Retour vers le futur : la contemporanéité de “Noi e il nostro corpo” (Notre corps, nous-mêmes)

Je suis reconnaissante à Vicky Franzinetti -traductrice et militante féministe de Turin- qui a organisé avec Filomena Rosiello, l'une des trois coprésidentes de la Casa delle Donne de Milan, une rencontre en ligne d’importance majeure. Celle-ci réunissait trois des douze militantes nord-américaines du collectif qui, en 1977, après un an de travail, publia l'un des textes phares du féminisme mondial : “Notre corps, nous-mêmes”.

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Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'acte de se tourner vers le passé ne constitue pas toujours un plongeon consolateur risquant d'annuler le contact et l'adhésion à la contemporanéité. J'en ai fait l'expérience récemment, lorsqu'en 2021 j'ai republié dans Voi siete in gabbia, noi siamo il mondo- Il femminismo al G8 di Genova (“Vous êtes en cage, nous sommes le monde - Le féminisme au G8 de Gênes”) plusieurs documents du réseau féministe de l'époque qui donna naissance, en juin 2001, à l'événement PuntoG-Genova, genere, globalizzazione (“PointG-Gênes, genre, globalisation”), un mois avant les manifestations du Forum social de Gênes dont le réseau faisait partie.

À chaque présentation de livre, rencontre thématique et discussion auxquels j'ai participé au cours de l'année qui vient de s’écouler, il y a toujours eu des personnes pour souligner combien les analyses générées à différents moments historiques du féminisme restent, aujourd'hui encore, très actuelles. Souvent, cependant, celles et ceux qui faisaient ce constat portaient un regard négatif sur celui-ci, concluant qu'après vingt ans, nous sommes toujours à la case départ.

Je réponds systématiquement que, au contraire, il me semble que c'est une bénédiction de reconnaître l'actualité de ces contenus. C'est en effet la démonstration - et nous devons en être fières - de la manière dont il existe dans la pensée féministe un lien fort, une cohérence et une résilience, malgré le temps qui passe, entre des concepts fondateurs, qui ne perdent pas leur force, et la raison. Et ce malgré les sirènes délétères du " nouveau ", cette dangereuse illusion selon laquelle tout ce qui se présente comme inédit, et apparemment dérangeant, est toujours synonyme d'innovation et porteur de liberté. À l’inverse, il est fondamental de s'inspirer de l'énorme réservoir de matériel et de savoirs élaborés par les générations féministes précédentes, d’aller puiser dans la contemporanéité de la pensée et de la pratique féministes à différentes époques et de s’y confronter.

C’est pourquoi, je suis reconnaissante à Vicky Franzinetti -traductrice et militante féministe de Turin- qui a organisé avec Filomena Rosiello, l'une des trois coprésidentes de la Casa delle Donne de Milan, une rencontre en ligne d’importance majeure. Celle-ci réunissait trois des douze militantes nord-américaines du collectif qui, en 1977, après un an de travail, publia l'un des textes phares du féminisme mondial : “Noi e il nostro corpo” (Notre corps, nous-mêmes) (téléchargeable ici  pour ceux qui n'ont pas le texte imprimé).

Norma Swenson, une splendide nonagénaire, Judy Norsigian et Jane Cottingham, toutes deux octogénaires, fondatrices du Boston Women's Health Collective, qui signèrent le fameux volume, se sont entretenues avec Vicky et Filomena à l'occasion du 50e anniversaire du livre. Cet ouvrage qui se transmet de main en main, de femme en femme, (souvent de mère en fille) depuis plusieurs générations est un héritage précieux et intemporel, un viatique indispensable pour entamer le voyage de la conscience, et donc de la liberté, dans et avec son propre corps.

Le récit émouvant des trois protagonistes de ce moment exaltant de l'histoire du féminisme restitue l'esprit pragmatique et éminemment politique du texte, dans l'introduction duquel on peut lire des considérations qui, intactes, font écho à l'expérience dont se remémore chaque génération de femmes. Apprendre à connaître notre corps a radicalement changé notre vie et nous-mêmes. C’est fantastique d'étudier que ce que nous ressentons émotionnellement et ce que nous apprenons sont deux expériences parallèles, étroitement liées et imbriquées l’une dans l’autre.

Sexualité, plaisir, désir, grossesse, accouchement, avortement, ménopause, droits, sororité sont quelques-uns des mots-clés autour desquels le collectif a travaillé pour livrer à l'histoire le premier recueil encyclopédique féministe sur le corps des femmes.

À propos d'actualité, voici un passage du texte (qui, je le rappelle, a été publié en Italie en 1977, mais a été imprimé aux États-Unis quatre ans plus tôt) sur le stéréotype de la femme vieillissante : L'image populaire dépeint la femme ménopausée comme fatiguée, intraitable, irritable, mégère, peu attrayante, insupportable (oui, son mari a bien raison de rechercher la compagnie d'une autre femme), irrationnellement déprimée, terrifiée par le changement qui marque sa vie (re)productive. Notre idée de la ménopause a sans doute été influencée par une publicité semblable à celle parue dans une revue médicale bien connue, dans laquelle un homme d'âge moyen manifestement ennuyé apparaît à côté d'une femme à l'air terne et fatigué. Le type de médicament annoncé combat  "les symptômes de la ménopause qui le perturbent tant".”

Dans l'introduction de 1973, les membres du collectif, toutes impliquées à titres divers dans la recherche dans les domaines médical et psychosociologique, nous livrent des considérations qui, aujourd'hui encore, constituent la base de toute formation et posent le cadre préalable aux groupes de soutien pour les femmes de tous âges et de toutes conditions : “Imaginez une femme qui essaie de faire un travail et d'avoir une relation égale et satisfaisante avec les autres, mais qui, entre-temps, se sent physiquement faible, parce qu'elle n'a jamais essayé d'être forte ; elle épuise toute son énergie en tentant de changer son visage, sa silhouette, ses cheveux, son odeur pour se conformer à un modèle idéal établi par les magazines, les films, la télévision. Elle se sent désorientée et a honte du sang menstruel qui s'écoule chaque mois de quelque recoin obscur de son corps ; elle ressent les processus à l'intérieur de son corps comme un mystère qui n'apparaît que comme une nuisance (une grossesse non désirée ou un cancer du col de l'utérus) : elle ne comprend pas ou n'apprécie pas le sexe et concentre ses énergies sexuelles dans des fantasmes romantiques sans but, perpétuant et utilisant mal son énergie potentielle parce qu'elle a été éduquée pour la nier. Si nous apprenons à comprendre, à accepter, à être responsables de notre identité physique alors nous pourrons nous libérer de ces injonctions et commencer à utiliser nos énergies désinhibées. Notre image de nous-même aura une base plus solide ; nous serons meilleures en tant qu'amies, en tant qu'amoureuses, et en tant que personnes. Nous aurons davantage confiance en nous, plus d'autonomie, plus de force, nous serons plus complètes”.

La rencontre en ligne est disponible ici en italien et ici en anglais.

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