LGBTQIA+ en Italie, entre discriminations et instrumentalisations

Le 27 octobre, avec 154 voix contre, 131 pour et deux abstentions, le Sénat a définitivement arrêté le processus législatif du "projet de loi Zan" qui, malgré ses limites, était la première tentative concrète de mettre le code pénal italien en conformité avec les directives européennes sur l’homo-transphobie.

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Après quasi deux ans de réécritures, d'amendements, de discussions animées et de longues périodes d'examen par les commissions, la Chambre des députés a approuvé en novembre 2020 le projet de loi «Zan», du nom du député qui en a été le rapporteur. Le texte étend les sanctions prévues pour les crimes à motivation raciale, ethnique, nationale et religieuse par la «loi Mancino» de 1993 aux crimes de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre, la discrimination vis-à-vis des personnes porteuses de handicaps, ainsi que  la « violence contre les femmes parce qu'elles sont des femmes ». Le centre-droit s'est immédiatement opposé à son approbation et certaines critiques ont également été exprimées par la gauche et la communauté LGBTQIA+ (1), qui ont considéré ce projet de loi « bâclé et idéologique ».

Peu avant son examen au Sénat, prévu en juillet, le Vatican a demandé au gouvernement de le remanier, arguant qu'il menaçait les droits garantis aux catholiques par le Concordat (2). L'un des points les plus controversés est la journée nationale contre l'homo-transphobie, instaurée le 17 mai, jour où, en 1990, l'Organisation mondiale de la santé a retiré l'homosexualité de la liste des maladies mentales. Bien que le projet de loi permette aux gens d'y adhérer ou non, la plupart des conservateurs l'accusent de vouloir imposer la «théorie du genre» dans les écoles, qui participerait d’un complot mondial visant à détruire la « famille naturelle » en éliminant les différences entre les hommes et les femmes.

Le 27 octobre, avec 154 voix contre, 131 voix pour et deux abstentions, le Sénat a arrêté définitivement le processus législatif par une procédure parlementaire appelée « tagliola », qui permet de bloquer une loi sans en examiner les articles. La Lega et Fratelli d'Italia ont demandé et obtenu un vote à bulletin secret. Au final il a manqué aux partisans du projet de loi au moins 16 des voix escomptées. Il sera possible de soumettre à nouveau le texte aux deux chambres dans six mois, mais un accord politique semble impossible : cet arrêt pourrait s’avérer fatal au projet de loi « Zan ». Le soir du 28 octobre, des milliers de personnes sont descendues dans les rues italiennes pour protester contre l'échec du projet de loi.

Selon une étude menée à Milan et à Rome par des économistes de l'université Cornell, si le CV d'un candidat laisse deviner des préférences homosexuelles, les chances d'être rappelé pour un entretien diminuent de 30 %.

Une attente longue de plusieurs décennies

En 2004, le Parlement européen a exhorté les États membres à adopter des mesures contre l'homophobie et, en 2011, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme s'est dit préoccupé par la discrimination à l'encontre des communautés LGBTQIA+, en incluant leurs droits parmi les droits humains de 2016.

En Espagne, l’homophobie est une circonstance aggravante dans les crimes haineux depuis 1995 ; en France, le crime de discrimination inclut l'homophobie depuis 2003 ; en Allemagne, la violence fondée sur le sexe est punie plus sévèrement que les autres ; et en Suède, ceux qui menacent ou méprisent les homosexuels risquent quatre ans de prison.

La Norvège célèbre cette année 4 décennies de loi anti homophobe, tandis que le Portugal, les Pays-Bas, le Danemark, le Royaume-Uni, la Roumanie, la Lituanie, l'Irlande, l'Islande, la Finlande, la Grèce, le Luxembourg et l'Autriche disposent également de juridictions spécifiques.

Le projet de loi de Zan représentait la première tentative concrète d'adapter notre code pénal, face à un phénomène, l'homotransphobie, répandu et inquiétant dans le pays.

Selon un rapport, les personnes appartenant à cette communauté se voient accorder 23 % des droits garantis aux autres Italiens. 62 % ne déclarent jamais, ou que partiellement, leur orientation sexuelle, et évitent de tenir la main de leur partenaire en public par crainte d'une agression, tandis que 92 % pensent que le gouvernement ne mène pas une lutte efficace contre l'intolérance et les préjugés.

