Le droit de succession des femmes syriennes : ignoré dans les campagnes et «appliqué à moitié» dans les villes.

Dans les villages agricoles de Syrie, la plupart des communautés, majoritairement chrétienne, alaouite et druze, n'accorde aux femmes aucun droit à l'héritage. Les membres de la communauté sunnite adhèrent pour leur part, et dans une certaine mesure, aux préceptes de la charia pour régler la succession, à l’exception des terres agricoles auxquelles les femmes se voient contraintes de renoncer...

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« Avez-vous reçu votre part de l'héritage paternel ? » Ce n'est pas une question ordinaire pour Loubna (son prénom a été changé), femme rurale qui travaille comme employée dans le secteur public et aux champs avec son mari pendant les périodes de récolte. « Est-il concevable pour moi de prendre le pain de la bouche de mon frère ?! », a répondu Loubna, rejetant la question comme si elle venait d'une autre planète.

« Bien sûr, je n’allais pas priver mon frère de son droit, poursuit-elle. Donc, je n'ai rien pris. Ce droit revient à mon frère et à mon neveu ».  Une amie de Loubna assise à ses côtés était du même avis : « Nos parents donnent les terres et les maisons aux prunelles de leurs yeux, c'est-à-dire seulement aux hommes adultes et jeunes, pour éviter les conflits, de sorte que les femmes et leurs maris ne puissent diviser le patrimoine familial. » Les deux femmes s’accordent pour maudire ce qu’elles considèrent comme les mauvaises manières de certaines femmes qui partagent les biens de leur famille avec leurs frères.

Dans les villages agricoles de Syrie, la plupart des communautés, à majorité chrétienne, alaouite et druze, n'accorde aux femmes aucun droit à l'héritage. Les membres de la communauté sunnite adhèrent pour leur part, et dans une certaine mesure, aux préceptes de la charia pour régler la succession, dont sont exclues les terres agricoles auxquelles les femmes se voient contraintes de renoncer.

Dans les villes, le droit successoral connaît une légère avancée parce que les biens immobiliers ne sont pas liés moralement au nom de la famille, comme le sont les terres agricoles qui se transmettent de génération en génération pour être maintenues au nom de la même famille. Ainsi rien ne s’oppose à ce que les citadins permettent aux femmes d’hériter, dans la stricte mesure de que leur accorde la charia, bien sûr.

Le droit successoral en Syrie

Toutes les communautés musulmanes en Syrie se conforment à une seule loi sur l'héritage octroyant aux femmes la moitié de ce que les hommes reçoivent en part. Donc « à l’homme la part de deux femmes » ce qui signifie que la sœur hérite la moitié de la part de son frère ; la femme reçoit de son mari la moitié de ce qu'il hérite d'elle ; l’existence d’une fille orpheline n’empêche pas les mâles proches de la famille de prétendre à l’héritage. Sur ce plan, la communauté druze ne se distingue que par le respect du testament concernant l’héritage.

Quant aux communautés chrétiennes, elles se conformaient à la loi sur le statut personnel, dont la partie relative à la succession a été modifiée en 2011. Depuis, les femmes et les hommes jouissent de l’égalité en matière d'héritage, qu'il provienne du père ou de la mère ou entre mari et femme. Ce qui donne le droit à la femme de recevoir sa part de l’héritage.

Il convient de noter que selon la loi islamique sur l'héritage, si un homme meurt en ayant une descendance uniquement féminine, ses frères et parents mâles ont droit à des parts de l'héritage ; en plus de son père et de sa mère, s'ils sont vivants au moment de son décès. Parce que les femmes sont privées de tout droit à la succession, contrairement à celles appartenant aux communautés chrétiennes.

« Si une fille ose demander sa part, elle peut être tuée sous de nombreux prétextes, car de terribles accusations peuvent être montées contre elle, notamment la soi-disant atteinte à “ l'honneur”. »

La pauvreté est féminine... et pour les femmes, la « maison de la maqati’»

Medfemneswiya a interrogé Salma (le prénom a été changé) sur l’héritage. Elle avoue avoir pris sa part de l'héritage paternel, mais, « mes frères et même mes soeurs ont contesté cette décision considérant que j’avais violé les coutumes et pris ce qui n’était pas mon dû... Quant à mes sœurs, elles ont immédiatement tout cédé aux garçons et le regrettent beaucoup, mais elles sont désormais dans l’incapacité de reprendre quoi que ce soit. »

Halima (le prénom a été changé) raconte son histoire les larmes aux yeux : « J'ai cédé, devant notaire, ma part d’héritage à mes frères sur leur demande, ça s'est fait naturellement. Je me suis mariée, j'ai eu des enfants, mais mon mari est décédé. Juste après, j'ai vécu de graves difficultés financières tandis que mes frères et leurs familles jouissaient de l'argent de mon père. Aucun d’eux n’avait accepté de me donner une infime partie des biens hérités, même pas une chambre dans leur maison. J'ai donc dû louer un appartement et travailler ici et là pour subvenir à mes besoins et ceux de mes enfants ».

