La résistance des Algériennes, de la rue à la prison.

Considérées comme citoyennes de seconde zone par le Code la famille, les militantes algériennes sont, en revanche, éligibles aux arrestations au même titre que les hommes.

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Aouicha, Samira, Dalila et les autres

Aouicha Bekhti, avocate à Alger, figure forte de la défense des libertés et des droits citoyens est également très connue des internautes algériens pour ses coups de gueule féministes.

Membre fondatrice du réseau contre la répression et pour les libertés démocratiques et la libération des détenus avec d'autres confrères, consoeurs et intellectuel.le.s, à la veille de la révolte populaire incarné par le mouvement Hirak, elle sillonnait déjà le pays pour assister les premiers détenus d'opinion.

Elle-même a été arrêtée lors d'une manifestation en 2019. Ne mâchant pas ses mots elle est sur tous les fronts contre la répression, l'obscurantisme et l’arbitraire du pouvoir algérien. Rien d’étonnant alors qu'elle soit l'avocate des militantes condamnées pour leur engagement dans le mouvement citoyen.

 

Aouicha Bekhti (Facebook)

Pas de doute Aouicha Bekhti connaît  ses classiques féministes, elle nous cite d’entrée de jeu Olympe de Gouges « si la femme a le droit de monter à l’échafaud, elle doit avoir le droit de monter à la tribune ». Et les Algériennes se sont emparées des tribunes et investi la rue. Considérées comme citoyennes de seconde zone par le Code la famille elles sont, en revanche, éligibles aux arrestations au même titre que les hommes.

Une reconnaissance « d'égalité » qui a valu à beaucoup d’entre elles, dont une sexagénaire atteinte de cancer, d’être interpellées elles aussi pour délit d'opinion. D'ailleurs les premières arrestations de militantes avaient choqué l'opinion algérienne tenant pour acquis «qu'une honnête femme n'a rien à faire en  prison.» 

Samira Messoussi, 26 ans élue locale d'un parti d'opposition a été la première manifestante incarcérée. Elle s'était distinguée parce qu'elle avait refusé d'être libérée « on nous arrête tous ou on nous libère tous. Il n'est pas question qu'on me libère parce que je suis une femme » avait-elle dit au juge d'instruction, se rappelle son avocate Maître Bekhti.

« Samira avait aussi refusé le voile que l'on impose aux femmes dans les prisons algériennes. Elle m'avait demandé si elle avait le droit de refuser et je lui ai assuré que c'est une pratique pas une loi. Le règlement intérieur de la prison ne peut être que conforme à la loi or aucune loi algérienne n'impose le voile aux femmes. Ils ont quand même insisté.  Alors elle leur a rétorqué :  “dans ce cas donnez-moi une robe kabyle”. Au tribunal, elle s'est présentée les cheveux lâchés, elle était magnifique. »

La résistance de Samira a encouragé les autres femmes à refuser le port du voile. Aouicha Bekhti avait aussi représenté une jeune étudiante Amina Dahmani interpellée dans la rue et placée en détention dans la même salle que Samira qui s'est chargée de « la booster », selon les mots de l'avocate qui précise que « Samira était déjà une militante d'Alger avant le Hirak et avait l'expérience de la lutte politique. A sa mère qui s’inquiétait de la voir en prison, elle a répliqué mais c'est toi qui m'a appris à me battre. »

Amina, elle, vient d'un quartier populaire et sa famille craignait pour sa réputation. Face à un immense élan de solidarité et une importante médiatisation, la crainte s'est transformée en fierté. Il est vrai qu’un vieux dicton algérien hérité probablement de l'histoire de résistance à divers occupants considère que « la prison est faite pour les hommes, les vrais », mais le Hirak a permis encore une fois aux Algériennes de démontrer de leurs geôles leur engagement citoyen pour les libertés. Ce que les féministes n'ont cessé de clamer à chaque manifestation depuis février 2019.

Aouicha Bekhti (premier plan) à une marche du Hirak à Alger 2019

Leurs pancartes et leurs slogans rappellent qu'elles sont les héritières des héroïnes martyrs de la guerre de libération du pays et du combat contre le terrorisme islamiste des années 1990. Les femmes encouragées par le mouvement populaire du Hirak, auquel elle ont incontestablement donné une dimension pacifique, ont tenté d'introduire leurs propres revendications. Souvent en vain.

