Souccar et Yassar… pas de pardon pour les femmes - Syrie

Pendant ce mois de ramadan, la série syrienne « Welad Rabia » a déclenché une mode. La chanson « fahet rihet el baroud » [l’odeur de la poudre s’est répandue] est devenue tendance après sa diffusion dans plusieurs épisodes, et on entend les expressions de Souccar « ma hi choughlti » [ce n’est pas mon problème] et « I don’t care » dans la rue et au restaurant.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)

Mais derrière ces aspects amusants, il y a le passé « sombre » que Souccar cherche à laisser dans l’ombre à tout prix. Son expression « I don’t care » est une deuxième peau derrière laquelle se cache une femme à qui la société refuse le pardon pour la laisser poursuivre sa vie.

Les auteurs de cette série auraient-ils pu libérer Souccar de son « sombre » passé, en faire un cas vraisemblable, et surtout faire en sorte qu’elle soit bien reçue par le public, au même titre que la chanson « Fahet rihet el baroud » et de la violence qu’elle contient ?

Dans la série « Welad Badia » réalisée par Racha Charbatji, écrite par Yamin El-Hajli et Ali Wajih, visible sur « MBC drama » et « Shahid », Souccar (rôle joué par Soulafa Mimar) est à l’origine une enfant « illégitime » que Badia a trouvée dans une poubelle. Ensuite, viennent ses deux frères, également enfants « illégitimes ».

Seulement, eux arrivent finalement à porter le nom de leur père (les deux rôles sont tenus par Samer Ismail et Yamin El-Hajli). Tous trois luttent pour se construire une identité légitime dans un monde qui les considère comme des « enfants du péché ». Mais Souccar, en particulier, est confrontée à des défis car c’est une femme à qui l’on demande des comptes sur son comportement et son passé. De fait, elle n’est pas la fille de Aref El-Dabbagh comme le sont ses frères.

Son passé poursuit Souccar - fille de Badia - , comme c’est le cas pour beaucoup de femmes. Après une enfance saccagée et une adolescence difficile, puis une vie d’adulte sans sécurité, son passé la rattrape même si elle croit qu’en brûlant les anciennes vidéos qui la représentent dansant dans des cabarets, elle pourra se protéger, et protéger l’enfant qu’elle va avoir, de la mauvaise réputation de sa mère.

Souccar essaie de cacher sa faiblesse en employant la force contre un monde qui a tout fait pour la briser et réduire ses possibilités de faire des choix. Ce que Souccar supporte d’humiliations et de préjudices venant des hommes de son entourage, sous prétexte que son passé est « mauvais », est un aspect parmi d’autres qui concerne la vie de nombreuses femmes qui payent le prix de leur histoire si elle ne convient pas aux hommes de la famille et à l’esprit machiste du clan.

Il s’agit d’une société qui ne s’intéresse pas aux circonstances de la vie des femmes. A aucun moment on n’est amené à se demander : « Est-ce que cela a été réellement ton choix ? » Ou bien : « Pourquoi les femmes doivent-elles justifier tout ce qu’elles font, tout le temps, comme s’il s’agissait de délits ? »

Les hommes de la série « Welad Badia » sont en fait des individus qui fuient la justice, des criminels qui s’adonnent à des pratiques interdites. Mais ils se permettent de demander des comptes à Souccar comme s’ils étaient meilleurs qu’elle. Et même, quand après l’assassinat de son mari Souccar tombe enceinte, le père, pourtant un criminel et un corrompu, refuse de reconnaître l’enfant parce que « sa mère est une danseuse ». Si la danse est un péché, le meurtre n’en est-il pas aussi un ?

Ce qui fait mal, c’est que l’histoire de Souccar n’est pas une série que nous regardons pour passer une agréable soirée ramadanesque. Plus profondément, dans la réalité, dans le quartier d’en face, dans la même ville, et partout ailleurs, il y a des femmes qui ont effectivement perdu la vie. Leur meurtre fut un fait banal et évident pour se défaire de la honte, annuler leur passé et recouvrer l’honneur perdu. Ce vocable, « l’honneur », est encore malheureusement utilisé dans de nombreux textes de loi qui légalisent le meurtre des femmes pour des motifs inconsistants.

Dans la série « Aa amal », une collaboration libano-syrienne, écrite par Nadine Jaber, réalisée par Rami Hanna et produite par Jamel Sinan, Yassar (rôle joué par la comédienne libanaise Maguy Bou Ghosn) essaie de dissimuler son passé et ce qui s’est passé avec sa famille.

Seulement, l’histoire la poursuit même après qu’elle soit devenue une journaliste réputée. En effet, elle rencontre un professeur universitaire qui, en fait, est revenu pour perturber sa tranquillité et celle de sa fille dont elle cache l’existence. Il y a quelque chose qui pourrait attirer l’attention dans l’image de la bande annonce de la série : Yassar entourée par trois hommes. Le déroulement des épisodes révèle que chacun d’entre eux menace Yassar, muni d’une part du passé qu’elle essaie de fuir en vain. Ainsi, Yassar devient la proie que se partagent les trois hommes qui possèdent des fragments de ses secrets.

La punition endurée par les femmes pour leur passé est souvent plus cruelle que celle infligées aux hommes pour les « fautes » qu’ils ont commises. Encore faut-il que ces erreurs soient reconnues comme telles, et lorsqu’elles le sont, elles leur sont vite pardonnées. Au-delà des stéréotypes et simplifications qu’elles peuvent contenir, à la limite de la futilité et de la vulgarité, ces séries ont toutefois l’avantage de documenter une réalité en racontant des histoires de femmes qui existent dans la vraie vie.

C’est un pas important qu’il faut souligner : ces productions dramatiques quittent enfin les palais et le luxe pour pénétrer les cœurs et les histoires ignorées. Il n’empêche que nous restons sur notre faim, car nous avons besoin de dialogues renfermant plus de discussions et de questionnements, ce qui exige des textes plus profonds.

A quelqu’un qui l’accusait d’être « une femme sauvage et dangereuse », la féministe égyptienne, Nawal El Saadawi, rétorqua : « Moi, je dis la vérité et la vérité est sauvage et dangereuse ».

Quitter la version mobile