De l’humanisation des femmes dans la série syrienne « Welad Badia »

Dès les premiers épisodes de la série « Welad Badia » [Les enfants de Badia], les rôles féminins s’imposent, rompant les stéréotypes de genre.

Cette publication est également disponible en : English (Anglais) العربية (Arabe)

Badia, vit avec ses deux enfants « illégitimes » dans une société compatissante, qui ne la condamne pas du fait qu’elle souffre de déficience mentale. Et pourtant par le passé, au nom de l’honneur, la société syrienne encouragea l’exécution de femmes souffrant de maladies mentales parce qu’elles avaient mis au monde des enfants hors mariage. C’était avant que la loi consentant de telles peines ne fût abolie.

Des rôles féminins variés

La série réalisée par Racha Charbatchi, sur un scénario signé Yamin El-Hajli et Ali Wajih, raconte une lutte fratricide dans le quartier des « Dabbaghine » [tanneurs] à Damas, au cours de deux époques différentes. Les rôles féminins sont diversifiés : de la bourgeoise damascène à la « belle de nuit », chaque femme a sa propre histoire et une cause à défendre.

Souccar (Soulafa Mimar) ne connaît pas ses parents. Elle décide de vivre sa vie comme elle l’entend, sans se préoccuper de son entourage. Elle danse, chante et dirige un restaurant qui organise des fêtes et vend des boissons alcoolisées, ce qui est rejeté par la société syrienne et l’expose à moult attaques et accusations.

Souccar décide d’affronter la société à sa façon, peu importe qu’elle soit bonne ou mauvaise, sa manière de faire correspond à la société fragmentée dans laquelle elle vit.

Quant à Marwa (Line Gharra), c’est une jeune fille qui vit deux vies contradictoires. La nuit, elle vend son corps tandis que le jour elle demande l’absolution dans un lieu de culte. Marwa oblige le spectateur à éprouver de la sympathie pour elle car elle aussi est une victime, obligée de pratiquer l’amour tarifé pour payer une dette contractée suite à une escroquerie dont elle a fait l’objet. Malgré cette existence cruelle, Marwa connaît ses droits et combat pour les obtenir.

Cette série met en scène des personnages tels que Abir, Oum Salim, Oum Mokhtar et d’autres, qui diffèrent de l’image stéréotypée de la femme réduite à des figures mineures, vouées à représenter l’honneur de la famille. Car, au fil des épisodes, ces femmes sont avant tout des êtres humains, et c’est sur cette base que le récit et la réalisation sont construits.

Des femmes qui cassent les stéréotypes professionnels

Ce qui attire l’attention dans cette série, ce sont ces femmes exerçant des métiers autrefois monopolisés par les hommes. La guerre et les conflits armés ont participé au changement des préjugés sur le travail féminin. La femme chef de famille a enfin vu le jour, comme Oum Jomaa (Nadine Khoury) qui conduit une motocyclette pour transporter les peaux d’animaux, des abattoirs chez les tanneuses, et travaille aussi comme intermédiaire commerciale. En même temps, c’est une mère forte, capable de réfléchir de manière conséquente et de prendre des décisions appropriées.

Quant à Hadil (Nadine Tahsin Bek), elle dirige la tannerie avec son père, ou plutôt non, elle est plus compétente que lui dans son travail. Après sa mort, elle assiste aux réunions des chefs de corporations, s’assoit à sa place sans recevoir la moindre désapprobation ou un quelconque regard bizarre de ceux qui l’entourent. Au contraire, elle est respectée, apparaît sûre d’elle, on lui fait confiance. Et dans sa vie personnelle, elle vit l’amour au grand jour.

On suit également le personnage de Zouhour (Wala Azzam) qui travaille dans un kiosque loin des zones habitées, près des tanneries, pour aider sa mère dans les dépenses de la maison.