Le gouvernorat syrien d'As-Suwayda présente une situation différente, comme nous le confirme l'une des femmes qui s'est présentée, en 2008, aux élections de l’assemblée du peuple en tant que candidate indépendante. Selon elle : « les femmes d'As-Suwayda sont moins bien loties que la plupart des femmes syriennes car il est impossible pour elles de bénéficier de leur part d'héritage. Avant la mort du père, les biens sont distribués aux hommes. Il ne reste aux femmes de la famille que ce qu'on appelle beit al Maqati', une pièce réservée aux femmes sans descendance qu’elles soient veuves, divorcées ou célibataires. Si une fille ose demander sa part, elle peut être tuée sous de nombreux prétextes, car de terribles accusations peuvent être montées contre elle, notamment la soi-disant atteinte à l'honneur”. »

La candidate à l’élection législative ajoute que si elle avait été aisée financièrement, elle aurait remporté ce siège à l’assemblée, « mais les hommes, eux, avec leur part d'héritage sont plus riches... Par conséquent, leurs chances de gagner est plus élevées ».

Une énorme différence entre la charia et les traités internationaux relatifs à l'égalité

Bodour Kwifati

Dans un entretien avec Medfeminiswiya, l'avocat Bodour Kwifati explique qu'aujourd'hui encore, « la plupart des zones rurales ne reconnaissent pas le droit de succession aux femmes ; on voit souvent le père céder ses biens de son vivant à ses descendants mâles. Si les femmes s'y opposent, elles sont ostracisées par la famille, subissent la colère de la mère et du père et le boycott permanent de la part de tous les membres de la famille. Mais, dans les villes la situation des femmes est légèrement plus favorable car elles ont le pouvoir de récupérer leur part de la succession après une bataille juridique dans la plupart des cas ».

Kwifati ​​ajoute : « les femmes ont une part moindre que celle des hommes, mais ces derniers en oublient la raison. En islam, les femmes ne sont pas censées subvenir aux besoins de la famille, tandis que les hommes, considérés comme tuteurs, sont obligés de garantir une prise en charge à tous et toutes, qu’il s'agisse de la sœur ou de la mère, de l’épouse ou de la fille. Ils oublient surtout que les temps ont changé et que donc le système doit l’être aussi, surtout à la lumière des conditions économiques, de la guerre et de l'après-guerre que nous vivons... Il faut dépasser les lois pour que les hommes et les femmes disposent équitablement de leur part d'héritage. Aujourd’hui, la majorité des femmes travaillent à l’intérieur et à l’extérieur du foyer et prennent en charge leur famille tout entière».

Ronda Al-Adra

Ronda Al-Adra, membre de la Ligue des femmes syriennes, milite pour modifier les lois afin de les rendre conformes aux dispositions de la Convention CEDAW visant à abolir toutes formes de discrimination à l'égard des femmes. Dans une interview à Medfeminiswiya, elle concorde avec les propos de B. Kwifati :  « la dangerosité juridique réside en deux points ; premièrement, dès la naissance, la loi fait comprendre à la fille qu’elle vaut la moitié de la valeur de son frère. Cela encourage les jeunes garçons à intimider les filles. Ces dernières sentent qu'elles sont des invitées dans leurs familles et que dès leur mariage, il sera mis fin à cette hospitalitéDeuxièmement, ajoute-t-elle, dès son mariage, la belle-famille lui fait comprendre qu'elle demeure une étrangère, insinuant qu’elle ne peut prétendre à aucun héritage. Donc, les femmes sont privées de leurs droits de succession dans les deux cas, ce qui fragilise énormément leur position matérielle et morale. Elles se voient faibles et cela les pousse à davantage de sacrifices pour plaire d’un côté au mari et à sa famille, et de l’autre à leur première famille... Sinon, les inimitiés risquent de la mener à la rupture ».

Enfin, si au sein des communautés chrétiennes, la loi permet l'égalité successorale, elle n'est pas forcément appliquée dans la pratique car de nombreux pères cèdent leurs biens à leurs descendants mâles avant leur décès pour en priver les filles, surtout à la campagne. De nombreuses voix se sont élevées pour réclamer le droit des femmes de jouir de l'héritage de leur famille dans la pratique et pas seulement en théorie, d'abord parce qu'elles le méritent et ensuite pour qu'elles sont aptes à participer à tous les aspects de la vie et à jouer leur rôle dans la construction de la paix en Syrie et ailleurs.

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