Ameline Nicole, experte de la Cedaw

La Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, Cedaw en anglais (Convention on elimination of all discriminations against women), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 18 décembre 1979, est entrée en vigueur le 3 septembre 1981.

Quarante ans et un plus tard combien de pays signataires appliquent ses « principes fondamentaux des Nations Unies qui ont proclamé à nouveau leur foi dans les droits fondamentaux de l'homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine et dans l'égalité de droits des hommes et des femmes. ». La ratification n’implique pas toujours le respect de ces principes car les réserves émises par certains États ont presque vidé cette Convention de son principe premier de non-discrimination à l’égard des femmes.

Des pays comme l’Algérie, le Maroc, la Malaisie ont contesté plusieurs articles qu’ils considèrent en opposition avec la religion musulmane. Pour tenter de plus ou moins se conformer à l'article 2 qui engage les États « à adopter toutes les mesures appropriées pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes », certains de ces pays ont répondu par quelques amendements (le Code de la famille algérien et la Moudawana marocaine par exemple ), loin de réhabiliter les femmes dans leurs droits de citoyennes à part entière.

Dans les démocraties occidentales aussi, les acquis des femmes sont aujourd’hui menacés par la montée de l’extrême droite et du nationalisme. La Cedaw semble bien démunie face à ce recul des droits des femmes à travers le monde.

Nicole Ameline, photo Ghania Khelifi

Nicole Ameline, experte élue de ce Comité nuance cette impression d’impuissance et rappelle que « Le Comité Cedaw des Nations Unies est l’un des 10 Comités en charge des Droits de l’Homme.  Son autorité est liée à sa fonction de contrôle de l’application de la Convention Cedaw sous plusieurs formes, ainsi qu’à l’expertise et aux rapports sur l’évolution des droits des femmes dans les différents États. Ces rapports sont publics et servent d’orientation pour les Institutions et pour la société civile. Nous agissons aussi sous une forme juridictionnelle et nous menons des enquêtes en cas de violations massives et graves des droits fondamentaux des femmes.

Menés à l’échelle du monde, ces travaux sont reconnus et constituent une référence prise très au sérieux par les États eux-mêmes, les acteurs internationaux et les ONG.

L’enjeu est de préserver le système multilatéral qui se fonde sur les valeurs universelles. Le repli nationaliste est une régression historique sur ces sujets, car le relativisme culturel et l’interprétation politique se substituent au socle des valeurs communes. A enjeux globaux, réponses globales. Partager cet « irréductible humain», ce qui n’est ni négociable, ni retranchable de l’individu, c’est sauver et partager l’essentiel, et faire du droit et de la dignité humaine l’expression de notre commune humanité. »

La médiatisation des rapports sur la situation des femmes dans les pays peut égratigner l’image extérieure des États mis en cause mais il est peu probable que leurs intérêts stratégiques et économiques soient impactés. La force de la Cedaw si l’on peut dire réside davantage dans sa dimension de référence et dans son programme d’action « un socle universel de droits fondamentaux » proposé aux États signataires et un outil pour les luttes féministes dans le monde. Le combat pour l’égalité transcende alors les limites géographiques, culturelles et sociales pour s’inscrire dans la revendication du respect des droits humains tels qu’approuvés par la communauté internationale.

Les femmes ont réussi à donner à leurs revendications de liberté et d’égalité cette dimension humaine universelle en relayant leurs combats, en construisant des réseaux de solidarité féminine. Le mouvement #metoo, la défense du droit à l’avortement et la révolte des Iraniennes se sont imposés comme des questions universelles.

Nicole Ameline confirme que « ce que l’on appelle en anglais “lempowerment”, c’est à dire la prise de pouvoir par les femmes sur leur vie, leur choix, leur décision est une double révolution. Elle traduit une prise de conscience à la fois individuelle et collective de la violence systémique exercée sur les femmes, et également la volonté de la dénoncer, donc de la combattre. Au delà des textes juridiques, l’évolution des mentalités et des schémas sociaux est essentielle. La libération de la parole exprime cette prise de conscience et de pouvoir. Elle suppose naturellement que les lois et mécanismes juridiques permettant la sanction des violences existent.

Notre rôle au sein des Nations Unies est de veiller à ce que de tels cadres législatifs permettent dans l’ensemble des pays du monde l’émancipation des femmes de toutes formes de discriminations et de violences, et l’expression de leur leadership dans toutes les sphères de la société. »  

« Les Iraniennes mènent un combat politique, courageux, exemplaire. »

Le processus d’empowerment suppose une approche globale du statut des femmes pour qu’elles « soient légitimes partout et dans tous les domaines ». Le chemin est plus long pour celles qui risquent leur vie pour une mèche de cheveux qui dépasse du voile islamique. Les Afghanes, les Iraniennes, les femmes victimes des conflits armés à travers le monde font tous les jours l’expérience de la violence de la domination masculine.

« L’Iran est l’un des rares pays qui n’a pas ratifié la Convention Cedaw à laquelle sont parties 189 États et qui est l’instrument universel de référence en matière de droits des femmes. Face à un pouvoir religieux conservateur, les Iraniennes portent un combat politique. Celui de la liberté, autant que celui de l’égalité. C’est un combat courageux, exemplaire, qui devient le combat d’un peuple.

Il ne faut pas opposer droit et religion, en revanche pouvons dénoncer les interprétations ou instrumentalisations des principes religieux visant à inférioriser les femmes dans la société et à leur imposer le silence.

L’aspiration des peuples à la liberté et à l’égalité s’inscrit dans le socle des valeurs universelles et répond à des objectifs de paix, de démocratie et de développement durable. C’est pourquoi l’égalité entre les femmes et les hommes est un Objectif à part entière (Objectif 5 ) mais aussi un Objectif transversal des Objectifs de Développement Durable de l’ONU, feuille de route universelle pour 2030 . 

L’égalité reste pour moi le combat d’avant-garde d’un monde plus juste, plus pacifique et plus durable. En cela il est plus que jamais un enjeu ».

 

* Ministre chargée de l’égalité professionnelle et de la parité dans le gouvernement Jean-Pierre Raffarin (2002-2005). DE 2005 à 2007, elle a été ambassadrice chargée des questions sociales et de la parité auprès de l'Organisation Internationale du Travail. En 2008, elle a été élue à la Cedaw dont elle prend la présidence en 2013 puis vice-présidente (2019-2020). En novembre 2020 elle a été réélue comme expert pour le  mandat 2021-2024.

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