«Enfermez-la ! » ou comment bâillonner les journalistes libanaises

Medfeminiswiya ayant décidé de consacrer le mois de mai à la liberté de presse, nous ne pouvions passer sous silence ce qu’endurent les femmes journalistes libanaises. A chaque contenu, A chaque tweet qu’elles publient, elles sont en contact direct avec tout un système mû par des instincts machistes et des valeurs «morales» scélérates.

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«Quand ton combat touche les politiciens et devient important, l’attaque qui te vise est bel et bien ciblée et orchestrée. Elle est orientée contre ta vie personnelle et intime.  De fausses nouvelles sont abondamment répandues pour te détruire socialement et moralement. C’est la manière la plus facile, à leur avis, pour abattre les femmes journalistes courageuses qui prônent des idées à l’opposé des leurs », explique la journaliste libanaise Mariam Seif-Eddine. Cette dernière ainsi que sa famille ont fait l’objet de menaces et d’agressions. Elle est attaquée pour ses opinions contre la classe politique et surtout contre le parti Hezbollah.

Mariam explique à Medfeminiswiya comment l'intimidation et le machisme sont utilisés pour tenter d’exclure des femmes journalistes notamment lors de la couverture d’événements comme les manifestations émaillées d’affrontements entre manifestants pro et anti partis au pouvoir. Invoquer «l'honneur» est le moyen le plus simple  auquel a recours une société patriarcale pour faire taire les femmes journalistes ou les femmes en général. C’est un outil d'oppression, visant les femmes, auquel ont recours ceux qui se considèrent supérieurs simplement parce qu'ils sont des mâles.

Medfeminiswiya ayant décidé de consacrer le mois de mai à la liberté de la presse, nous ne pouvions passer sous silence ce qu’endurent les femmes journalistes libanaises. A chaque contenu, à chaque tweet qu’elles publient, elles sont en contact direct avec tout un système mû par des instincts machistes et des valeurs « morales » scélérates qui considèrent la femme comme un être à détruire dès que l’occasion se présente.

Mariam dénonce les moyens de coercition utilisés contre les femmes lorsqu’elles couvrent des événements, expriment leurs opinions ou leur mécontentement quant au travail politique d’un parti ou d’une organisation : « réduire la femme au silence à travers sa famille. La femme n’est pas censée avoir une opinion, le rôle du père ou du frère est de brider les filles de la famille pour préserver la réputation des mâles de cette famille. »

Généralement, les femmes occupent rarement des postes de pouvoir dans les médias, mais lorsqu’il s’agit de leur attribuer des responsabilités, le choix portent sur des femmes éloignées du discours féministe sur les droits humains. Cet état de fait augmente la pression sur les professionnelles des médias, ce qui les rend vulnérables et les exposent à davantage de violations, en l'absence de protection juridique ou syndicale. Les deux syndicats du secteur, le Syndicat de la Presse et le Syndicat des Rédacteurs, ne se soucient guère de ce à quoi les journalistes, hommes et femmes, sont confrontés.  Selon le Centre pour la défense des médias et de la liberté culturelle (SKeyes) basé à Beyrouth, 106 journalistes ont été agressé.es par des organisations non gouvernementales entre le début du soulèvement au Liban en octobre 2019 et mars 2021. Bien que nombre de ces cas aient été documentés par des vidéos et des photos, personne n’a été incriminé. En grande partie, ce sont les femmes journalistes qui ont fait les frais d’attaques directes et, bien évidemment, d’insultes à caractère sexuel.

La femme n’est pas censée avoir une opinion, le rôle du père ou du frère est de brider les filles de la famille pour préserver la réputation des mâles de cette même famille.

