocrate (le père de la médecine) au cours des 4ème et 5ème siècle avant J.-C.  Ce terme est un dérivé du mot « hystera » signifiant utérus. Hippocrate a relié l'hystérie à l'utérus, estimant qu'il provoque de l'anxiété et de la tristesse en cas de déficit émotionnel.

Ainsi, la médecine de l'époque éliminait la possibilité pour les hommes de souffrir d'hystérie en l’associant exclusivement aux femmes. L'hystérie était diagnostiquée par des symptômes tels que l'anxiété, les explosions émotionnelles, les comportements sexuels instables, les variations de l'appétit et les accès de colère.

Cette vision est rejetée par le docteur Sayed Jreij, psychiatre et toxicologue, qui souligne que l'hystérie touche aussi bien les hommes que les femmes : « Associer l'hystérie seulement aux femmes est une erreur courante que l’on fait dans de nombreuses sociétés, en particulier les sociétés arabes qui restent encore à la traîne dans le domaine des droits des femmes », a-t-il déclaré.

La théorie des « hystériques » a gagné en popularité à l'époque victorienne, une période historique importante, non seulement en Angleterre, mais dans toute l'Europe. Elle trouve son point culminant dans l'Empire britannique, également appelé le règne de la reine Victoria (1837-1901).

Au cours des siècles, les femmes malades mentales ou désobéissantes ont été  emprisonnées et soumises à des « traitements » terribles tels que l'électrocution, l'exil ou le mariage forcé, au motif que le mariage est le remède à tout. Même dans le cas de maladies physiques et psychologiques, on entend encore : « mariez-vous et la situation s'arrangera ! »

Malheureusement, la théorie sur les hystériques est encore en vogue, car nous vivons dans une narration et dans une histoire écrites par des hommes. Une histoire qui ne reconnaît souvent les femmes que comme propriété, butin, moyen, ou comme anomalie par rapport à la règle générale, c'est-à-dire celles des hommes. Ainsi se fâchent-ils et se vengent-ils s'ils rencontrent une femme insatisfaite, rebelle ou déprimée, considérée comme ayant une « moralité douteuse » et étant bien sûr « hystérique », « forte tête », « détestant les hommes » ou « malade », le tout sans aucun diagnostic, ni compréhension aucune...

Par ailleurs, il est toujours aussi ardu d'expliquer en quoi le féminisme ne signifie pas démarche anti-hommes, maladie mentale ou actes insensés. Il est également difficile d'expliquer que la dépression ou les troubles mentaux ne sont pas un crime et ne signifient pas une « déchéance morale » !

« Dans notre société orientale, l'hystérie semble être plus courante chez les femmes. souligne le docteur Jreij. Au fil des ans, de nombreuses femmes se sont adaptées à l'idée qu'un homme soit le tyran, et cette discrimination les a conduites à mimer le comportement masculin pour prouver qu'elles existent, et ce à travers des réactions, considérées par certains comme exagérées, et catégorisées sous le nom de personnalité hystérique. »

Quant à l’hystérie associée au trouble prémenstruel qui serait lié aux hormones, Jreij souligne que si le syndrome pré-mensuel existe bien, il ne concerne pas toutes les femmes, et que cette idée n’est pas fondée et ne sert à rien d'autre qu'au harcèlement nocif et répandu contre les femmes. Jreij note également que les femmes sont plus enclines à consulter un psychologue et plus à mêmes de prendre en compte leurs troubles psychologiques que les hommes, surtout dans les sociétés arabes.

« Décrire le comportement des femmes comme hystérique et considérer qu'il y a un déséquilibre hormonal derrière n'est rien d'autre qu'une intimidation nuisible et généralisée contre les femmes, et cela n'a rien à voir avec la vérité. »

Psychologie féministe

Karen Horney

Le terme « psychologie féministe » a vu le jour avec les travaux de recherche présentés entre 1922 et 1937 par la psychiatre allemande Karen Horney, considérée comme la pionnière de cette discipline. En 1967, ces recherches ont été rassemblées et publiées dans Feminine Psychology. Dans son article publié en 1935 et intitulé « Le dilemme du masochisme féminin », K. Horney présente une carte pour déconstruire la psychologie dans sa forme traditionnelle, et la relire à la lumière de la compréhension des schémas comportementaux des femmes.

L'idée principale de la psychologie féministe se concentre sur l'étude des formations sociales et de la sexualité humaine. Elle reproche aux recherches psychologiques menées depuis l’Antiquité d'être un exemple significatif de la perspective patriarcale selon laquelle les hommes sont un critère d'évaluation légitime dans la société, tandis que les femmes sont marginalisées en raison de l'inégalité des sexes et des pressions écrasantes qui s'exercent sur elles.

Les figures de proue de ce type de représentations tentent de faire intervenir l'influence du genre et de la sexualité sur les troubles vécus par les femmes ainsi que d'autres genres marginalisés, dont les membres sont parfois stigmatisés, comme s’ils étaient possédés par le démon, et que leurs mœurs et comportements étaient immoraux.

En attendant que les sociétés patriarcales ne changent, que l’on cesse de considérer les problèmes des femmes comme des détails que l’on continue à éluder, beaucoup d’entre elles seront entravées par le complexe de culpabilité, l'oppression, la répression, et l'incapacité à s'exprimer...

En attendant que les troubles et l'épuisement psychologique des femmes ne soient traités en tenant compte de la nature des sociétés, des coutumes et des lois qui incitent à les détruire, beaucoup préféreront pleurer seules, se suicider, ou accepter n'importe quel kit de bonheur immédiat à ouvrir comme une boîte de conserve.

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