La revanche des blondes

Entre Barbie et Taylor Swift, la blonde reprend le pouvoir. Les nouveaux phénomènes de la pop culture prouvent une chose : l’importance du point de vue féminin.

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Il fait bon d’être une fille cet été.

C’est le retour flamboyant du rose, des paillettes et des sequins. Sur tiktkok, l’engouement de la girly-girl est célébré : la fifille qui aime les choses typiques de filles, qui boit du café glacé et qui vit sur un nuage de barbe à papa. Cette nouvelle esthétique hyper-féminine et décomplexée nous emporte dans une douce fièvre sucrée, bercée de rose, qui vire à la saturation.

Il a fallu une mode pour le faire ressortir de nos placards. Le rose, cette couleur qui a teinté notre enfance, n’a pourtant pas trouvé sa place dans notre vie d’adulte. Trop infantile, trop fille, trop ingénue. Il a fallu la détester pour grandir, la troquer pour des couleurs moins futiles. Le rose, la couleur de la frivolité et du plastique. On ne l’assume qu’en pantoufles-pyjama. Dans un cadre professionnel, elle entache notre sérieux. En société, elle amoindrit notre force. Ou du moins, c’était avant.

Dans cette déferlante inattendue du rose, surgit le phénomène Barbie qui triomphe au Box office, faisant de sa réalisatrice Greta Gerwig la première femme à dépasser le milliard de recette. Le succès du film s’étend au-delà des cinémas avec la tendance Barbiecore, devenu un véritable phénomène de mode. Face au succès de Barbie, on ne peut s’empêcher de faire le lien avec un autre phénomène pop de l’été : la chanteuse Taylor Swift, dont la tournée phénoménale est considérée comme une attraction phare de l’été, elle réussit à elle seule à remplir des stades entiers, en battant au passage de nombreux records dans l’industrie musicale. C’est la revanche des blondes : Barbie et Taylor Swift auraient toutes les deux un impact positif considérable sur l’économie américaine. On mentionnera aussi la coupe du monde de football féminin qui vient s’ajouter à la liste des faits marquants de l’été, décidément féminin.

Certes, il est facile de se leurrer : ces phénomènes pop ne sont-ils pas soigneusement orchestrés par des stratégies capitalistes et consuméristes ? Certainement. Mais que vaut l’œuvre en dehors de son marketing agressif ? Pourquoi fait-elle écho avec un si large public ?

La blonde, dépeinte par Greta Gerwig et Taylor Swift, n’est pas inintelligente : elle n’est plus l’objet mais le sujet qui prend en main le récit. [...] C’est une blonde écrite par une femme, pour une femme.

Dans Barbie, Greta Gerwig et Margot Robbie rétorquent brillement aux images sexistes longtemps véhiculés à Hollywood et multiplient les clins d’œil à un public féminin assumé. A partir de la poupée Barbie, ce jouet typiquement féminin, elles imaginent une œuvre atypique qui questionne le sexisme, le patriarcat, les rapports genrés, la représentation de la femme, tout en vantant les joies simples de la féminité. Ce n’est pas sans rappeler Legally Blond, un film culte des années 2000, qui explorait déjà ces thématiques.

Taylor Swift, quant à elle, est reconnue pour être une parolière de talent. Dans ses chansons, elle réussit à capturer l’expérience féminine et à livrer sa sentimentalité, à travers une plume touchante et déconcertante de sincérité qui résonne particulièrement avec les femmes et les jeunes filles. Son succès phénoménal aujourd’hui, comparable à celui des Beatles ou à Michael Jackson, fait pourtant suite à des années de moquerie et de sexisme.

La blonde, dépeinte par Greta Gerwig et Taylor Swift, n’est pas inintelligente : elle n’est plus l’objet mais le sujet qui prend en main le récit. Contrairement à celle incarnée par Marylin Monroe, celle-ci n’attire étrangement pas les hommes : son public est principalement féminin. C’est une blonde écrite par une femme, pour une femme.

Taylor Swift est actuellement considérée comme la pop star la plus puissante au monde

Le female gaze : la leçon de Greta Gerwig

En 1975, la réalisatrice et militante féministe Laura Mulvey énonce le concept du Male Gaze : une théorie selon laquelle, la culture visuelle dominante imposerait une perspective d’homme. Celui-ci aurait tendance à objectifier la femme et à la réduire à une image. En réponse, le female gaze proposerait l’alternative du point de vue féminin, qui montre l’expérience féminine telle qu’elle est vécue, en tant que sujet.