Entre 2019 et 2020, Arcigay, l'association de défense des droits LGBTQIA+ la plus ancienne et la plus ramifiée, a recensé 138 incidents de violence, dont plus de la moitié se sont produits dans le Nord, où les discours de haine de certains politiciens sont souvent imprégnés d'homo-transphobie. Les récents confinements ont alimenté les violences domestiques partout, mais les chiffres sont sous-estimés car de nombreuses victimes ne portent pas plainte.

Les services de premiers secours, les conseils psychologiques, sanitaires, juridiques et médicaux sont encore très inégalement répartis dans le pays : ils sont plus répandus dans le centre-nord et presque totalement absents dans le sud et sur les îles. Souvent, les personnes qui entreprennent le processus de transition doivent se déplacer pour trouver des associations qui font office de "passerelle" avec les hôpitaux autorisés.

Ils ne sont pas homotransphobes, mais...

La discrimination fondée sur l'orientation sexuelle et l'identité de genre peut également prendre des formes plus subtiles qu'une agression verbale ou physique explicite. Selon une étude menée à Milan et à Rome par des économistes de l'université Cornell, si le CV d'un candidat laisse deviner des préférences homosexuelles, par exemple en indiquant des stages dans des associations LGBT les chances d'être rappelé pour un entretien diminuent de 30 %. Des recherches menées par l'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne montrent qu'une personne sur trois est pénalisée pour sa transidentité lorsqu'elle cherche un emploi et qu'une personne sur quatre est victime de discrimination au bureau. 60% des cas concernent des femmes trans.

« Dans l'imaginaire collectif, les transwomen sont une transgression, une perversion, des êtres mythologiques mi-homme et mi-femme, avides et nymphomanes, des Bacchantes modernes qui se satisfont et satisfont les hommes dans un cercle de perdition, écrit Enrica Scielzo, la conseillère en image qui a raconté dans son blog sa transition. Contrairement aux préjugés répandus qui les considèrent comme exclusivement destinées au commerce du sexe, explique-t-elle, beaucoup d'entre elles connaissent une grande réussite professionnelle. »

Au moins 163 membres de la communauté LGBTQIA+ ont participé à "Tokyo 2020", rebaptisée "les Jeux olympiques les plus arc-en-ciel jamais organisés". Plus de deux fois plus qu'à Rio et huit fois plus qu'à Londres en 2012, où il n'y en avait que 23.

La discrimination touche également les environnements communément considérés comme "gay friendly", explique le designer sicilien Cori Amenta, styliste de célébrités pour une célèbre marque italienne. « Tant que j'étais gay, tout allait bien, j'étais considérée comme charmante et glamour, mais mystérieusement, deux mois après mon opération de mastoplastie, j'ai été licenciée sur le champ. La raison en était le sureffectif, même si j'étais le seul à faire mon travail. »

Au cours de ses 30 années d'expérience clinique, la psychothérapeute Anna Rita Ravenna a rencontré de nombreux cas de discrimination professionnelle transphobe : « De nombreuses personnes qui n'avaient pas modifié leurs données personnelles à l’état civil m'ont parlé de longues périodes de formation et de mois d’essai auxquels elles étaient contraintes avant l’embauche, et bien qu’étant aptes à remplir les fonctions requises et conformes à l'identité de genre qu'elles présentaient, elles ont été écartées au moment de finaliser leur contrat".

Superviseur au SAIFIP, le Service d'ajustement entre l'identité physique et l'identité psychique, à l'hôpital San Camillo de Rome, Ravenna a été l'une des premières en Italie à s'occuper de transition. « Vivre de la manière que vous pensez être la meilleure pour vous n'empiète pas sur la liberté des autres et ne fait de mal à personne, commente-t-elle. En stigmatisant, excluant et attaquant ces personnes, nous exprimons notre difficulté personnelle et culturelle à comprendre et à accueillir une diversité qui fait partie intégrante de la richesse du monde dans lequel nous vivons. Lorsque la réalité s'avère plus complexe et différente, la culture et les normes doivent s'adapter

Dans la nature, de nombreuses plantes et animaux ont un comportement non binaire, nous rappelle Ravenna qui souligne : « En Inde, en Indonésie, au Mexique, en Thaïlande, à Bornéo, à Oman et chez les Amérindiens, il y a plus de deux sexes, et même à Naples, sur l'ancien temple de Cybèle, l'Église catholique a construit le sanctuaire de Notre-Dame de Montevergine, patronne des femminielli. »

La "gender archaeology" a récemment confirmé l'existence de personnes de genre fluide dans les civilisations les plus anciennes, démontrant comment le catalogage des artefacts a été affecté par les préjugés sexistes de chercheurs blancs et hétérosexuels.

