Daiffa : « Le dessin d’humour m’a permis de dénoncer le côté absurde et injuste de certains articles de lois du Code de la famille »

Caricaturiste née en 1956 à El Koléa, au sud-est de l’Algérie, Daiffa dénonce dans ses dessins, avec humour et ironie la condition féminine des Algériennes et Maghrébines, plus généralement. Dans cet interview, elle raconte son parcours et ses observations d’artiste algérienne.

Propos recueillis par Nejma Rondeleux
Comment êtes-vous venue à dessiner ? 

Daiffa : C’est le dessin qui est venu vers moi. Quand j’étais enfant, je passais des heures à dessiner sur le sable,  je noircissais mes cahiers scolaires, tout cela au grand dam de ma mère et de mes maîtresses d’école. A l’adolescence, j’ai découvert les dessins de celui que je considère comme l’un des plus grands dessinateurs du monde arabe, à savoir, le dessinateur libyen, Mohamed  Zwawi, qui paraît-il serait d’origine algérienne . En voyant ses dessins, j’ai eu envie, à mon tour, de « croquer » mon environnement. 

De quoi parlent vos dessins ?

Je me suis beaucoup intéressée à la condition de la femme en général et au code de la famille, avant qu’il ne soit réformé et le dessin d’humour m’a permis de dénoncer le côté absurde et injuste de certains articles de loi. Grâce à l’humour, un dessin peut parfois être plus percutant que des mots et donc accessible à la compréhension de tous, même de ceux qui n’ont pas été à l’école. Un dessin peut être drôle, ou grinçant, mais quelle que soit sa forme, il permet à son auteur de dire beaucoup de choses, tout en dédramatisant le côté grave d’une situation grâce à l’humour.

Quelles difficultés avez-vous rencontrer dans votre parcours?

Je suis originaire d’El Koléa, une magnifique oasis du sud-est de l’Algérie. J’ai grandi au sein d’une famille aimante mais très traditionnelle, où l’on considérait qu’une fille avait mieux à faire en apprenant les tâches ménagères qu’à perdre son temps en gribouillages. Du coup, ma pauvre mère, était tout le temps sur mon dos à essayer de me ramener dans le « droit chemin ». Enfant, j’étais malheureuse de ne pas pouvoir dessiner sans être accablée de reproches. Mais c’était comme ça et je ne pouvais rien y faire. A l’époque, on ne voyait pas l’utilité du dessin, surtout s’il s’agissait d’une fille qu’on destinait à devenir une future femme au foyer. Par la suite, ma mère m’a appris à tisser et j’ai eu beaucoup de plaisir à manipuler des laines de toutes les couleurs et à créer des formes tissées, car ça me permettait, d’une certaine façon, d’exprimer mon penchant pour l’art. Je pense que dans la vie, il y a toujours moyen de contourner les choses et de trouver des chemins détournés, pour atteindre ses objectifs. Ce n’est que des années plus tard, devenue adulte que j’ai pu reprendre le dessin d’une manière régulière et plus détendue.

Quelle est la situation des Algériennes dans le Sud dont vous êtes originaire ? 

Contrairement à ce qu’on pense, il n’y a pas un Sud, mais des Sud de l’Algérie. Le Sahara est tellement vaste que les modes de vie, diffèrent d’une région à l’autre. Je ne parlerai donc que d’El Goléa, la ville où j’ai grandi. Là bas, la société est plutôt matriarcale et les femmes ont toujours été dynamiques. Elles le sont encore plus, depuis qu’elles ont la possibilité de faire des études supérieures. Il existe beaucoup de femmes entrepreneures, qui jouissent d’une indépendance totale, en ce qui concerne leurs affaires. Ceci est possible aussi, du fait que l’homme saharien respecte beaucoup la femme. A titre d’exemple, il existe peu de femmes battues, car dans la tradition locale, un véritable homme, ne lèvera jamais la main sur sa femme. D’ailleurs, si par malheur, cela arrivait, il risquerait d’être pris à partie par les frères et cousins de sa femme. 

Quel regard portez-vous sur la scène artistique algérienne ? 

Si je compare la situation actuelle à celle de ma jeunesse, je dirai qu’elle s’est beaucoup appauvrie. En octobre dernier, j’ai été nommée présidente du jury international du festival de la Bande dessinée d’Alger, par Dalila Nadjem, qui soit dit en passant fait un travail remarquable auprès des jeunes auteurs. A cette occasion j’ai pu constater à quel point ils étaient assoiffés de culture mais aussi combien, ils sont talentueux ! Heureusement que les réseaux sociaux existent et leur permettent de montrer leur travail. Mais tous les jeunes Algériens n’ont pas cette chance et je pense plus particulièrement, aux jeunes de l’arrière-pays, du Sud notamment, qui pour la plupart, s’abrutissent de jeux vidéos importés de l’étranger. Où sont passées nos traditions de fête ? Où sont passées nos belles musiques régionales ? Nos costumes ? Nos chants ? Nos poètes ? Quand j’étais jeune, les femmes chantaient librement chez elles. Aujourd’hui les jeunes mamans ont oublié les comptines traditionnelles de leur grand-mère et apprennent à leurs enfants, des chansonnettes provenant du Moyen Orient et leur lisent des contes occidentaux. Notre patrimoine culturel, qui a mis des siècles à se constituer, semble avoir été effacé d’un bref coup d’éponge.

Quels conseils donneriez-vous aux Algériennes qui souhaitent faire d’une activité artistique, et plus particulièrement du dessin, leur métier ?

Je ne pense pas qu’on puisse se lancer dans une pratique artistique, si on n’y est pas déjà prédisposé.  Mais le talent à lui seul, ne sert à rien, s’il ne s’appuie pas sur un travail assidu et persévérant. Contrairement à un homme, une femme aura toujours plus de difficultés à pratiquer son art, ne serait-ce que parce qu’on attend d’elle qu’elle se charge en priorité d’autres tâches plus utiles. Le conseil que je donnerai donc est qu’il ne faut pas se décourager, quelles que soient les embûches que l’on rencontre. Ceci dit, on a de plus en plus de femmes dessinatrices en  Algérie, comme Delou, Nawel Louerrad, Rym Hakiki, Bouchra Mokhtari, etc. pour ne citer qu’elles.

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