Judith Godrèche : “L’image de nos pères idéalisés s’écorche”.

Vendredi 23 février 2024 se tenait la 49ème cérémonie des César du cinéma. Devant ses pairs, Judith Godrèche, actrice et réalisatrice, s’est exprimée sur la fabrique de l’impunité de ce milieu, le confrontant à ce qui s’annonce comme le premier véritable mouvement #MeToo Cinéma en France.

Ecrit par Inès Atek

Depuis quelque temps, le petit monde prestigieux du cinéma est secoué par une vague qu’il a trop longtemps étouffée et une brèche se dessine sur le mur de l’impunité. Judith Godrèche, qui déclarait à la cérémonie des César : L’image de nos père idéalisés s’écorche”, est sans nul doute une des figures phares de ce qui s’annonce aujourd’hui comme le #MeToo du cinéma français. Son discours attendu à la cérémonie des César fait écho à ses récentes déclarations dans la presse. L’actrice, mais aussi scénariste et réalisatrice, a dénoncé les viols et les agressions qu’elle a subis alors qu’elle était mineure par les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon.

Suite à ses déclarations, de multiples femmes ont corroboré ses propos, mettant en cause tour à tour ces grands noms du cinéma d’auteur.  Ainsi, Laurence Cordier, metteuse en scène, Vahina Giocante, actrice, et Julia Roy, actrice et scénariste, mettent en lumière un système de prédation et d’emprise installé par Benoît Jacquot sur ses tournages. En ce qui concerne Jacques Doillon, à la suite de la prise de parole de Judith Godrèche, Isild Le Besco -actrice et scénariste- et Anna Mouglalis –actrice- ont, elles aussi, dénoncé des comportements inappropriés allant du harcèlement à l’agression sexuelle.

 Le statut de génie comme parapluie d’impunité

Si les deux hommes bénéficient encore de la présomption d'innocence durant ce temps long de la justice, il devient cependant difficile de dénigrer voire de museler les voix qui viennent contrevenir à l’image qu’ils ont bâtie. C’est face à ses pairs, que Judith Godrèche enjoint l’industrie du cinéma de ne plus détourner le regard sur les agissements d’une poignée de puissants. Elle pose la question : “pourquoi accepter que cet art que nous aimons tant, cet art qui nous lie, soit utilisé comme une couverture pour un trafic illicite de jeunes filles ?” L’actrice met en lumière son expérience individuelle afin de révéler une situation loin d’être rarissime. La nature taiseuse de ce milieu semble se fissurer par la révolution de la parole, illustrée par les multiples déclarations à l’encontre de grandes figures du cinéma français. Et si l’industrie reste mutique, Judith Godrèche la confronte aux multiples voix qu’elle représente durant son discours : “Mon passé, c’est aussi le présent des 2000 personnes qui m’ont envoyé leurs témoignages [...]”.

Les langues se délient, mais elles sont restées longtemps silencieuses : tout un système entretient l’impunité des agresseurs. C’est ce que soutient notamment l’essayiste, réalisatrice, journaliste et critique du cinéma français Iris Brey. Spécialiste des questions de genre, elle insiste sur le caractère protéiforme de la protection des agresseurs dans le monde du cinéma. Un univers où le regard masculin (male gaze) prédomine, s’appropriant ainsi les subjectivités des femmes réduites à l'image de “muse” ou “d’objet du désir”. Là où les hommes sont érigés au rang de génie, elles s’effacent afin de ne pas déroger à la règle. C’est notamment ce qu’exprime Charlotte Arnould, la première à avoir déposé une plainte pour viol et agression sexuelle contre l’acteur Gérard Depardieu.

Les langues se délient, mais elles sont restées longtemps silencieuses : tout un système entretient l’impunité des agresseurs.

Gérard Depardieu, un prédateur soutenu par le chef de l’Etat 

En 2018, Charlotte Arnould essuyait seule la débâcle médiatique à son encontre, fustigée pour le simple fait de ternir la réputation d’une figure française au rayonnement international. Aujourd’hui, elles sont cinq à porter plainte et quinze à signaler les agissements de l’acteur. Pourtant, Emmanuel Macron lors d’une prise de parole sur le plateau de l’émission C à vous sur France 5, en décembre dernier, apportait son soutien à cet homme, tout en soulignant son dédain pour ce qu’il désigne comme une “chasse à l’homme”. La question des violence sexistes et sexuelles est alors balayée d’un revers de la main par le chef de l’Etat français.

