Rencontre avec Mayye Zayed, réalisatrice du documentaire « Lift like a girl »

Le film suit Zebiba, une adolescente de 14 ans et son coach Capitaine Ramadan, lors de ses entraînements et ses compétitions. Il est question de transition, de l’enfance à l’âge adulte, mais aussi du sport comme vecteur d’émancipation.

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Par Marianne Roux

Un terrain vague poussiéreux au milieu d’un quartier populaire d’Alexandrie avec quelques  équipements de bric et de broc réalisés grâce à la débrouillardise locale. C’est le cadre du documentaire « Lift like a girl » où la réalisatrice Mayye Zayed a filmé pendant quatre ans une pépinière de championnes en haltérophilie. Difficile pourtant d’imaginer une telle entreprise dans un pays où la pratique sportive, notamment celle des femmes, se heurte à tant d’obstacles. Tout d’abord celle de leur présence dans l’espace public, ensuite celle de la norme sociale qui juge ce qui est approprié ou non pour le corps féminin. Il est d’ailleurs rare de voir des Égyptiennes en vélo tout simplement parce que personne ne leur a appris, jugeant la position induite inconvenante. Dans cet environnement a priori hostile, le film suit Zebiba, une adolescente de 14 ans et son coach Capitaine Ramadan, lors de ses entraînements et ses compétitions. Il est question de transition, de l’enfance à l’âge adulte, mais aussi du sport comme vecteur d’émancipation.

Marianne Roux : Mayye Zayed, comment êtes-vous devenue réalisatrice ? Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?

Mayye Zayed : Je suis réalisatrice, photographe de plateau et monteuse. J’ai donc plus ou moins travaillé dans les différents domaines de l’industrie audiovisuelle avant de me consacrer pleinement à la réalisation et à la production de mes films. J’ai une société appelée Cléo Media qui se focalise sur les projets où les femmes sont à la fois devant et derrière la caméra. Avant cela, j'ai été la cofondatrice d’une autre société, Rufy’s films, qui a produit plusieurs courts-métrages et documentaires. Pour autant, mon background n’a rien à voir avec le cinéma ! Je suis à la base ingénieure en télécommunication mais après mon diplôme en 2008 j’ai décidé de faire ce qui était pour moi devenu une évidence : le cinéma. J’ai donc participé à un atelier au Caire puis suivi un programme de formation en cinéma indépendant au Centre culturel jésuite d'Alexandrie et enfin obtenu une bourse pour étudier aux États-Unis.

M.R. : Vous avez dit que votre société Cléo se concentrait sur les femmes « devant et derrière la caméra », pourquoi ce choix ? Est-ce que cela est lié au contexte de l’industrie en Égypte ou plutôt à un engagement personnel ?

M.Z. : Je pense que cela provient de plusieurs raisons. Je suis féministe mais je pense que c’est surtout car en tant que femme j’ai tendance à m’identifier davantage aux récits de femmes et c’est ce genre de films que je veux réaliser. J’ai donc créé ma société à la fois pour produire mes propres films et soutenir les autres réalisatrices. Les films réalisés par des femmes sont beaucoup moins nombreux et cela n’est pas une spécificité égyptienne, c’est le cas dans le monde entier. C’est pourquoi j’ai voulu que Cléo media se concentre sur les personnages féminins. Bien sûr cela ne me pose pas de problème de travailler avec un réalisateur homme mais ce que je n’accepte pas, c’est que les personnages féminins soient construits et filmés uniquement comme des objets de désir, des trophées ou des personnages secondaires. Je veux montrer des femmes en 3D » et non pas véhiculer des stéréotypes binaires comme la jolie jeune-fille ou la cruelle manipulatrice qui sont encore pléthore dans le cinéma. Je veux mettre en lumière des femmes dans leur humanité afin que les spectatrices et spectateurs s’identifient à elles.

M.R. : Comment vous est venue l’idée de ce film ?

M.Z. : Je connaissais de nom Nahla Ramadan depuis très longtemps. En effet, en 2003, alors que j’étais adolescente, je me souviens de l’onde de choc qu’avait provoqué sa médaille d’or aux championnats du monde. C’était vraiment quelque chose d’incroyable, j’étais très enthousiaste. C’était la première fois qu’une athlète remportait une médaille d’or à ce niveau. Je me rappelle avoir lu qu’elle s’entraînait avec son père dans les rues d’Alexandrie avant de devenir une icône nationale. En 2014, quelqu’un m’a présenté à Capitaine Ramadan et j’ai été stupéfaite de voir qu’il continuait à coacher des jeunes-filles pour qu’elles deviennent des haltérophiles professionnelles sans que personne n’en sache rien. J’ai donc décidé de suivre le quotidien de ces filles avec l’idée de montrer au monde entier qu’un tel endroit existait.

M.R. : Cela a-t-il été difficile de convaincre les protagonistes de se laisser filmer ?

M.Z. : Au début, plusieurs filles, les plus âgées, ont refusé d’être filmées et j’ai tout à fait compris et respecté leur choix. En revanche, Capitaine Ramadan était très accueillant et les filles plus jeunes très intriguées par  la caméra. Au fur et à mesure le groupe nous a fait confiance mais au début ils pensaient que nous étions des journalistes venus juste pour quelques jours, comme cela avait été le cas auparavant.  J’avais d’abord en tête de voir ce qu’il se passait dans cet endroit mais après un an de tournage, je me suis dit que la trame du film serait plus prenante si l’on suivait une seule protagoniste qui irait jusqu’au championnat du monde et aux Jeux Olympiques de 2016 (même si cela n’a pas été le cas). Je trouvais aussi cela intéressant de suivre Zebiba durant cette période de sa vie, où elle passe de l’adolescence à l’âge adulte.

