Après la chute, il faut se relever...

Le sport a réconcilié les femmes tunisiennes avec leur handicap. Récit des combats et des victoires remportées par Hania, Fadhila, Somaya et Rima...

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Tebr Al-Nuaimi - journaliste tunisienne

Il y a de cela 25 ans, la vie de Hania Laidi, originaire de Sfax, ville du sud tunisien, a brusquement basculé. Toutefois, Hania ne s’est pas découragée, elle a choisi le sport malgré son incapacité de marcher, atteignant une stature d’athlète de haut niveau. Mais comment Hania, Fadhila, Somaya ont-elles fait pour réussir ?

Hania Laidi se souvient encore des moindres détails de cette journée. Elle s'est réveillée un matin en sentant des picotements et des douleurs au pied gauche. Ses parents ne se sont pas inquiétés. Hania n’y a pas prêté attention non plus. Mais la douleur a commencé à devenir intense puis, incapable de tenir debout, Hania s’est rendue à l'hôpital. En y arrivant, elle avait perdu toute sensation dans ses jambes et ne tenait plus en équilibre. Elle a été immédiatement opérée. Elle a repris espoir grâce aux soins dans un centre de rééducation spécialisé. Cependant, malgré l'amélioration progressive de son état, elle sera forcée de le quitter parce que ni elle ni sa modeste famille ne sont en mesure d’assumer le coût du traitement.De retour dans sa campagne, elle accepte son destin. Cependant, un jour, elle rencontre un conseiller social du Centre de réadaptation professionnelle des handicapés physiques et des accidentés à Manouba près de Tunis. Elle décide d’intégrer ce centre pour continuer son traitement et recevoir une formation professionnelle. Hania qui a choisi l’internat, ne quitte jamais cet endroit, même en fin de semaine comme le font les autres résidents. Ainsi, lors de son séjour, elle se rapproche des membres de l'équipe nationale des sports pour personnes handicapées qui séjournent régulièrement dans le centre pour s’entraîner.Les membres de l’équipe lui tiennent compagnie lorsque l’internat est vide de ses camarades. Elle les regarde s’entraîner. Un jour l’un des entraîneurs lui suggère de pratiquer le lancer de javelot en raison de ses qualités physiques. Hania accepte sans hésitation et, après un mois d'entraînement, elle participe aux Jeux olympiques d'Athènes de 2004 et se classe quatrième.

Elle a préféré le sport à la marche…

Hania Laidi

Hania a toujours rêvé de se débarrasser du fauteuil roulant et de marcher. Ce rêve était plus fort que les tentations du sport. Elle continue de s'entraîner tout en essayant de recouvrer la marche.  Et elle y parvient, cependant en récupérant l’usage de ses jambes, elle doit quitter son équipe et la vie qui va avec. Elle devra donc retourner dans sa lointaine campagne pour un avenir totalement inconnu. Après une longue réflexion, elle choisit de rester athlète de l'équipe nationale et résidente du centre qui l’a accueillie. En 2005, elle décide de devenir lanceuse de javelot professionnelle et remporte sa première médaille, d’argent aux Jeux olympiques de 2008, suivie de médailles d'or lors de plusieurs championnats à travers le monde. Hania ne s'est pas contentée de lancer le javelot, elle s'est également entraînée au lancer de poids lourd. Là aussi elle rafle des médailles jusqu'à ce qu'elle ne se blesse à l'épaule et soit obligée de s'arrêter en 2019, après sa participation au Mondial à Dubai. Sa victoire était censée la qualifier pour les Jeux olympiques de Tokyo de 2020. Hania fait soigner son épaule gauche, celle qui lui a permis de remporter des victoires, mais un grand stress et une erreur médicale ont douché ses espoirs de la récupérer. Elle dit que le handicap de son épaule a été plus grave que celui de ses jambes. « Quand Dieu m’a infligé le handicap de mes jambes, j’ai trouvé une issue dans le sport. Mais la perte de mon épaule a marqué la fin de la plus belle chose de ma vie. » Pourtant Hania a su se relever, car elle estimait n’avoir pas le droit d’abandonner. Alors, elle change d’épaule, la revigore avant de se fatiguer à nouveau... Et ainsi de suite… elle tombe, se relève, donnant autour d'elle une leçon de persévérance et d'espérance.

Chaque consécration effaçait la trace des souffrances...

« Le sport a changé ma vie et m'a fait surmonter mon handicap. Malgré toutes les difficultés que j'ai traversées, j'oublie la souffrance à chaque consécration », nous confie Hania lors de notre visite sur son lieu de travail dans la banlieue de Sfax.  Aujourd’hui, elle a décidé de pratiquer le tir. « Je veux continuer à faire du sport et entraîner les enfants dans les disciplines que je maîtrise et leur apprendre que la détermination mène à la gloire et immortalise les noms », assure-t-elle.Les conditions sociales de Hania se sont améliorées malgré les épreuves et les difficultés, vécues par les personnes handicapées physiques. Une de ses collègues est également sa colocataire, ce qui la réconforte.

Le sport m'a permis de réaliser des choses dont je n'avais jamais rêvé...