Fatima Bouchenaf et quelques camarades ont été arrêtées à Oran (ouest du pays) lors d'un rassemblement qu'elles avaient organisé pour dénoncer le féminicide de Chaima, une jeune fille de 19 ans violée et assassinée. Fatima nous raconte comment leur procès avait pris des allures ubuesques sous le chef d'inculpation de « non respect des mesures sanitaires » conformément à un texte de loi adopté à la va-vite au début de la pandémie du covid-19.

Le rassemblement se tenait en matinée en dehors du couvre-feu, et ne motivait pas la condamnation à une amende avec sursis. Fatima et ses amies ont malgré tout fait appel « à titre symbolique pour contester  ce procès » explique Aouicha Bekhti. La justice algérienne peut se montrer très créative pour trouver des motifs d'inculpation.

Maître Bekhti souligne que « d'abord il n'y pas de statut de détenu d'opinion dans le code pénal donc tout le monde est logé à la même enseigne en prison.» Autrement dit, la surpopulation carcérale est tout entière concernée par le manque, voire l’absence de soins : « les détenus font eux-mêmes le nettoyage des cellules et lieux communs, ce qui explique que c’est plus propre dans le quartier des femmes » plaisante Aouicha.

L’avocate ajoute que « les prisonniers du Hirak bénéficient malgré tout d’une sorte de statut moral et certains gardiens, et même des magistrats, se montrent plus corrects à leur égard qu’envers les prisonniers de droit commun ».

Certains militants n’ont pas connu cette sollicitude deux jeunes ont révélé des agressions sexuelles de la part des forces de sécurité.

Amira Bouraoui, elle aussi défendue par Bekhti, a particulièrement été malmenée par la justice. Cette gynécologue de 44 ans, mère de deux enfants,  a été reconnue coupable de six chefs d’accusation. En 2014 déjà, elle dénonçait le quatrième mandat du président déchu Bouteflika. Son harcèlement judiciaire continue même après avoir purgé une peine de prison l’an dernier.

Amira Bouraoui (Facebook)

Sous contrôle judiciaire depuis octobre dernier, Amira Bouraoui est poursuivie pour, entre autres,  “incitation à attroupement non armé”, “offense ou dénigrement du dogme ou des préceptes de l’islam”, “offense au président de la République par une expression outrageante, injurieuse ou diffamatoire”, “publication pouvant porter atteinte à l’unité nationale”, “informations ou nouvelles, fausses ou calomnieuses susceptibles de porter atteinte à la sécurité ou à l’ordre public”, “incitation à la violation délibérée et manifeste d’une obligation de prudence ou de sécurité édictée par la loi ou le règlement, exposant directement la vie d’autrui ou son intégrité physique à un danger”.

Son offense supposée à l'islam lui vaut désormais insultes et menaces sur les réseaux et beaucoup considèrent qu'elle « va trop loin » dans ses propos. Mais Amira ne semble pas être le genre de personne que l’on fait taire.

Dalila Touat, une enseignante de Mostaganem est syndicaliste. La machine judiciaire a été enclenchée contre elle pour son opposition à la reelection de l’ex président Bouteflika. Elle a naturellement rejoint le Hirak. Condamnée à 18 mois de détention, elle a été libérée avec tous les autres activistes par le président Tebboune, en février dernier. Un « geste d’apaisement » du pouvoir algérien qui visait en réalité à faire passer les élections législatives anticipées.

On pourrait croire que le tribut payé par les Algériennes à la liberté leur vaut davantage de droits et de reconnaissance. C’est loin d’être leur réalité : «elles ont eu un soutien extraordinaire quand elles étaient en prison mais ça ne changera pas les mentalités», constate Aouicha Bekhti qui rappelle « le 8 mars de cette année, les féministes ont été bousculées, insultées y compris par des femmes encadrées par des islamistes». Olympe de Gouges aurait pu dire aussi que ce n’est pas parce qu’on monte à l’échafaud que l’on a le droit de monter à la tribune.

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