« Dans l'imaginaire collectif, les transwomen sont une transgression, une perversion, des êtres mythologiques mi-homme et mi-femme, avides et nymphomanes... »

L'importance des mots

Le symbole phonétique ə, appelé schwa, est désormais couramment utilisé à la place de la terminaison masculine pour définir les groupes mixtes et des terminaisons féminine et masculine pour inclure les personnes non binaires, en remplacement de l'astérisque utilisé jusqu'à présent. Les systèmes d'exploitation Apple et Android l'ont rendu disponible dans les claviers de leurs appareils mobiles.

Le langage a le pouvoir de refléter et de façonner les attitudes, les comportements et les perceptions de ceux qui l'utilisent, en véhiculant des préjugés cognitifs qui renforcent les stéréotypes et le conditionnement culturel. Les définitions offensantes, inexactes ou délibérément incorrectes du genre contribuent à cristalliser les rôles sociaux dans la polarisation : masculin-féminin/ homme-femme, imposée par le binarisme dominant.

Les personnes qui s'identifient au sexe qui leur a été assigné à la naissance sont dites cisgenres (de ce côté-ci du genre), par opposition à celles qui se perçoivent comme transgenres (de l'autre côté). Ceux et celles qui ne peuvent pas, ou ne veulent pas, se soumettre à la logique binaire sont appelés non-binaires, agender, gender fluid , ou queer de l'anglais « strange », « eccentric », qui désignait initialement les personnes homosexuelles de manière péjorative, terme repris depuis par celles-ci pour se représenter.

« L'identité de genre ne doit pas être confondue avec l'orientation sexuelle : la première renvoie à la perception subjective de soi, tandis que la seconde désigne l'attirance envers l'un, l'autre ou les deux sexes dans une perspective binaire, ou envers les personnes transgenres dans toutes leurs déclinaisons, précise Ravenna. Une autre distinction importante, que je maintiens, est celle entre transgenre et transsexuel, ce dernier étant un terme qui désigne une personne qui subit une intervention chirurgicale pour prendre les caractéristiques somatiques du sexe opposé. »

La campagne publicitaire de la Sorrento Pride 2019, aux côtés de l'agrume bien connu, symbole de cette partie du littoral, comprenait l'expression "Magnate 'ò limone", répandue dans le dialecte local. Au sens propre, l'expression signifie "mange le citron", mais au sens figuré, elle nous invite à accepter ce qui nous dérange et ce que nous préférerions éviter en raison de son "aigreur". Un message ironique mais profond contre toutes les formes de discrimination.

Un univers inconnu et incompris

Depuis quelques décennies, la médecine permet la réunification du soma et du psyché grâce à des interventions, des traitements hormonaux et un soutien psychologique particulier. « C'est la loi 164 de 1982 qui a fait de l'Italie le troisième pays européen à reconnaître légalement la condition de la personne transsexuelle, après la Suède (1972) et l'Allemagne (1980), rappelle Ravenna. Il s'agissait d'un progrès de la législation qui ne nous a pas pleinement convaincus, mais personne n'a osé demander une révision de peur que la situation ne régresse au lieu d’avancer ». En 1990, la région du Latium a promulgué la loi 59 portant à la création du SAIFIP, qui a vu le jour deux ans plus tard. « Notre objectif, en tant que psychologues, n'était pas seulement de soutenir émotionnellement la personne dans le processus d'ajustement entre son identité physique et son identité psychique, ou vice versa, mais aussi de l'aider à intégrer des aspects jusque-là exclusifs, avant tout dans une perspective d'acceptation de soi. Il était essentiel de comprendre la complexité d'un univers largement méconnu et souvent incompris, dont les intersections infinies au niveau de l'affectivité et des pratiques sexuelles ont complètement bouleversé les stéréotypes du "binarisme" dominant. »

L'obligation de se faire opérer pour obtenir un changement à l’état civil est vécue comme un chantage violent par les personnes trans.

