« Cela ne me donne plus d’insomnie », ou dépasser l’obsession du corps parfait

Toutes les combats que j’ai menés par le passé m’ont permis finalement d’établir un sérieux dialogue avec moi-même. Ainsi je me suis aperçue que mon égo cherchait à satisfaire les autres à ses dépens parce que la société dans laquelle nous vivons nous impose, à nous femmes, de multiples injonctions sur notre corps. Et si l’une d’entre nous y échappe, elle doit supporter les regards blessants et les conseils qu’elle n’a pas demandés…

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Hayat al-Zein - Journaliste libanaise

Mes souffrances ont commencé à prendre forme quand j’avais dix ans et peut-être même avant, lors des sorties dans les magasins avec ma mère pour acheter un nouveau vêtement. Nous y passions beaucoup de temps, et il n’y avait pas de boutique où nous n’entrions pas dans l’espoir de trouver quelque chose qui corresponde à mon corps replet et à ma taille « étonnante » comme disaient les vendeurs. Parfois, nos tentatives échouaient et d’autres fois, nous trouvions ce qui seyait mon corps, même si je n’en étais pas totalement satisfaite. Mais j’étais obligée d’accepter ces achats pour éviter une autre sortie dans les magasins et une énième séance de supplices.

Ces souffrances n’ont pas diminué avec le temps, au contraire, elles augmentaient à chaque fois qu’un kilogramme décidait de venir se joindre aux kilogrammes précédents, et ce jusqu’à mes treize ans. A ce moment-là, ma taille a complètement changé, passant d’une taille « enfant surprenant » à une taille « femme » parce que celles correspondant aux filles de mon âge ne convenaient plus à mon corps. Son embonpoint était désormais clairement évident et réparti sur toutes ses parties, malgré les ruses et les tactiques continuelles et inefficaces pour rentrer mon ventre.

Le fardeau de ma charge pondéral était de surcroit alourdi par les commentaires des membres de la famille, certains mordants et cruels, d’autres plutôt gentils, mais portant dans les deux cas le même message : « Tu dois tout faire pour perdre du poids ».

Avec le temps, et toutes ces souffrances enracinées profondément en moi à cause de mon embonpoint, le désir d’atteindre un poids idéal est devenu une obsession lancinante. Etait-ce pour prouver à tous ceux qui avaient raillée mon corps trop généreux que je pouvais en réduire les kilos ? Etait-ce encore pour obtenir leur approbation, ou tout simplement pour être dédommagée de toutes ces années où je n’avais pu enfiler une robe quand l’occasion se présentait à moi.

L’idée d’avoir un corps idéal m’a poussée à suivre des régimes alimentaires très durs : ne prendre qu’un seul repas par jour, adopter le régime Kéto qui consiste à priver le corps de tous féculents et sucreries, pratiquer le jeûne intermittent basé essentiellement sur l’interruption de toute alimentation au moins pendant 16 heures.

Je ne nierais pas que tous ces régimes ont été utiles et satisfaisants dans un premier temps. Mais très vite, je revenais à mon poids initial et entrait dans un engrenage sans fin de désespoir.

J’ai compris que je ne suis obligée de satisfaire personne… sinon moi-même

Toutes les luttes que j’ai affrontées par le passé m’ont amenée finalement à établir des séances de discussions sérieuses avec moi-même. Lorsque je me suis plongée dans ses objectifs véritables, je me suis aperçue que mon égo cherchait à satisfaire les autres à ses dépens parce que la société dans laquelle nous vivons nous impose, à nous femmes, une forme de corps bien déterminée. Et si l’une d’entre nous y échappe, elle doit supporter les regards blessants et les conseils qu’elle n’a pas demandés. Ce sont tous ces jugements qui m’ont amenée à me torturer moi-même. Je voulais les éviter mais, à l’inverse, je suis passée à côté de mes exigences réelles et de mes propres besoins.

Lorsque cette vérité m’a été révélée, après des efforts sérieux, profonds et parfois douloureux, j’ai compris qu’effectivement je n’étais obligée de satisfaire personne… sinon moi-même.

Les normes pour se vêtir, imposées aux femmes corpulentes dont on attend qu’elles adoptent un seul style et un seul modèle, m’ont permis d’épargner mon corps. J’ai également cessé de me sentir coupable comme c’était le cas auparavant. Aujourd’hui, j’ai pris conscience que tout ce que j’ai expérimenté par le passé n’a pas été vain. Ce parcours m’a conduite à apprendre à m’aimer comme je suis et à ne pas me laisser broyer pour obtenir en contrepartie des flatteries ou des compliments.

Aujourd’hui, arriver à un poids idéal n’est plus une obsession qui me donne des insomnies comme auparavant. Maintenant, j’accepte mon corps tel qu’il est et j’essaie de comprendre ses vrais besoins. Je suis devenue plus douce avec lui malgré nos rares petits désaccords. J’ai aussi appris que chacun.e de nous doit réussir à s’accepter pleinement, et que ce n’est que lorsque nous y parvenons avec courage et sincérité que nous contraignons les autres à nous respecter tel.le.s que nous sommes.

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