Greta Gerwig, considérée comme l’une des réalisatrices les plus prometteuses d’Hollywood, n’en est pas à son coup d’essai avec Barbie. Dans ses films précédents, Lady Bird et Little Women, elle explorait déjà l’idée du point de vue féminin, à travers des personnages féminins complexes et approfondis, traitant des questions du patriarcat et de l’émancipation féminine. Barbie, quant à elle, est un ovni dans le cinéma : il s’agit du premier blockbuster qui assume un public ciblé féminin.

Greta Gerwig, réalisatrice et Margot Robbie, productrice et actrice du film Barbie

Barbie s’amuse à imaginer, avec satire, un monde à l’inverse du nôtre, où pour une fois, les femmes sont au pouvoir et peuvent tout faire : le barbieland. Dans ce monde féérique, les hommes sont beaux et gentils mais peu utiles et dénués de pouvoir. Cette représentation caricaturale et provocante, n’est pourtant qu’une répartie s’appuyant sur des images classiques du cinéma : la blonde écervelée, la femme qui ne sert que d’accessoire.

En confrontant barbieland et le monde réel, le film nous plonge alors dans le regard de Barbie, qui est celui d’une fille qui grandit et qui découvre un monde appartenant aux hommes, où les regards dans la rue sont pesants et la féminité est un obstacle. Au fur et à mesure de sa quête, sa crise existentielle s’intensifie en découvrant la complexité du sentiment humain et la difficulté quotidienne d’être une femme. Comme le dit si bien America Ferreira dans le film : Il est presque impossible d’être une femme, on nous demande trop de choses contradictoires. Même une simple poupée, sensée la représenter, n’en est pas épargnée.

Par ailleurs, le personnage de Ken, qui représente l’homme est loin d’être superficiel : il interroge tout aussi bien les dérives du patriarcat, l’injonction à la virilité, pour conclure finalement que la solution idéale n’est ni le patriarcat, ni le matriarcat, et que chaque genre doit se libérer des attentes sociétales.

Enfin, à travers son female gaze, Barbie prend un malin plaisir à balayer des clichés de la vie de tous les jours et à faire des clins d’œil à son public féminin : la demoiselle en détresse, la fille qui devient belle dès que Ken lui enlève ses lunettes, le mansplaining de the Godfather, ou encore la fille en déprime qui se réfugie dans les films de Jane Austen... et c’est un régal.

En résumé : Barbie est le premier blockbuster imaginé à partir d’un point de vue féminin. Et c’est une réussite.

Margot Robbie

Un féminisme de pacotille ?

Depuis la sortie de Barbie, les réactions fusent dans tous les sens. Entre les interdictions pour « atteinte à la morale » dans plusieurs pays tel que l’Algérie, les dénonciations de propagande et le marketing sans fin, le succès phénoménal du film effraie et éveille les soupçons.

Car oui, pour un film grand public, Barbie jongle avec des sujets houleux : le féminisme et le patriarcat. D’un côté, il y a ceux qui crient au wokisme et diabolisent l’agenda féministe en parlant d’un film « anti-hommes », et d’un autre, des féministes qui rejettent le propos du film et n’y voient qu’une publicité déguisée, faisant du féminisme un outil de marketing, trop léger et élémentaire.

Barbie est-elle féministe ? Elle ne le prétend pas : elle ne résout ni les problèmes de féminisme, ni l’égalité des droits, comme elle le dit si bien.

Mais il n’en reste pas moins un film écrit et produit par des femmes, qui invite à réfléchir sur les rapports genrés et qui raconte simplement l’expérience d’être une femme, dans ses malheurs quotidiens et ses légèretés (le rose comme couleur favorite reste évidemment discutable).

Toute production féminine est-elle ou se doit-elle d’être féministe ? Peut-on aborder le sujet de la femme sans prétendre au féminisme ?

Une chose est sure, face au succès du film et des pop stars tel que Taylor Swift, la conclusion est évidente : nous avons besoin de plus de femmes autrices, réalisatrices, productrices, compositrices, etc., aptes à prendre en main la narration, et à raconter le monde et l’expérience humaine à partir d’un point de vue féminin.

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