M.R. : La personnalité du Capitaine Ramadan est hors du commun. Que pouvez-vous nous dire sur lui ? Comment se fait-il qu’il veuille entraîner quasi-exclusivement des filles ?

M.Z. : La première fois que je l’ai rencontré je me suis demandé : mais pourquoi fait-il tout cela ? J’ai eu ma réponse quand j’ai découvert la passion qui l’animait. C’est lui qui a véritablement introduit l’haltérophilie en Égypte et ses deux filles, qu’il entraînait, sont devenues des championnes. Il était haltérophile lui-même et avait pour habitude de les emmener avec lui lors de compétitions locales. Il a réussi à convaincre les officiels que les filles pouvaient pratiquer ce sport à un niveau professionnel et c’est ainsi que tout a débuté. Il a passé la plupart de sa vie à entraîner des femmes et croyait en leurs capacités, il était convaincu qu’elles étaient meilleures haltérophiles que les hommes. Il était réellement progressiste et défendait les droits des femmes dans le sport. Je l’ai entendu à plusieurs reprises faire la leçon à des parents pendant des heures sur pourquoi ils devaient laisser leurs filles s’entraîner et pratiquer ce sport. Et honnêtement c’est quelque chose qui surprend étant donné son milieu d’origine.

Photos Mayye Zayed

M.R. : En effet, dans le film on voit la relation très proche et la complicité évidente qu’entretient Capitaine Ramadan avec les jeunes sportives. Ils se font par exemple la bise pour se saluer, ce qui, dans ce milieu social est assez inédit. Par ailleurs, les filles s’entraînent sur le terrain à la vue de tous et dans un environnement mixte. Comment réussit-il à faire accepter cela ?

M.Z. : En tant qu’Égyptienne je fus la première surprise ! Capitaine Ramadan et ces jeunes-filles brisaient beaucoup de normes sociales liées à leur milieu, et cela de manière naturelle, ce que beaucoup de gens ne sont pas capables de faire. Capitaine Ramadan avait su rendre ce lieu unique et tout le monde se sentait à l’aise. Mais avant de se faire accepter par le voisinage, il a mis vingt ans et s’est beaucoup battu. Sa passion et sa détermination ont su convaincre autour de lui.

M.R. : L’haltérophilie est dominée par les hommes car elle est liée à la puissance physique. Toutefois, ces préjugés ne semblent pas refroidir Zebiba et ses camarades de pratiquer ce sport, comment l’expliquez-vous ?

M.Z. : À mon avis c’est parce qu’elles ont trouvé dans ce lieu quelque chose qu’elles n’ont pas trouvé ailleurs, et quelqu’un qui croit en elles et en leur potentiel. Quand on vous dit que vous pouvez devenir championne du monde, ce n’est pas rien, surtout pour quelqu’un venant d’un milieu populaire. Et bien sûr l’autre chose qui joue est la notoriété de Nahla qui est devenue un exemple pour toute une génération de jeunes filles. Je pense qu’en la voyant s'entraîner tous les jours, beaucoup ont eu envie de la rejoindre sans compter que Capitaine Ramadan emmenait également ses championnes dans les écoles pour faire des démonstrations et promouvoir l’haltérophilie.

M.R. : En Égypte, pratiquer un sport en tant que femme issue d’un milieu populaire n’est pas une chose évidente ni facile. Pensez-vous que votre film puisse faire évoluer les choses ?

M.Z. : J'espère en effet qu'il contribuera à changer la réalité de beaucoup d’Égyptiennes. Ces dernières doivent faire face à de nombreux obstacles dont le premier est leur famille qui souvent ne les autorise pas à pratiquer un sport. Et au-delà de l’entourage, il y a le manque d’infrastructures sportives.  Bien évidemment des jeunes-filles font du sport mais c’est beaucoup plus facile pour celles qui viennent des classes moyennes supérieures et aisées car c’est accepté par leur milieu et elles ont les moyens financiers de s’inscrire dans des clubs.

Afin de décupler l’impact du film, j’ai créé une version raccourcie pour le jeune public et nous avons commencé à organiser des projections publiques. Nous allons en faire dans tout le pays, notamment dans les régions du Delta et de Haute-Égypte, j’ai hâte de voir comment le film sera accueilli.

Enfin, il est intéressant d’observer que l’unique médaille d’or obtenue par l’Égypte aux JO de Tokyo cette année a été celle de la karatéka Feryal Abdelaziz qui s’entraîne dans un centre de jeunesse dans des conditions similaires à celles de Zebiba. Les médias ont beaucoup parlé d’elle et des autres athlètes médaillées et je pense que nous assistons à un tournant dans la manière dont ces championnes sont perçues et célébrées par tous et toutes comme de véritables modèles. D’ailleurs, à l’occasion de ces victoires certains ont fait le parallèle avec mon film et j’en ai été très heureuse.

Le film est disponible dans le monde entier sur Netflix.
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