Elle est incontrôlable 

Elsy Moufarrej, journaliste et productrice de programmes libanaise raconte : « Je suis attaquée pour mes opinions politiques et mes prises de parole. En plus de mon statut de journaliste, je suis une activiste politique. Mais le fait de quitter ‘le courant patriotique libre’ m’a exposée à davantage d’attaques de la part des trolls (mouches électroniques) du courant patriotique et de personnes à la botte des militaires. Des appels tels que ‘Enfermez-la !’,  ‘les bottes de l’armée sur ton cou !’ ou ‘Feltana’ ( incontrôlable !)  font désormais partie de mon quotidien quand j’exprime mes idées. Ces insultes s’ajoutent aux campagnes programmées et téléguidées par des organisations et des partis contre ma personne et contre la société qui m’emploie. »

E.  Moufarrej poursuit : « Ces individus ne considèrent en aucune façon les femmes comme des partenaires politiques et les attaquent à coup d‘insultes à connotation sexuelle, car ils n'ont pas d'argument à leur opposer. Ils recourent à l'intimidation et aux insultes. Sans parler des machines électroniques qui tentent de réduire au silence les femmes journalistes et les activistes. » Son visage affiche un sourire ironique lorsqu'on lui demande quelle est sa réaction face à ces calomnies : « Personnellement, je ne réponds pas à ces commentaires. Ils ne m'affectent plus, leur bêtise me fait plutôt rire. »

« Ils ne considèrent en aucune façon les femmes comme des partenaires politique et les attaquent par des insultes à connotation sexuelle car ils n'ont pas d'arguments à leur opposer. »

Attaquer le discours féministe 

La journaliste et écrivaine féministe Maya El Ammar évoque l’accueil qui lui est réservé quand elle aborde des questions concernant les droits des femmes. Cela va au-delà des insultes, chaque vidéo qui traite les causes des femmes lui donne droit à un procès social et moral : « Je suis sujette à des commentaires sur mon apparence, mes vêtements et à des accusations selon lesquelles je fais la promotion d'idées éloignant les gens de leur religion. D’autres commentaires tentent de moquer le contenu que je présente, loin du débat et de la critique constructive. Je note que les attaques s'étendent aux femmes qui sont d'accord avec mes idées. »  « Je pense que toute journaliste qui propose un contenu féministe doit s’attendre à une riposte car elle lutte contre des narrations dominantes millénaires, poursuit la jeune femme. Les réactions sont souvent des insultes envers la personne de la journaliste que je suis, accompagnées d’accusations d'immoralité, de destruction des jeunes générations, des femmes et des familles. Mes détracteurs ont recours aux versets religieux et aux prêches, ils s’arrogent le droit de me rééduquer afin de me ramener sur le droit chemin, ce qui est une extension du comportement patriarcal par excellence. »

« Je pense que toute journaliste qui propose un contenu féministe doit s’attendre à une riposte, car elle lutte contre des narrations dominantes millénaires »

« L’honneur », l’autre arme de répression 

Dans une déclaration à Medfeminiswiya, Jad Chahrour, le responsable de l’information au Centre pour la défense des médias et de la liberté culturelle (SKeyes) explique : « Ce qui est appelé ‘l’honneur’ est une des formes d’agression contre les journalistes femmes. Cela n’est pas nouveau pour une société qui n’a cessé de tenter de bâillonner ces opposant.e.s de manière détournée. Nous avons vu, par exemple, ce qui s'est passé avec de nombreuses femmes journalistes, telles que Diana Moukalled, Luna Safwane et Dima Sadek. Des photos de Dima Sadek, de sa mère et de ses enfants, ainsi que des adresses de lieux où elle se trouvait, ont été publiées mettant en danger sa sécurité et celle de ses proches pour accentuer les pressions sur elle. D'autres journalistes ont également été victimes de chantage et leurs numéros de téléphone ont été divulgués après qu’elles ont couvert les manifestations du Hirak de 2015-2019. » Selon J. Chahrour, ces méthodes « prouvent la faillite politique du débat et de l’argumentation. Les militants des partis s’attaquent à la vie privée de la personne visée ou montent des fake news contre elle. Malheureusement, il n’y a pas eu de vrai soutien dans les médias où les reportères ont été harcelées, et peu d’espace a été fait pour parler de ces violations graves. » Enfin  J. Chahrour estime qu'« améliorer les lois ne suffit pas, tant que persistera une culture politique qui ne considère pas les femmes comme de possibles partenaires dotées d’idées et de personnalité. Il faut donc, avant tout, changer les mentalités. »

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