Pékin, 1995 : un tournant dans l’histoire mondiale des femmes

Pékin, 1995… C’était il y a si longtemps que beaucoup de participantes à MEDFeminisWiya n’étaient pas nées ! Tandis que la génération de féministes qui les précède a été marquée par ces quelques jours passés en Chine, sous l’égide de l’ONU (Organisation des Nations-Unies). La preuve par Maryvonne Bin Heng.

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«Pékin, c’était une grande aventure ! » quand j’ai appelé Maryvonne Bin-Heng pour savoir si elle avait participé à ce Forum mondial, je ne m’attendais pas à un tel enthousiasme de sa part. D’abord parce que Maryvonne Bin-Heng, aujourd’hui présidente bénévole de Filactions, dynamique association de prévention des violences à l’encontre des femmes, parle d’habitude d’une voix douce et mesurée. Et puis, plus d’un quart de siècle s’est écoulé depuis Pékin. Il n’empêche que les souvenirs de ces rencontres alternatives, qui avaient lieu en même temps que la très officielle « quatrième conférence mondiale sur les femmes », sont restés ancrés en elle.

Maryvonne, cette fausse timide à l’allure fluette d’adolescente, est une féministe de choc, un mélange inimitable de douceur et de détermination. Soixante-quinze ans au compteur de la vie, dont les trois-quarts passés à revendiquer et faire appliquer des droits … pour les sans-abris d’abord, puis pour les femmes sans discontinuer depuis cinquante ans.

« Aller jusqu’en Chine, c’était déjà toute une affaire. Certaines Européennes ont pris le train, le fameux Orient-Express. Pas moi, je n’avais pas le temps hélas ! Chaque association devait payer le coût du voyage et une participation à l’hébergement. Puis sur place, nous étions prises en charge par les Chinois qui nous avaient installées, nous les association féminines et féministes, à quelque soixante kilomètres de la capitale chinoise, par précaution sans doute, pour éviter tout contact entre les gouvernants et les pétroleuses ! Se souvient Maryvonne en souriant. On est allée une seule fois en visite touristique à Pékin, nous n’étions pas là pour ça, nous avons passé huit jours entiers à discuter, parler d’expériences, de projets, jusqu’à établir les propositions à porter au forum officiel, ce que nous avons fait ».

Après Nairobi

« C’était le quatrième forum de femmes organisé depuis la création de l’ONU. Il y avait eu Mexico, Copenhague, Nairobi, mais ce fut le premier à faire vraiment entendre la voix des activistes, souligne-t-elle. Nous avions été prévenues longtemps à l’avance, si bien que nous avons pu réfléchir aux priorités et aux stratégies à mettre en place. Auparavant, pour les Européennes, des rencontres préparatoires avaient eu lieu à Vienne. Là, on s’était déjà rendu compte des différences, voire des inégalités de situations qui existaient entre nous. Par exemple, en Allemagne en 1995, l’avortement était encore interdit. »

Maryvonne a les yeux qui pétillent derrière ses lunettes quand elle commence à raconter les premières discussions qui ont précédé la décision d’y aller : « Il y avait les Pour et les Contre. Certaines Européennes ne voulaient pas se rendre à Pékin parce que le régime autoritaire avait tiré sur la foule pacifiste sur la place de Tian‘Anmen en 1989. Pour d’autres dont j’étais, il fallait au contraire faire entendre nos voix malgré les abus de pouvoir des gouvernants

Les «Pour » l’ont emporté, l’occasion était trop belle de rencontrer enfin des féministes du monde entier.

On voyait aussi passer les Saoudiennes, recouvertes de l’abaya noire intégrale, et encadrées par deux hommes, l’un devant, l’autre derrière elles… Les Tunisiennes n’étaient pas voilées pour la plupart, mais elles aussi étaient en service commandé par le régime de Ben Ali. Elles affirmaient haut et fort que tout était parfait en Tunisie… C’était clair qu’elles n’avaient pas la parole libre…

Combien étaient-elles ? Les chiffres varient, de 15000 à 25.000 féministes, voire plus. Toutes féministes ? « La plupart mais pas toutes, note Maryvonne. Il y avait celles qui étaient en mission pour le compte de leurs gouvernements, comme les Chinoises, ou les Iraniennes visiblement à la solde du régime des mollahs mis en place par Khomeiny, toutes revêtues de tchadors, et menaçantes pour celles qui osaient parler des inégalités engendrées par la Charia. On voyait aussi passer les Saoudiennes, recouvertes de l’abaya noire intégrale, et encadrées par deux hommes, l’un devant, l’autre derrière elles… Les Tunisiennes n’étaient pas voilées pour la plupart, mais elles aussi étaient en service commandé par le régime de Ben Ali (qui fut éjecté lors des printemps arabes en 2011, ndlr). Elles affirmaient haut et fort que tout était parfait en Tunisie… C’était clair qu’elles n’avaient pas la parole libre… De toute façon, les débats “langue de bois ” n’attiraient guère de monde ! Par ailleurs, il faut reconnaitre que les Chinois avaient remarquablement bien organisé les ateliers, et que toutes celles qui voulaient s’exprimer pouvaient le faire sans être censurées. »