Par ailleurs, on ne perçoit pas Badia (Imarat Rizk) comme un personnage brisé. Elle ne semble ni soumise ni faible malgré son état mental. Au contraire, elle travaille dur dans le nettoyage de la tannerie, vit de la sueur de son front, défend férocement ses enfants. Non seulement, elle reste auprès d’eux quand ils grandissent mais ils prennent bien soin d’elle. C’est ainsi qu’apparaît sa grande influence sur eux sans qu’elle leur ait adressé un seul mot tout au long de sa vie.

Il en est de même pour Oum Mokhtar (Dima El-Joundi) qui a souffert de l’injustice de son mari et a défendu son enfant.

Des femmes à la recherche de leur amour

L’amour a son importance pour les personnages féminins, cette année. Il revêt des formes différentes et les manières de l’obtenir varient. Abir (Rosina Ladhkani), l’avocate intelligente et compétente, a un large réseau de relations et un background culturel et juridique qui l’aident dans son travail. Quand elle aime Mokhtar, elle le défend au début et le chérit, puis elle le quitte malgré son amour pour lui quand elle a la certitude qu’il n’est pas l’homme adéquat.

Il y a aussi Oum Salim (Lina Hawarna), une femme cinquantenaire qui accumule les mariages. Habituellement, dans les drames, c’est l’homme qui tient ce rôle ou, encore, préfère les femmes très jeunes malgré son grand âge. Avec Oum Salim, l’histoire est inversée : c’est une femme qui préfère les jeunes hommes et manifeste des sentiments et des caractéristiques jamais vus auparavant dans les séries syriennes. Cela dénote un changement de mentalité important.

Une militante féministe : des images de femmes attachantes mais !

Mais ces personnages sont-ils réellement parvenus à casser les lieux communs sur les femmes et la vision stéréotypée que porte la société sur elles ?

Selma El-Sayyad, la directrice des « Rencontres culturelles d’avril », trouve que « Welad Badia » est une série qui se distingue des autres précisément par sa manière de traiter les personnages féminins : « L’image stéréotypée de la femme, longtemps montrée comme un être faible, qui s’en remet à son protecteur, est bousculée, explique-t-elle. Hadil, la fille du tanneur, a une forte personnalité, elle donne son avis sur l’organisation du travail et met en place des procédés pour l’améliorer, sort son père de difficultés où il s’est mis lui-même. Elle s’intègre dans un secteur professionnel réservé aux hommes, un travail dur et pénible, mais elle arrive à exceller et à avoir des relations d’égal à égal avec les autres tanneurs, particulièrement après le décès de son père. »

« De même, poursuit la directrice, on voit la fille du roi de la fourrure qui décide de son avenir, de celui qu’elle va épouser, qui choisit de poursuivre ses études supérieures plutôt que de se marier, soutenue en cela par son père qui n’intervient pas dans ses décisions. »

Selma El-Sayyad fait l’éloge d’Oum Jomaa et considère que c’est sans doute la première fois que l’on trouve, dans une série, le du personnage d’une femme syrienne conduisant une motocyclette pour aller travailler dans un secteur qui était réservé autrefois aux hommes. Ce qui lui permet de nourrir ses enfants.

« Le travail des femmes dans la prostitution consolide toutefois l’image stéréotypée de l’exploitation du corps des femmes, note Selma El-Sayyad. C’est le cas de Marwa et de ses amies, de Souccar également, qui après son entrée dans le monde du commerce, se livre à une escroquerie. Elle finit par dépasser les hommes dans la planification et l’intelligence, sauf que c’est une leader qui s’adapte à une société détestable. Pour ma part, j’ai trouvé que l’avocate Abir et Zouhour sont des personnages qui correspondent à l’archétype de la femme exploitée sentimentalement, que l’on retrouve en grand nombre dans la société. »

Toutefois Selma El-Sayyad sait être critique : « si l’intrigue avait été plus puissante et bénéficié d’un meilleur traitement dramatique, ce travail aurait été révolutionaire. Il aurait brisé le cliché de la femme procréatrice pour en faire la partenaire de l’homme à tous les âges de la vie. »

Traduction : Houda Ben Ghacham
Quitter la version mobile