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Shaimaa Al-Youssef
Au cœur de la ville côtière d’Alexandrie, la plus vulnérable au changement climatique en Égypte, avec la montée du niveau de la mer, l’augmentation de la salinité de l’eau et l’apparition de phénomènes météorologiques extrêmes, l’ingénieure Sara Ragab (28 ans) a pris conscience de la nécessité de solutions non conventionnelles pour protéger les infrastructures. L’état dégradé des routes, dû aux conditions climatiques extrêmes, a été le déclencheur de sa recherche d’une alternative durable à l’asphalte. Son innovation, qui lui a valu un brevet officiel délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique en juin 2024, repose sur un procédé de transformation des déchets plastiques en matériaux adaptés au revêtement routier.
Gaspillage et matériaux polluants
L’innovation de Sara Ragab n’est pas le fruit du hasard. Tout a commencé en 2022, lors de sa participation à la COP27 à Charm el-Cheikh. Là, elle a réalisé que le plastique, omniprésent dans notre quotidien, pourrait devenir une ressource précieuse s’il était recyclé correctement, au lieu d’être gaspillé. Déterminée à marquer les esprits, elle a collecté des tonnes de déchets plastiques et de canettes métalliques, qu’elle a transformées de ses propres mains en deux sculptures tridimensionnelles : un globe terrestre symbolisant la fragilité de notre planète et un dromadaire représentant Charm el-Cheikh, la « ville de la paix ». Pour ces œuvres, réalisées avec plus de 4 000 bouteilles, elle a privilégié des nuances de vert clair et foncé afin de renforcer son message en faveur de la durabilité. « Mon message, à l’époque, était que nous pouvons sauver cette planète de la pollution, pièce par pièce, idée par idée », confie-t-elle à Medfeminiswiya.
Son attention se porte ensuite sur les fissures des trottoirs d’Alexandrie, qui la poussent à chercher des solutions pour réparer ces zones endommagées à moindre coût, plutôt que de repaver entièrement les rues, une option coûteuse pour un État contraint d’importer du bitume. Ce dernier, un hydrocarbure lourd issu du raffinage du pétrole brut, est essentiel pour stabiliser le mélange d’asphalte et le rendre résistant aux intempéries.
On estime que l’Égypte a consacré près d’un milliard de livres égyptiennes (soit environ 19,8 millions de dollars américains) au pavage des routes avec des pavés autobloquants plutôt qu’avec de l’asphalte, dans le cadre du budget 2024-2025.
Comment fabriquer l’alternative ?
Face à la pénurie de bitume, Sara a entrepris des recherches approfondies pour produire un substitut à l’asphalte à partir de plastique recyclé. Elle avait besoin d’une solution locale, écologique, favorisant la durabilité et réduisant la dépendance aux matériaux importés.
Elle a mis au point un procédé complet de production d’asphalte alternatif en recyclant les déchets plastiques. L’opération commence par la collecte de plastique usagé provenant de diverses sources, suivi d’un tri et d’un nettoyage rigoureux pour garantir la pureté des matières premières. Ensuite, le plastique est broyé en petits fragments avant d’être mélangé à d’autres composants afin d’améliorer ses propriétés physiques et chimiques, le rendant plus résistant et durable que l’asphalte traditionnel. Toutes les étapes sont réalisées selon des normes scientifiques strictes afin de garantir la qualité du produit final.
Une efficacité supérieure à celle de l’asphalte conventionnel
Les tests réalisés par l’Instance des bâtiments éducatifs ont montré que le matériau développé par Sara surpasse l’asphalte traditionnel en matière de résistance et d’imperméabilité, grâce à sa composition non poreuse. Il offre ainsi une meilleure adaptation aux conditions climatiques extrêmes, comme les pluies diluviennes et les vents violents, qui détériorent l’asphalte classique.
Par ailleurs, son innovation constitue une solution rapide et efficace pour l’entretien des routes, permettant de réparer les fissures et les brèches sur les principaux axes routiers sans nécessiter une réfection complète. Cela permet de gagner du temps, de réduire les coûts et d’optimiser l’utilisation des ressources. Cette matière est également particulièrement adaptée aux rues secondaires et étroites, plus vulnérables aux fortes pluies et à la sécheresse. « Mon invention pourrait permettre à l’Égypte d’économiser entre 60 et 70 % du coût total d’importation du bitume », affirme Sara.
Elle bénéficie du soutien du général Mohamed Sherif, ancien gouverneur d’Alexandrie, qui l’a aidée à se procurer les déchets plastiques nécessaires et lui a permis d’utiliser les machines de la société chargée du nettoyage urbain afin de l’assister dans le tri, le broyage et la fabrication de son matériau. « J’ai testé mon asphalte alternatif dans certaines rues d’Alexandrie en présence du gouverneur, et nous nous préparons désormais à son déploiement à plus grande échelle », explique-t-elle.
Bien plus qu’un simple asphalte
L’initiative de Sara ne s’arrête pas à la production d’asphalte. Elle a également développé une alternative aux pavés autobloquants, largement utilisés pour le revêtement des trottoirs et des rues étroites. Grâce au recyclage du plastique, elle a réussi à proposer une solution économique qui réduit les coûts d’importation et contribue à la mise en place d’une infrastructure plus durable et moins nocive pour l’environnement, face aux impacts croissants du changement climatique sur les villes égyptiennes. « J’ai voulu offrir une solution concrète qui transforme les déchets en ressources précieuses, capables d’améliorer la qualité de vie et de moderniser le secteur des infrastructures en Égypte », affirme-t-elle.
« Mon objectif est de changer le regard de la société sur les déchets et de prouver que le recyclage n’est pas qu’une solution environnementale, mais aussi une opportunité de création et de construction d’un avenir plus durable »
Diplômée en restauration des bâtiments historiques à l’Université d’Alexandrie, Sara s’engage pour la protection de l’environnement et la lutte contre les effets du changement climatique depuis cinq ans. À l’époque, elle arpentait la ville avec ses pinceaux pour redonner vie aux façades dégradées d’Alexandrie, rongées par le temps et les intempéries. Son message n’était pas seulement artistique : il s’agissait d’une résistance silencieuse contre la dégradation urbaine, visant à promouvoir une culture de la préservation environnementale à travers sa propre vision.
Sara s’est également illustrée dans l’art des fresques murales, au point que les Alexandrins l’ont surnommée la « reine du graffiti », tant elle a su transformer des murs délabrés en véritables œuvres d’art, et ce, à ses propres frais.
Mais pour elle, la peinture n’était pas une fin en soi, mais un moyen de sensibiliser la population à l’importance de préserver l’environnement. La ville où elle est née et dont elle respire l’air marin mérite, selon elle, des murs qui reflètent son identité authentique, plutôt que des surfaces abandonnées à la poussière et à l’usure du temps.
« Mon objectif est de changer le regard de la société sur les déchets et de prouver que le recyclage n’est pas qu’une solution environnementale, mais aussi une opportunité de création et de construction d’un avenir plus durable », conclut Sarra.