Immenses barnums

D’immenses barnums avaient été dressés, qui représentaient le monde et ses continents. « On s’inscrivait chaque jour par voie d’affichage aux différents ateliers -Internet n’était pas encore d’actualité -, sur les violences à l’encontre des femmes, les questions de genre, l’éducation des fillettes, les mutilations sexuelles. J’ai beaucoup appris au contact des militantes venues d’ailleurs, quelle sagacité, quelle combativité elles dégageaient ! Je me souviens d’une Africaine qui avait clamé : “on nous reproche d’être rusée, mais comment faire autrement ? ” En tant que déléguée à Pékin par la fédération Solidarité Femmes (1), nous nous étions positionnées pour souligner la place des enfants victimes des violences intra-familiales »

La langue anglaise était la plus répandue pour s’exprimer, mais chacune pouvait s’exprimer dans sa langue d’origine, avec traduction simultanée : « Je me suis retrouvée souvent dans des ateliers francophones, il y en avait beaucoup ». Parmi les féministes les plus virulentes : les Algériennes qui vivaient alors au rythme des attentats islamistes. Elles dévoilèrent les conséquences désastreuses du Code de la Famille, renommé “Code de l’Infâmie” qui les reléguait au rang de mineures à vie. Les Américaines, du Sud en particulier, et les Africaines avaient dépêché, elles aussi, sur place des militantes très déterminées pour faire entendre leurs voix.

De toute part dans le monde, les féministes se mobilisaient sur les priorités que sont l’autonomisation, l’éducation des fillettes, les violences … « Les questions de genre émergeaient aussi fortement, ajoute Maryvonne. En revanche, je ne me souviens pas qu’on ait abordé le harcèlement de rue, il était peu reconnu comme tel sur le plan sociétal. Le mouvement Me Too a depuis accéléré et amplifié le mouvement, avec les révélations publiques des violences exercées sur les femmes.»

Maryvonne se souvient aussi émotion des « prises de parole de femmes du bout du monde, qui nous enviaient tant les Européennes, et en particulier nous les Françaises. J’en ai rencontré beaucoup qui rêvaient de démocratie et parlaient de notre héritage du siècle des Lumières, elles connaissaient Voltaire et Diderot mieux que nous !  De ce côté-là, nous étions plutôt dans l’auto-critique ! Mais ensemble, nous avons passé des jours et des nuits à comparer nos systèmes, à discuter de ce qui manquait aux unes ou aux autres… »

Des jours et des nuits fertiles en discussions et qui ont porté leurs fruits en servant de base au programme d’action de Beijing adopté à l’unanimité par tous les Etats de la planète. Aujourd’hui, on a bien envie de faire relire ce programme pour rafraîchir les mémoires et rappeler les résolutions aux dirigeants … Il n’empêche, la Déclaration finale et le Programme d’action enclenchée à Pékin marque un tournant dans l’histoire mondiale des femmes.

 

 

  1. La quatrième conférence mondiale sur les femmes s’est tenue sous l’égide de l’ONU à Pékin en Chine du 4 au 15 septembre 1995. Cette conférence, dénommée officiellement « La quatrième conférence mondiale sur les femmes : Lutte pour l'Égalité, le Développement et la Paix » réunissait 189 gouvernements avec plus de 5 000 représentants. 2 100 Organisations non gouvernementales (ONG) ont fait le déplacement pour y assister. Les thèmes principaux abordés sont la promotion et l'autonomisation des femmes en matière de droits humains, les femmes et la pauvreté, les femmes et leur pouvoir décisionnel, la petite fille, les violences faites aux femmes et d'autres domaines de préoccupation. Deux documents sont issus de cette conférence : la Déclaration et le Programme d'Action de Beijing (Pékin). (source : Wikipédia, et Déclaration et programme d'action de Beijing Pékin)
  2. La Fédération Solidarité Femmes regroupe près d’une centaine de centres d’hébergement et gère le 39 19, centre d’appel pour les femmes victimes de violences.
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