De nombreuses expériences existaient déjà à l'étranger, notamment en Grande-Bretagne, aux États-Unis et au Canada. « Il y avait également des situations similaires en Allemagne, poursuit la thérapeute, où il était possible de demander un changement à l’état civil sans avoir à passer par la procédure chirurgicale, ce qui est impensable aujourd'hui encore chez nous, même si des améliorations significatives ont été apportées au fil du temps ».

L'obligation de se faire opérer pour obtenir un changement à l’état civil est vécue comme un chantage violent par les personnes trans, à moins évidemment que l’opération soit un libre choix. En outre, le diagnostic de dysphorie de genre, c'est-à-dire l'inclusion dans une catégorie pathologique, est toujours nécessaire avant d’entreprendre le processus de transition.

undergo surgery to obtain legal rectification is perceived as violent blackmail by trans people, unless surgery is their free choice. Furthermore, in order to undertake the path, a diagnosis of gender dysphoria is still required, that is, inclusion in a pathological category.

« Au départ, beaucoup refusaient le soutien psychothérapeutique, le considérant comme une stigmatisation très dévalorisante. Mais sortir de la définition de pathologie risquait d’entraver l'accès aux services de santé publics, explique Ravenna. Nous avons obtenu que le juge de la première audience, qui a autorisé le traitement hormonal substitutif (THS) et le prélèvement chirurgical d'organes biologiquement sains, fonde sa décision sur les certifications présentées par la personne sans l'intervention obligatoire d'un conseiller technique, souvent non préparé, et qu'il ne demande pas d'investigations supplémentaires si la documentation provient du service de santé public spécialisé. Il n'y avait pas encore de filière judiciaire dédiée à ces procédures, mais nous avons fait pression pour qu'elles soient traitées par les mêmes juges, qui ont acquis au fil du temps des compétences spécifiques. Le processus, initialement très lent et décousu, a été partiellement simplifié par ces étapes.

La première vague de "coming out" concernait principalement les femmes biologiques, qui passaient plus facilement d'une catégorie sociale considérée comme "faible" à une catégorie "forte" (FtM, de la femme à l'homme), alors qu'aujourd'hui les interventions MtF (de l'homme à la femme) sont répandues. « L'une des principales difficultés de ces personnes est la solitude, qui conduit souvent à un isolement douloureux », conclut Ravenna. Une étude de la National Library of Medicine confirme que le taux de suicide chez les personnes transgenres est plus élevé que dans le reste de la population.

«Le féminisme contemporain risque de réitérer la même logique binaire que celle du patriarcat qu'il combat.»

Vers un nouveau féminisme ?

Dans Le corps électrique. Desire in the feminism to come, Jennifer Guerra critique la tendance généralisée à exclure les femmes trans du mouvement féministe. Monopolisé par des hétérosexuelles blanches cisgenres issues de la classe moyenne, explique-t-elle, ainsi le féminisme contemporain risque de réitérer la même logique binaire que celle du patriarcat qu'il combat.

Une approche inclusive est également essentielle pour Rebecca Solnit, qui souligne que « vous ne pouvez pas être féministe si vous n'êtes pas en faveur des droits humains pour tous tous, et en particulier des droits humains des autres femmes.» La philosophe Judith Butler a déclaré dans une interview récente : « La catégorie des femmes peut changer et change effectivement, et nous en avons besoin. Politiquement, accorder plus de libertés aux femmes implique de repenser la catégorie des femmes pour inclure ces nouvelles possibilités. La signification historique du genre peut changer à mesure que ses normes sont évoquées, rejetées ou recréées. Nous ne devons donc pas être surpris ou déçus lorsque la catégorie des femmes s'élargit pour inclure les femmes trans. »

Le 21 novembre est la journée de commémoration des transgenres en mémoire de toutes les victimes de l'homo-transphobie. Une occasion précieuse de se rappeler, en paraphrasant Orwell, que : « ou nous vivons tous dans la dignité, ou personne n’y accède ».

 

(1) L'acronyme LGBTQIA+ désigne toutes les personnes dont l'orientation sexuelle, l'identité et/ou l'expression de genre ou les caractéristiques anatomiques n'adhèrent pas aux normes du binarisme cis sexuel et de l'hétérosexualité, c'est-à-dire lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers, intersexes, asexuels. Le + inclut toute autre identité de genre et orientation sexuelle non hétérosexuelle et non binaire.
(2) Accord régissant les relations entre l'État italien et l'Église catholique figurant dans les pactes du Latran signés par le Vatican avec le gouvernement fasciste en 1929, mis à jour en 1984.
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