Fadhila Annafati

La camarade de Hania, Fadhila Annafati, 34 ans, originaire d’une zone rurale de Téboursouk dans le gouvernorat de Beja, dans le nord-ouest de la Tunisie, est arrivée dans la capitale il y a 15 ans. Son parcours est très semblable à celui de Hania. Au Centre de réadaptation professionnelle des handicapés physiques et des accidentés, un entraîneur l'a repérée et aidée à devenir une athlète du lancer du poids. Elle a remporté plusieurs prix internationaux, et se prépare aujourd'hui à participer aux Jeux olympiques de Paris en 2024.À l'âge de 13 ans, Fadhila a été victime d’un accident qui l'a handicapée. Sa condition ne lui permet pas de poursuivre des études. Le destin lui a fait rencontrer une assistante sociale qui l’a soutenue et orientée vers le Centre. « Le sport m'a sauvée de l'état psychologique critique dans lequel je me suis retrouvée après avoir perdu la capacité de marcher. J’ai retrouvé la confiance en moi après les succès que j'ai obtenus. Mon plus grand bonheur est de voir ma famille fière de moi » déclare Fadhila. Et d'ajouter : « Grâce au sport, j'ai réalisé des choses dont je n'avais jamais rêvé... les voyages, la célébrité et l’épanouissement... mais surtout la stabilité sociale. Je suis payée en tant qu'animatrice sportive, et c'est ce qui me fait affronter la vie avec espoir et ambition. » 

Soumaya l'héroïne

Somaya « l’héroïne »

Hania, Fadhila et d'autres championnes appartiennent à la Fédération tunisienne des sports pour handicapés, créée en 1988. Elle a accueilli des athlètes garçons et filles qui ont excellé au niveau international, notamment en athlétisme et en sprint. La Tunisie a engrangé plus de 100 récompenses et le nombre d'athlètes licenciés appartenant à la fédération s’élève à 61, dont 26 femmes et 35 hommes. Elle prend soin d'eux et les soutient, notamment dans les domaines du logement, de la santé, du transport et de la formation, et leur verse un salaire mensuel fixe.
La plupart de ces athlètes viennent de zones rurales. Toutes et tous ont trouvé dans le sport un moyen de changer leur vécu et de briller. Parmi eux se trouve l'athlète internationale de 43 ans, Somaya Bosaai, qui est malvoyante. C'est une championne de sprint spécialisée dans les longues et courtes distances.Somaya a participé à des championnats du monde et a remporté plusieurs médailles d'or, même dans des compétitions avec des voyants, réalisant des records impressionnants. Elle est originaire de l'île de Djerba au sud de la Tunisie, et vit dans la capitale depuis l’école primaire. Somaya ne parvient pas à voir au-delà d'un mètre. A l’école, elle a été empêchée de faire du sport parce qu'elle porte des lunettes spéciales. Puis, malgré ses bonnes notes, le chemin des études lui a été barré parce qu'elle ne pouvait pas lire « ce qui était écrit au tableau ».C’est avec une expression de douleur que Somaya nous raconte la discrimination dont elle a été victime pendant son enfance. Empêchée d'étudier, elle est forcée de travailler dans une usine de textile pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille. Insatisfaite de la situation qui lui a été imposée, elle décide alors, parallèlement à son travail, d'étudier le stylisme en braille dans un institut pour non-voyants.  En 2004, elle obtient un diplôme de styliste de mode. Cependant, cela ne lui fait pas oublier son amour pour le sport. Alors, elle se bat pour changer la loi et obtenir l'égalité des droits pour les athlètes handicapés. En effet, cela est acté dans un texte de loi en 2016. Aujourd'hui, Somaya cherche à monter un centre sportif modèle pour les personnes handicapées, avec de multiples spécialités.

Le jour où j'ai réalisé que j'étais différente...

Rima Al-Abdali

Contrairement à Somaya, Rima Abdali, 35 ans, a pu terminer ses études universitaires et obtenir un master en planification financière. Mais son diplôme universitaire ne l'a pas aidée à trouver un emploi, à cause de sa petite taille.Dans sa recherche d'emploi, Rima s'est rendue à l'Association des handicapés à Sfax pour postuler à un emploi. Là, elle rencontre un professeur de sport qui lui propose de rejoindre l'équipe nationale paralympique. Elle accepte et s'entraîne au lancer de poids pour petite taille. Elle remporte une médaille de bronze aux Championnats du monde pour personnes handicapées au Qatar, en 2015. Les médailles d'argent et d'or suivent.Aujourd'hui, Rima vit avec son mari et son fils dans la ville de Hammamet dans le gouvernorat de Nabeul, au nord de la Tunisie. Elle s'entraîne dans un gymnase près de chez elle et se rend parfois dans la capitale pour le faire dans un centre spécialisé. De plus, Rima a reçu une formation en arbitrage, en basket-ball. Elle a également obtenu un poste d’animatrice sportive.« Ma petite taille m'a amenée à briller dans le sport, ce qui m'a fait rencontrer mon mari et fonder une famille... Le sport m'a permis de réaliser la chose la plus importante, l'autonomie pour gagner ma vie. Je suis devenue un modèle pour les enfants de mon village et mes succès ont insufflé de l'espoir dans leurs cœurs pour l'avenir », dit Rima.

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