Gérard Depardieu, Benoît Jacquot, Jacques Doillon et Philippe Garrel : tous ont été récompensés et primés. Cela leur confère une aura d’intouchables, vertigineuse pour celles et ceux qui souhaiteraient les dénoncer. Une peur dont Judith Godrèche souligne la prégnance lors de son discours aux César : “Depuis quelques temps, je parle, je parle mais je ne vous entends pas [...] je sais que ça fait peur de perdre des subventions, des rôles, de perdre son travail, moi aussi j’ai peur. [...] ça ne ferait pas mal, je vous le promets, juste une égratignure sur la carcasse de notre curieuse famille.

La parole se libère : la remise en question du pouvoir

Tarana Burke, militante féministe afro-américaine et travailleuse sociale, est la première à utiliser l’expression “MeToo” afin de dénoncer les violences sexistes et sexuelles contre les minorités visibles en 2007. Il faut attendre 2017 pour que l’actrice américaine Alyssa Milano reprenne l’expression dans un tweet à l’aide d’un hashtag bien connu aujourd’hui pour qu’une déflagration s'enclenche. C’est la naissance d’un mouvement aux Etats-Unis qui peine à traverser l’Atlantique. Un imaginaire semble subsister et surtout tente de résister aux critiques féministes, appelant à une profonde remise en question générale sur les violences sexistes et sexuelles. Une tribune sur la Liberté d’importuner est publiée en 2018 par le journal Le Monde, signée par un collectif d’une centaine de femmes dont Catherine Millet, critique d’art et femme de Lettre, et Catherine Deneuve, actrice. Les signataires conçoivent un droit à une séduction faite de zones grises où le consentement n’est pas de mise.

En 2020, Roman Polanski remporte douze nominations lors de la 45ème cérémonie des César pour son film J’accuse. Et si l’Académie s’obstine à vouloir primer un réalisateur accusé par onze femmes de violences sexuelles dont une accusation de viol, la plupart mineures au moment des faits, un contre-pouvoir s’organise. L’actrice Adèle Haenel se lève durant l’emblématique cérémonie qualifiant de honteux ce choix et quitte la salle. Cette dernière avait elle-même révélé avoir subi des attouchements et du harcèlement sexuel de la part du réalisateur Christophe Ruggia, de ses 12 à 15 ans. Pour celle qui a porté plainte en 2019 contre son agresseur, dont le procès est encore à déterminer par la juge d’instruction, la nomination de Roman Polanski est une décision politique. Un affront à peine dissimulé mis au ban par l’écrivaine Virginie Despentes dans une tribune intitulée “Désormais on se lève et on se barre” dans laquelle elle crée des ponts entre la violence des puissants du gouvernement Macron et celle de l’industrie du cinéma. Il faut attendre la 49ème cérémonie de cette année pour que la deuxième femme dans l’histoire des César gagne le titre de la meilleure réalisation, Justine Triet pour Anatomie d’une chute (2023). Un film qui pose un regard féminin et féministe, un prisme souvent peu valorisé dans le milieu.

A l’aune du renouveau de #MeToo en France, des collectifs et associations se battent pour faire valoir les droits des acteurs et des actrices sur leur lieu de travail. Un appel repris par Judith Godrèche, une fois de plus lors de la cérémonie : “Serait-il possible que nous puissions regarder la vérité en face, prendre nos responsabilités ? Être les acteurs et les actrices d’un univers qui se remet en question ?”. C’est le cas de l’association A.D.A (Association Des Acteur.ices), fondée en 2021 par un groupe de comédiennes dont, Ariane Labed, Zita Hanrot,  Clotilde Hesme et Anna Mougalis. Leur but est d'œuvrer contre l’invisibilisation des personnes non-blanches dans le cinéma, trop souvent cantonnées à des rôles exotisants et stéréotypés. Mais aussi et surtout, au vu du contexte, l’association se donne pour objectif d’informer et de syndiquer les acteurs et actrices sur leurs droits.

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