« La Palestine, de Fil en Aiguille », ou comment broder pour faire exister un pays perdu

Dans « La Palestine, de Fil en Aiguille », Carol Mansour, réalisatrice palestino-libanaise donne la parole à douze femmes palestiniennes de la diaspora, éloquentes, fortes et déterminées. Un documentaire bien ficelé sur la broderie comme moyen de résistance à l’oubli acclamé par le public tunisien le 2 novembre dernier.

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La dixième édition du festival « Palestine Cinema Days » devait se tenir du 24 octobre au 2 novembre, dans cinq villes palestiniennes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Il a dû être annulé à la suite du déchaînement des violences inouïes perpétrées par Israël contre les populations civiles de Gaza. Mais tenant à maintenir la voix des Palestiniens à travers leur cinéma, devenu depuis les années 1970 un ambassadeur de leurs histoires et vécus, 90 espaces de par le monde ont accueilli le 2 novembre, en commémoration de la désastreuse déclaration Balfour, le festival « Palestine Cinema Days », dont l’espace culturel Le Rio, à Tunis.

Le public a pu y voir le documentaire de 78 mn de Carol Mansour, cinéaste d’origine palestinienne née au Liban en 1961, intitulé : La Palestine de Fil en Aiguille. Le même jour à la Cinémathèque de Tunis, se poursuivait un cycle (du 31 octobre au 5 novembre) consacré à des productions cinématographiques palestiniennes, parmi les meilleures produites entre 1988 et 2022. Lorsque dans les rues de Tunis et des grandes villes du pays, les manifestants réclamaient la liberté totale pour la Palestine et l’arrêt du génocide que subit les populations de Gaza depuis un mois.

Reconstituer point par point l’histoire et la géographie

Dans La Palestine de Fil en Aiguille, douze femmes palestiniennes de la Diaspora, éloquentes, fortes et déterminées, sont assises devant nous.  Leyla, Amal, Dina, Mary, Raida, Souad, Houda… vivent actuellement au Liban, en Jordanie, au Canada ou aux Etats Unis. Elles sont passées auparavant par la Tunisie, la Syrie, le Koweit, l’Irak expérimentant ainsi au cours de leurs parcours la dépossession, la dispersion, l’exil et la perte de la mère patrie.  Elles évoquent, en même temps que défilent les images et photos de leurs villes et villages occupés, leur existence, leurs souvenirs, la mémoire de leurs familles et leur identité.

Ces douze femmes aux profils différents - avocates, artistes, femmes au foyer, brodeuses, réfugiées dans les camps du Moyen Orient, activistes, architectes et politiciennes-  partagent, en plus de leur nostalgie d’une Palestine fréquentée et connue par les plus âgées ou habitant la mémoire des femmes nées hors de leur pays d’origine, une passion pour la broderie ancienne et la crainte permanente que ne disparaisse ce pilier de leur patrimoine : « Nous avons perdu le pays. Par contre la broderie, nous l’avons sauvegardée ! », s’exclame dans le documentaire Leyla Khaled, révolutionnaire et combattante palestinienne.

Cette broderie, art ancestral basé sur le point de croix, transmis de mère en fille, orne les robes traditionnelles ou les Thobes portés pour des occasions festives. Les mains qui travaillent à une pièce de cet artisanat ponctuent le documentaire et tissent les relations entre les histoires et les destins des unes et des autres.

« Nous avons perdu le pays. Par contre la broderie, nous l’avons sauvegardée ! »

Ainsi, finissent-elles par reconstituer point par point et nœud par nœud la géographie d’un pays disparu en évoquant les douze styles de broderie de douze villages palestiniens. Plus que jamais ici la broderie est un acte de la reconstitution de l’être palestinien au féminin, de résistance contre l’oubli : en brodant ces femmes reviennent quelque part en Palestine, retrouvent leurs oliviers, leurs orangers, leurs plages, leurs maisons arabes confisquées par les colons israéliens, leurs médinas, et l’âme de leur population.

Le film a aussi cette ambition de rendre visible la riche et fine culture palestinienne, que le sionisme dès son ancrage dans ces terres du Moyen Orient a tenté de balayer d’un revers de main, présentant les arabes comme des « masses misérables », « décadentes » et « archaïques » afin de mieux pouvoir exercer son processus de dépossession et de déplacement.

Carol Mansour, qui vit entre Montréal et Beyrouth, a travaillé pendant dix ans comme monteuse, réalisatrice et productrice pour une chaîne de télévision libanaise, avant de fonder en 2000 Forward Film Production.

« Grâce au pouvoir du cinéma, nous sommes fiers de donner une voix à des sujets souvent négligés par les media, avec l’espoir que nos films inspirent un changement au niveau local et international », affirme la cinéaste.

En 2017, Stitching Palestine, titre original de son documentaire, a reçu le Prix du Public au « Boston Palestine Film Festival » tandis, qu’en 2018, il était distingué par le Best Documentary Award au « Delhi International Film Festival ».

Au moment où Israël tente d’effacer Gaza de la géographie et de rayer des familles entières des registres de l’état civil, le documentaire de Carol Mansour fait résonner avec encore plus de force cette tragédie.

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